Juifs, musulmans et chrétiens prient ensemble à l’aéroport

Par Margot Le Calvez, le 29/09/2017

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Dans les aéroports de Paris, des aumôniers juifs, musulmans et chrétiens travaillent ensemble. Ici, les cérémonies ne représentent pas la majeure partie de leur travail. Ils sont présents pour guider les voyageurs, discuter avec le personnel et accompagner les familles en cas de drame.

« Excusez-moi, où est la gare ? », demande dans un français approximatif une femme en tirant sa valise. Nous sommes non pas au bureau des renseignements de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, mais à la salle de prière du terminal 2F.

Juifs, musulmans, catholiques et protestants franchissent la même porte vitrée de cet espace de recueillement. Sur la gauche, un étroit couloir mène à la synagogue, mitoyenne à la chapelle partagée par catholiques et protestants. En ce vendredi 8 septembre, jour de la prière collective des musulmans, de nombreux travailleurs vêtus de gilets jaunes ou orange entrent dans la mosquée située sur la droite. Le meuble est rempli de chaussures et quelques sacs attendent leur propriétaire dans le couloir. De l’autre côté, une messe est célébrée dans la salle chrétienne. Les croyants se croisent sans un bruit.

Dans le bureau, la pasteure Anne-Sophie Dentan-Verseils et le prêtre Philippe Vanneste discutent. Ici, une dizaine d’aumôniers de chaque religion travaillent ensemble dans la même pièce. Leur mission : accompagner les voyageurs, créer du lien avec les 100 000 personnes qui travaillent à Roissy, guider les touristes perdus…

« Nous avons un rôle social, d’ami, de confident, de conseiller spirituel et parfois conjugal », spécifie le prêtre Philippe Vanneste, en poste depuis huit ans. « La racine du mot religion est "religare", souligne le rabbin Moïse Lewin. Cela signifie relier et c’est la définition de notre mission. Un aéroport sert à relier les pays et les continents et nous relions les humains ensemble ». Hazem El Shafei, l’aumônier musulman, voit cet endroit comme « une oasis, où chacun peut se ressourcer un quart d’heure pendant sa prière ».

26 kilomètres en une journée

Le silence de l’espace de recueillement contraste par rapport au brouhaha de l’aéroport. À l’étage, les policiers surveillent les voyageurs. Assis sur un banc, situé en face de son bureau, Philippe Vanneste salue une employée musulmane. Peu importe la religion de l’autre, les aumôniers discutent sans complexe. « Nous sommes amenés à accueillir des personnes d’autres confessions, raconte Moïse Lewin. Les visiteurs sont étonnés de nous voir ici. Ils me disent souvent qu’ils voient rarement de rabbins et sont curieux. Ils me posent des questions sur le judaïsme, les enseignements… »

Mais les aumôniers ne sont pas uniquement présents dans les espaces de prière. Ils se promènent également beaucoup dans les couloirs et les halls. Pour Philippe Vanneste, pas question de rester dans son bureau. Il parcourt les 32 km² de l’aéroport de Roissy. « Il faut être en bonne forme physique, assène-t-il. Un jour, un pasteur a calculé avec son podomètre : il a marché 26 kilomètres en une journée. » Pas étonnant donc de voir un plan accroché dans le bureau pour aider les aumôniers à se repérer.

Cellule de crise

Les aumôniers sont intégrés à la cellule de crise de l’aéroport de Paris. Ils sont appelés en cas de drame et amenés à officier ensemble. « Après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, nous avons organisé une cérémonie interreligieuse », se souvient le père Vanneste.

Le plus compliqué ? « Les retours de cercueils de personnes assassinées à l’étranger. Nous essayons d’apaiser les proches, nous lisons un texte ensemble », ajoute-t-il. « Nous sommes toujours actifs, prêts à agir en cas de catastrophe. Nous sommes présents pour partager le chagrin des familles », confirme Hazem El Shafei, présent lors du crash d’EgyptAir en mai 2016.
Pour extérioriser ces douleurs partagées, Philippe Vanneste passe quatre jours par mois à l’abbaye d’Igny, en Champagne. Se reposer, prier, approfondir une lecture… Il fait le vide, pour mieux accueillir chacun des voyageurs.

« On parle beaucoup du vivre-ensemble. Nous faisons plus : nous construisons ensemble »

Le rabbin Moïse Lewin et l’aumônier musulman Hazem El Shafei racontent leur vision de l’interreligieux.

Moïse Lewin
« Aujourd’hui, on parle beaucoup du vivre-ensemble. Mais je crois que nous faisons plus que cela, nous construisons ensemble. Tous les ans, nous partons avec un imam et des jeunes de toutes les confessions pour un pèlerinage à Auschwitz. Nous sommes présents pour accompagner les deuils mais aussi les joies.
En septembre 2016, lorsque le pape est venu en France, nous l’avons tous accueilli. Nous célébrons avec tous les aumôniers certaines fêtes religieuses comme Hanoucca. Nous avons un calendrier interreligieux dans notre bureau où chaque événement est inscrit. »


Hazem El Shafei
« Haïm Korsia (le grand rabbin de France, ndlr) et moi sommes amis depuis 1986. Nous avons une relation plus que fraternelle, c’est mon frère de cœur. L’autre raison de la réussite de notre collaboration est l’influence indéniable du judaïsme dans l’islam. Nous avons les mêmes interdits et les langues sont proches. Même si l’on ne le reconnaît pas officiellement, il y a une omniprésence du judaïsme dans l’islam.
Ici, chacun représente l’autre en son absence et nous accueillons toutes les religions. Notre travail fonctionne car nous sommes amis. Nous nous faisons confiance, partageons les mêmes valeurs. Cet espace est symbolique, chaque croyant entre et sort par la même porte. »