Égypte : entre espérance et lucidité, 200 jeunes chrétiens rassemblés chez les coptes

Par Samia Hathroubi, le 31/10/2017

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Fruit d’une collaboration ancienne et étroite entre la communauté œcuménique de Taizé, située en Bourgogne, et la communauté copte d’Anafora, en Égypte, une semaine de retraite spirituelle, d’ateliers et de rencontres au Caire a rassemblé, du 25 septembre au 3 octobre, plus de 200 jeunes venus de la région Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, d’Europe, d’Amérique du Nord mais aussi d’Éthiopie.

Alors que les derniers participants rejoignent l’aéroport du Caire ou la ville d’Alexandrie, Frère Maxime, moine français hyperactif de la communauté de Taizé, s’en va rejoindre la réunion hebdomadaire d’Anafora, monastère chrétien fondé en 1999 par l’évêque Thomas, figure emblématique au sein de la communauté copte égyptienne, qui compte près de 16 millions de fidèles. Traits tirés mais satisfait, il s’entretient en arabe avec Dina, jeune femme volontaire au sein de la communauté et parle déjà du prochain rassemblement prévu au Liban avec emballement et enthousiasme.

De l’enthousiasme et de la vision, il en aura fallu une bonne dose pour la mise en place de cette retraite spirituelle pour faire face aux restrictions sécuritaires de plus en plus importantes, pour obtenir les visas de la délégation irakienne des jeunes chrétiens de Bagdad et celle des Éthiopiens entre autres choses.

Une retraite œcuménique sous le signe de la jeunesse

Pendant une semaine, du 25 septembre au 3 octobre, 100 jeunes chrétiens maronites, coptes, de rite éthiopien ont pu rencontrer et échanger avec une centaine de chrétiens protestants, catholiques, orthodoxes. Cette retraite œcuménique, placée sous le signe de la jeunesse (les participants avaient entre 20 et 35 ans), avait d’abord pour objectif, à l’heure où l’Institut du monde arabe dévoile sa première exposition sur les chrétiens d’Orient, de faire découvrir le rite chrétien copte et d’offrir un éclairage sur la spiritualité et la vie quotidienne de cette communauté qui représente près de 10 % de la population égyptienne.

Frère Alois, prieur de la communauté de Taizé, fondée en 1940 par Frère Roger, présent tout au long de la retraite, ajoute que « nous, chrétiens vivant en Occident, avons beaucoup à apprendre des coptes. Ils ont beaucoup à nous offrir ». Depuis quelques années, ce dernier a impulsé une nouvelle dynamique de visites des patriarches orientaux et s’est ainsi rendu à Moscou, à Minsk, à Kiev et à Bucarest.

Le premier jour commence par une introduction générale et historique de l’Eglise copte par l’évêque Thomas en anglais. Celui-ci revient sur la cérémonie de la procession de la Croix qui a eu lieu la veille, où des centaines de coptes égyptiens se sont pressés pour une messe exceptionnelle et une procession où chants et lueurs des bougies se sont mêlés dans l’oasis d’Anafora avant que soient déposées dans les bassins une croix chrétienne d’un mètre de long ainsi qu’une croix pharaonique. Cette messe, célébrée deux fois dans l’année, est venue supplanter une tradition pharaonique pendant laquelle était déposée une croix dans les eaux du Nil.

À travers ce rite en langue arabe et copte, les chrétiens d’Égypte revendiquent leur héritage et passé pharaonique pour rappeler leur présence multiséculaire dans un pays où ils se sentent souvent citoyens de « seconde classe ».

Les défis des chrétiens d’Orient et d’Occident

C’est aussi ce dépaysement et ce basculement que sont venus chercher Anne-Claire et Flore, deux jeunes Françaises qui assistent tous les jours aux deux prières quotidiennes qui viennent rythmer la vie de l’oasis situé à 75 km du Caire en direction d’Alexandrie et de la fameuse route du désert.

Flore, vivant à La Rochelle et en passe de devenir pasteur, est une habituée des rassemblements de Taizé. Même si elle ressent une profonde proximité avec les coptes, elle avoue en plaisantant être souvent « perdue et déphasée » lors des temps de prières. « C’est bien simple je ne comprends rien. Mais alors rien », renchérit-elle.

Le programme fait alterner des ateliers animés par des intervenants, des groupes de discussions et d’échanges et des temps de prières pour la première partie de la semaine. L’occasion pour tous d’aborder des questions spirituelles telle que la prière, des questions quotidiennes telle que fonder un couple chrétien ou des questions bien plus larges tels que le dialogue interreligieux.

Dans les groupes de discussions, chrétiens d’Orient et d’Occident n’hésitent pas à exprimer les défis qui se posent à eux en tant que jeunes croyants dans des sociétés très diversifiées.

Kataryna, d’origine polonaise, a grandi dans une famille très conservatrice et croyante. La religion faisait partie intégrante de la vie de sa communauté, décrit-elle. « À mon arrivée à Londres, il m’était impossible de parler de ma foi. J’ai presque honte d’être croyante devant mes collègues british. » Une situation que ne partagent pas les coptes venus d’Alexandrie et des divers quartiers de la capitale égyptienne.

Antony, tatouage chrétien sur le poignet, raconte son quotidien parsemé de petites anecdotes faites de remarques désobligeantes ou de provocations de ses concitoyens. « La dernière fois, j’étais dans le métro. Un homme a vu ma croix sur mon poignet. Le reste du trajet, il a mis du Coran sur son téléphone. Ce sont les passagers qui lui ont demandé de baisser le son de son téléphone. »

Bien que les participants se gardent bien de parler politique tout au long du programme, les réalités du pays s’imposent très rapidement à eux.

Pour la deuxième partie du programme, des visites dans le désert de Wadi Natrum, haut lieu du monasticisme chrétien, des pyramides de Gizeh et de son musée national et de l’Institut dominicain du Caire sont prévues, et c’est sous haute surveillance qu’elles se déroulent. Les quatre bus qui emmènent le groupe chrétien sont escortés par la police et les militaires, les participants sont tenus de suivre chaque guide et de ne jamais se séparer de leur groupe.

Pris dans les embouteillages cairotes, les discussions continuent parmi les membres. Anna et Simona, deux jeunes femmes ukrainiennes, écoutent Mina, jeune médecin au Caire : « Être chrétien ici, c’est être opprimé par les musulmans. Ma femme subit des remarques parce qu’elle n’est pas voilée. Je sais que de toute façon je finirai par partir. »

Si le départ est une possibilité partagée par de nombreux coptes, Bishoy, Cairote travaillant dans le développement international, témoigne de son retour après avoir vécu aux États-Unis où, un soir, des jeunes ont jeté un sandwich au porc sur lui et son camarade. « Avec ma couleur de peau et ma nationalité, j’ai pu découvrir l’ignorance et l’islamophobie de certains Américains. Et puis le Caire, c’est ma ville. »

Un désir de dialogue et de rencontres

Pour clore le programme, les participants ont été invités au sein de l’Institut dominicain d’études orientales du Caire, dirigé par la figure détonante du Frère Jean Druel.

Fondé à la demande du Saint Siège en 1953 afin d’étudier le message du Coran et de l’islam dans un réel but de connaissances et non de conversion, le centre est fréquenté par étudiants et chercheurs sur le fait islamique et dispose d’une bibliothèque et d’une réserve de centaines de sources inédites. Jean Druel rappelle aussi les joutes et les dialogues interreligieux que l’Institut mène avec la faculté d’Al-Azhar, autorité de l’islam sunnite. Aux côtés du Pr Oussama Nabil, il forme un duo étonnant qui rappelle que le dialogue islamo-chrétien que leurs deux centres mènent est un « dialogue loin des formules de politesses » mais davantage « un échange corsé sur des points qui nous divisent profondément ».

À la fin de leurs interventions, largement applaudies, certains n’hésitent pas à leur poser des questions et à demander d’être photographiés aux côtés des deux hommes qui semblent avoir fait grande impression auprès des chrétiens.

Au retour, Frère Maxime semble ravi : « C’est un moment fort que nous avons vécu. C’est aussi ce désir de dialogue que je voulais transmettre lors de cette retraite. » Engagée dans l’accueil de familles réfugiées dans leur village bourguignon, la communauté de Taizé a ainsi reçu et accompagné dans leur nouvelle vie une famille chrétienne d’Irak puis une autre famille d’Égypte. Depuis un an, chose inédite, ils ont décidé d’accueillir une famille musulmane de Syrie auparavant réfugiée au Liban.

Ce désir de dialogue et de rencontres, les frères de Taizé, présents au nombre de quatre, l’ont largement transmis et mis en application en France et ici en Égypte. Au mois de mai dernier, ils avaient lancé le premier week-end islamo-chrétien, au cours duquel des centaines de jeunes musulmans et chrétiens avaient pu échanger.

Lors de cette retraite au sein d’Anafora, ils ont invité deux jeunes musulmanes, dont Radia Bakkouch, présidente de l’association interconvictionnelle française Coexister.

Face aux jeunes volontaires d’Anafora, Frère Maxime, taquin, ne cache pas son désir de renouveler l’expérience en invitant un nombre égal de musulmans.

La veille du départ, les participants ont organisé un Festival des nations où ils ont célébré leur spiritualité et leurs traditions respectives avant de se quitter et de rejoindre leur église respective et leur vie quotidienne. Georges, étudiant en informatique à Alexandrie, ne peut cacher son émotion : « Ici on était hors du temps et hors de l’espace. En tant qu’Égyptien, je n’ai pas la chance de rencontrer des jeunes venus de plus de 22 pays différents. »

Les jeunes Irakiens rejoignent Bagdad sans avoir offert cartes et drapeaux de leurs pays, entonnent un dernier chant sous les applaudissements des derniers participants. « Priez pour nous et pour l’humanité », lancent-ils.