Union entre juifs et musulmans : l’amour plus fort que la religion ?

Par Mylène Bertaux, le 28/12/2017

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Ils s’aiment mais n’appartiennent pas à la même culture. Ils tentent d’inventer leur histoire, souvent malgré la désapprobation de leurs familles ou de leurs amis. Juifs et musulmans, comment s’aimer malgré les différences ?

« Pour sa famille, j’étais le sheitan, le diable. » Anaïs, 24 ans, se souvient avec amertume de sa relation avec Djamel [les prénoms ont été changés, ndlr]. Son histoire débute en 2015 quand la jeune femme arrive en Belgique. Elle n’y connaît personne. Sa colocataire l’inscrit sur un site de rencontres amicales, « pour lui trouver des amis ». Horrifiée, elle bondit sur la souris et le clavier pour clôturer son compte. « Au moment de tout supprimer, j’ai reçu un message de Djamel. Je l’ai immédiatement trouvé beau. » Entre eux, la connexion, d’abord virtuelle, est immédiate. Ils commencent à se fréquenter en secret.

Mais, très vite, les choses se gâtent. La famille d’Anaïs, juive, est libérale. Elle-même n’est pas pratiquante. Mais celle du jeune homme de 27 ans, musulmane pratiquante originaire du Maroc, rejette violemment cette union. « C’est allé très loin ! Le harcèlement était constant. » La mère de Djamel finit par poser un ultimatum au jeune homme : c’est elle ou Anaïs. Malgré une demande en mariage qu’Anaïs refusera pour « ne pas se marier pour de mauvaises raisons », l’histoire s’arrête en 2016. « Il a fait un choix de vie, je préfère ne pas être mêlée à cela, J’ai vécu le grand amour », conclut tristement la jeune femme.

Une union sous conditions

La rupture d’Anaïs et de Djamel n’est pas un cas isolé. Comme eux, de nombreuses unions judéo-musulmanes volent en éclats, brisées par la pression culturelle ou religieuse.

Pour Michel Serfaty, rabbin de Ris-Orangis et président de l’Amitié judéo-musulmane de France (AMJF), rien d’étonnant. Au cours de sa carrière, il a pu constater que l’une des conditions sine qua non de la réussite d’une union mixte est l’éloignement de la religion et des coutumes. « Ces relations sont considérées comme normales quand les religions juive et musulmane sont vécues de façon sécularisée. » Autrement dit, quand il existe un détachement face aux rites et à la tradition, les chances de réussite pour le couple sont plus fortes. De là un célébrer un mariage interreligieux ? « J’ai eu beaucoup de demandes. Mais cela n’a pas de sens. Une union ne peut pas être célébrée si la confession n’est pas la même. En revanche, je peux faire une bénédiction. La dernière remonte à avril dernier. »

Pour Isabelle Lévy, auteure du livre Vivre en couple mixte - Quand les religions s’emmêlent (L’Harmattan, 2012), les couples mixtes sont plus fragiles que les couples dits traditionnels. « Ils sont davantage exposés à la rupture. Environ un couple sur deux se sépare, car il est confronté à des problématiques que les autres couples ne rencontrent pas » telle la pression religieuse, familiale ou amicale.

Pour de nombreux croyants, les unions mixtes sont vues comme transgressives. Selon la loi juive, seul un mariage entre juifs est possible. Plusieurs synagogues de différents arrondissements de la capitale nous ont stipulé qu’aucune union mixte n’avait été réalisée, pas même chez les libéraux. Côté musulman, l’homme peut épouser une personne d’une autre religion monothéiste, mais pas la femme qui, selon la lecture la plus littéraliste du Coran, ne peut épouser qu’un musulman.

La différence de religion, un prétexte ?

La thérapeute conjugale et psychanalyste Lélia Pezzillo reçoit tous les jours des couples mixtes dans son cabinet parisien. Selon elle, le problème relève plus du manque d’entente au sein du couple que de la religion. « Le fait d’appartenir à des cultures différentes est un stress supplémentaire dans un ménage. Mais les vrais problèmes ne relèvent pas de la différence de religion. Je suis d’avis que les conflits tiennent à un manque d’entente à d’autres niveaux. Par exemple, le problème de la présence de la famille au sein du couple est finalement universel, même si cela apparaît plus clairement dans la culture méditerranéenne », explique la thérapeute.

La spécialiste insiste sur le fait qu’il ne faut pas être « naïf » en entrant dans une union mixte : les difficultés feront partie intégrante de l’histoire du couple… David et Mehdi [les prénoms ont été changés, ndlr], âgés respectivement de 27 et de 33 ans, sont de culture juive pour le premier et musulmane pour le second.

Même si David avoue ne pas être croyant, il est fier de ses racines juives et a suivi sa scolarité en école religieuse jusqu’à la terminale. Quand il rencontre Mehdi, c’est le coup de foudre. Pourtant, ils savent qu’ils vont devoir se battre contre les préjugés et s’imposer face à leurs familles respectives. David sait que ce n’est pas gagné. Il se souvient encore du moment où sa mère l’a envoyé chez le rabbin quand elle a appris qu’il était gay… Quant à son père, « il ne veut toujours pas rencontrer Mehdi. Alors quand il y a les fêtes de la nouvelle année juive, ma mère ne veut pas que mon copain vienne. Ce qui a le don de l’agacer parce que je dois disparaître plusieurs jours. » La mère de Mehdi envoie régulièrement des cadeaux à David, mais n’a toujours pas franchi le cap de la rencontre. Les deux jeunes gens prennent les choses avec philosophie « Cela va s’améliorer avec le temps. C’est bien parti. On essaye de vivre au jour le jour. » Le couple vient de fêter ses deux ans en emménageant ensemble.

Pour Michel Serfati, « le phénomène des unions mixtes va s’étendre : plus il y a de brassage, plus il y a de mixage ». Doit-on y voir un excès d’optimisme de la part du fondateur de l’association Amitié judéo-musulmane de France (AJMF) ? Les chiffres de l’Insee auraient plutôt tendance à confirmer l’intuition du rabbin.

En 2015, environ 1 mariage sur 7 célébré en France serait mixte, c’est-à-dire célébré entre un(e) Français(e) et une personne d’origine étrangère. C’est la plus grosse proportion en Europe. L’essentiel des conjoints étrangers est composé de ressortissants de pays du Maghreb (37 %), puis de conjoints européens (22 %) et, enfin, de ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne (14 %). Bien qu’il n’existe pas d’indication concernant la religion des époux, le phénomène de fusion semble inexorable.