Balkans : voyage au cœur du laboratoire de l’interreligieux en Europe

Par Linda Lefebvre, le 09/01/2018

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Depuis la conquête ottomane du XIVe siècle, les Balkans, pont entre Orient et Occident, forment une mosaïque d’ethnies, de cultures et de confessions. En dépit des guerres qui ont déchiré la région, prêtres, imams, universitaires ou simples citoyens s’investissent dans le dialogue entre les religions. De la Bosnie au Kosovo, en passant par la Serbie, de multiples initiatives sont mises en place pour construire une société interreligieuse. Reportage.

Au sein du quartier dit ottoman de Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine, à quelques mètres de la fontaine Sebilj et dans une rue aux allures de bazar turc, se situe le conseil interreligieux de Bosnie-Herzégovine. Fondé en 1997, il est présidé par des représentants des cultes musulman, catholique, orthodoxe et juif.

Vingt-deux ans après la fin de guerre, qui a fait près de 100 000 morts, la mission de l’organisation non gouvernementale est de favoriser le dialogue entre les diverses communautés. « Nous œuvrons à construire la société civile à travers le dialogue interreligieux », explique Emir Kovacevic, représentant des communautés musulmanes au sein du conseil. « La diversité religieuse est mise en difficulté depuis la fin de la guerre. Le défi de notre institution est de renforcer les minorités religieuses dans les trois fédérations composant la Bosnie-Herzégovine, car ces groupes sont vulnérables », explique Olivera Jovanovic, représentante de l’Eglise orthodoxe.

Encourager toutes les initiatives éducatives interreligieuses

Aujourd’hui, sur les 4 millions de citoyens en Bosnie, plus de la moitié sont musulmans, un tiers appartient à l’église orthodoxe, 15 % sont catholiques et 3 % sont de confession protestante ou juive. La religion est étroitement liée à l’origine ethnique. Ainsi, au sein de la fédération de la Bosnie-Herzégovine, les Bosniaques sont musulmans, les Croates catholiques et les Serbes orthodoxes. « La guerre n’était pas une guerre de religion, celle-ci a juste été utilisée par les politiques afin de servir leurs intérêts », rappelle le père Hrvoje Vranjes, représentant catholique au conseil interreligieux. Une position à laquelle tiennent tous les membres du conseil, qui considèrent que le problème religieux est avant tout une question politique.

Au quotidien, le conseil encourage toutes les initiatives éducatives interreligieuses : il organise des visites de lieux de culte, soutient un réseau de femmes pour la tolérance religieuse et promeut de nombreuses rencontres dans les multiples villes de la Bosnie-Herzégovine. « Il y a une croyance et des possibilités pour un meilleur avenir », conclut Olivera Jovanovic.

« On ne fait pas que recevoir la paix, il faut travailler dessus »

Cette position est aussi partagée par le père Pavle Mijovic, enseignant de théologie catholique à Sarajevo. A 33 ans, ce prêtre catholique d’origine croate vient de lancer, avec un ami imam, un master en études interreligieuses et de paix réunissant la faculté de théologie catholique de Sarajevo, la faculté des sciences islamiques ainsi que la faculté de théologie orthodoxe de Saint Basil d’Ostrog.

Accueillant une trentaine d’étudiants des différentes religions de Bosnie-Herzégovine ainsi que des laïcs ou des fonctionnaires, la formation présente les grands piliers des différentes confessions, des clés d’interprétation des grands enjeux contemporains (migrations, écologie, terrorisme…) et met en situation les étudiants dans diverses institutions religieuses.

« On doit travailler sur ces questions, peu importe d’où l’on vient. On ne fait pas que recevoir la paix, il faut travailler dessus », expose le père Pavle Mijovic. C’est pour cela que, en 2016, avec le soutien du conseil interreligieux de Bosnie-Herzégovine, il a écrit avec son ami le théologien musulman Mohamed Fazlovic, The One. L’ouvrage recense les similitudes entre le Coran et la Bible sur des thèmes tels que la paix, la famille, la justice ou encore l’espoir. Un appel au dialogue, dans cette ville que le prêtre qualifie de « Jérusalem de l’Ouest ».

« On ne peut se comprendre qu’à travers les différences »

A quelques 300 km de la Jérusalem de l’Ouest, à côté d’une fontaine de style ottoman similaire à celle de Sarajevo, dans une petite ville du sud-ouest de la Serbie, se dégage, en cette matinée de novembre 2017, la silhouette blonde d’Adriana Maksimovic. A Novi Pazar, ville de la région du Sandjak à majorité musulmane où elle est née, Adriana appartient à la minorité orthodoxe. Une chance de changer les choses pour cette enseignante de sciences politiques qui souhaite que l’éducation apprenne aux jeunes la tolérance. « L’éducation forme à un métier mais elle nous construit intérieurement, et c’est le plus important », analyse-t-elle.

« Le processus d’acceptation doit venir des personnes et non de corps officiels. On ne peut se comprendre qu’à travers les différences, les autres. Cela renforce au contraire l’attachement à sa religion et aide à construire sa propre identité », ajoute-t-elle. Pour Adriana, Novi Pazar est un exemple de multiethnicité et les fondations de cette diversité sont assez solides pour faire rempart contre certains extrémismes.

Afin de favoriser ce dialogue, les municipalités serbes ont créé, au début de l’année 2017, des conseils inter-ethniques composés chacun de trois Serbes (orthodoxes) et de trois Bosniaques (musulmans). Si les résultats ne peuvent encore être visibles, l’ONG Urban-In estime que la priorité est au changement du système éducatif qui, dès le primaire, favorise le communautarisme. Pour son directeur, les municipalités doivent investir dans la jeunesse et promouvoir la mobilité des étudiants afin qu’ils sortent de leurs petites villes, sous peine de garder les préjugés qu’ils ont sur les autres religions. « La paix dans les Balkans dépend de la réussite du dialogue entre les religions dans le Sandjak », estime Admir Muratovic, recteur de l’Université islamique de Novi Pazar.

« Il n’y a pas de raisons de ne pas pouvoir vivre ensemble en France »

« Il y a un challenge dans la diversité des cultures mais si les Serbes et les Bosniaques peuvent vivre ensemble malgré les horreurs de la guerre, il n’y a aucune raison qu’en France cela ne soit pas possible », affirme Admir Muratovic, recteur de la faculté islamique de Novi Pazar. Imam pendant plus de dix ans, il considère que les musulmans sont une réalité que la société française ne peut plus nier. La priorité est pour lui « le dialogue entre les musulmans, avant tout dialogue interreligieux ».

En effet, tant le secrétaire général de la communauté musulmane au Kosovo, Rassoul Rajab, que le théologien musulman Mohamed Jusic, estiment que la priorité est pour les musulmans français d’avoir des représentants. « L’Europe ne reconnaît que les institutions, il faut donc que les musulmans s’organisent », explique Mohamed Jusic.

Un effort de compréhension qui doit aussi être mutuel. « Un pays démocratique ne devrait pas interdire à ses citoyens de pratiquer leur religion tant que cela est effectué de manière pacifique », tranche Admir Muratovic. Pour autant, « les musulmans doivent être meilleurs envers les non-musulmans », pour Rassoul Rajab. En voici quelques pistes de réflexion à engager pour un islam de paix en Europe.

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