Solidarité : donner de soi, de son temps, de son argent

Par Samia Hathroubi, le 18/05/2018

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Ramadan 2018

Souvent discret, difficilement quantifiable, le don est pluridimensionnel. Il est une pratique sociale qui puise souvent au plus profond de convictions philosophiques et religieuses.

Si vous vous promenez dans les rues de Thaïlande, tôt le matin, vous pourriez être surpris-e par la vue de bonzes, ces moines bouddhistes qui traversent silencieusement la ville pour tendre leur bol et recevoir l’offrande de nourriture que leur octroient les habitants. Ce rituel est inscrit dans l’ordre des bhikshus, qui sont totalement dépendants de la générosité des laïcs pour leur subsistance. Il illustre à des milliers de kilomètres de chez nous la centralité du don présente dans toutes les traditions philosophiques et religieuses.

Peu connus dans le monde francophone, les sikhs constituent l’un des plus importants mouvements qui participent à grande échelle à subvenir aux besoins premiers des populations démunies. Ils sont à l’initiative du langar, qu’ils reproduisent partout où ils vivent. Le langar est une forme de cantine populaire végétarienne, ouverte à tous, sikhs et non-sikhs, et qui sert de la nourriture gratuitement.

En pleine guerre, à l’été 2015, des sikhs britanniques ont créé des boulangeries gratuites en Irak et près de la frontière syrienne pour les réfugiés de la région. Avec leurs turbans et leurs barbes qui les font parfois être confondus avec les partisans de Daesh, ils continuent d’approvisionner des familles entières jusqu’à aujourd’hui.

La tradition du langar, qui existe depuis le XVIe siècle, est perpétuée par la communauté sikhe qui s’élève à plus de 27 millions d’habitants, dont 83 % sont en Inde et le reste est sur pratiquement sur tous les continents.

En faveur des réfugiés

La crise des réfugiés qui a percuté l’Europe dans sa totalité a donné lieu à de nombreuses initiatives interreligieuses autour desquelles chacun-e a mis en pratique sa conception du don et ses intimes convictions.

En 2016 et 2017, des rabbins et des imams anglais ont joint leurs voix et leurs forces à Calais. Parmi les membres de cette délégation, on compte le rabbin Herschel Gluck, reconnu outre-Manche pour son engagement au sein du Forum judéo-musulman de Londres, et cheikh Mustafa Badru du Centre communautaire Ummah de Harlesden, au nord-ouest de Londres. Ayant levé des fonds auprès de leurs communautés respectives, ils ont distribué vêtements et packs d’hygiène pour les réfugiés et sont venus écouter leurs parcours afin d’influer sur la politique d’immigration de Grande-Bretagne depuis la frontière française.

Un des rabbins présents, Alexander Goldberg, rabbin à Belmont, expliquait, la veille de son départ, sa décision de se rendre à Calais en citant la Torah : « Tu n’opprimeras point l’étranger; vous savez ce qu’éprouve l’étranger, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte. »

Des repas de noces à partager

Aminata Sakho, déléguée nationale à la solidarité de l’association interconvictionnelle Coexister, ne pouvait pas rester non plus les bras croisés face à la crise de Calais.

Quand la délégation Europe de la Foundation for Ethnic Understanding a pensé un projet autour du don en mobilisant des jeunes juifs, musulmans, athées, agnostiques et chrétiens en faveur des réfugiés à Calais, elle a tout de suite répondu présent. Ainsi, en juin 2016, pendant une semaine, une équipe de dix jeunes, après avoir récolté vêtements, jeux, produits de première nécessité, a passé une semaine au service d’une association présente dans la ville de Grande-Synthe aux côtés de migrants du Darfour, d’Afghanistan et d’Érythrée.

Loin de la France et de la Grande-Bretagne, la Turquie est le pays qui accueille le plus grand nombre de réfugiés syriens (3,3 millions). Tandis que de nombreuses associations viennent en aide aux réfugiés chaque jour, l’initiative portée par Fethullah Üzümcüoglu et Esra Polata a eu, au paroxysme de la crise, un retentissement médiatique particulier. En août 2015, au lieu du buffet traditionnel partagé avec les amis et la famille, ces jeunes mariés turcs ont eux-mêmes distribué la nourriture prévue le jour de leurs noces à plus de 4 000 réfugiés syriens, dans la province de Kilis, frontalière de la Syrie. Un acte de générosité dont l’objectif était, selon eux, d’« inciter plus de gens à partager leur repas de mariage avec des gens qui sont réellement dans le besoin ».

Juifs et musulmans : agir ensemble

Le don peut aussi s’apprendre dès le plus jeune âge. C’est le sens du projet « Sadaqa / Tsedaka », mis en place par la synagogue libérale de Yann Boissière dans le 15e arrondissement de Paris et l’association culturelle Hozes, à Sevran, en Seine-Saint-Denis. En islam, tandis que la zakât al-maal (impôt social purificateur) et la zakât al-Fitr (aumône du Ramadan) sont obligatoires, la sadaqa est un don non obligatoire, dont l’objectif est de se rapprocher de Dieu. Dans le judaïsme, la tsedaqa est non seulement un acte de charité mais aussi, du point de vue étymologique, un acte de justice. Les traditions talmudiques vont jusqu’à dire que c’est celui qui donne qui a le plus à gagner.

C’est autour de ces similarités que des adolescents français, âgés de 13 à 18 ans, se sont rassemblés durant quelques weekends de l’année scolaire 2016-2017, afin de mieux connaitre leurs propres convictions, celles de l’autre, mais surtout d’agir ensemble. Leurs rencontres ont donné lieu à une opération de solidarité entreprise communément. Un dimanche du mois de mars 2017, ils se sont levés tôt pour préparer des paniers repas et les distribuer auprès de réfugiés présents près de Porte de la Chapelle (Paris 18e).

L’initiative relayée par les médias a été reprise par un groupe de femmes juives et musulmanes bruxelloises. Celles-ci ont organisé une opération similaire dans leur ville via la communauté juive Chabad de Bruxelles et l’association CEJI (Contribution juive à une Europe inclusive). La dernière action a eu lieu au mois de décembre 2017 et la coordinatrice du projet Stéphanie Lecesne ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : « J’accueille chez moi quand je le peux des migrants qui sont d’habitude dans un parc, près de la gare du Midi. Je suis persuadée que chacun à sa manière peut participer à cet élan de solidarité et profiter de nos rencontres pour se rendre utile. »

Contribuer à la mosaïque du monde

Les nouvelles technologies modifient les mobilisations solidaires. C’est le pari gagné par Launch Good, plateforme américaine de crowndfunding, fondée et dirigée par Chris Blauvelt, Amany Killawi et Omar Hamid.

Avec plus de 37,2 millions de dollars récoltés depuis son lancement en 2013, Launch Good a financé près de 3 500 projets dans une centaine de pays. En février 2017, la plateforme de financement participatif a permis de restaurer des tombes juives profanées aux États-Unis. En moins de quelques heures, les objectifs de la campagne étaient atteints et s’élevaient à plus de 162 400 dollars (131 200 euros).

Launch Good, qui s’enorgueillit de mobiliser plus de 200 000 donateurs, a reçu plusieurs prix, notamment l’Islamic Economy Award, catégorie petites et moyennes entreprises, aux Émirats arabes unis. « Nous croyons fermement que la communauté musulmane mondiale est incroyable. Celle-ci a un énorme potentiel », peut-on lire sur le site Internet de Launch Good. Et la start-up de poursuivre : « Nous croyons qu’en tant que musulmans nous avons des valeurs incroyables qui sont inspirées par notre foi et que nous avons tant à contribuer à la belle mosaïque de la société mondiale. »

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Samia Hathroubi est déléguée Europe de la Foundation for Ethnic Understanding.