Samuel Grzybowski : « L’urgence du lien est aussi forte que l’urgence environnementale »

Par Hanan Ben Rhouma, le 22/10/2018

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Samuel Grzybowski fait son come-back avec « Fraternité radicale » (Les Arènes) sorti mercredi 17 octobre. Après « Tous les chemins mènent à l'autre » et « Manifeste pour une coexistence active » parus aux éditions de l’Atelier, le fondateur de l’association Coexister signe son troisième livre à 26 ans dans lequel il revient sur son départ - temporaire - du mouvement interconvictionnel mais également sur la décennie passée en son sein. C’est à Paris, lors de la présentation de son nouvel ouvrage, que Saphirnews est allé à sa rencontre. Interview.


Saphirnews : Pouvez-vous déjà nous rassurer sur votre état de santé ? Vous commencez votre livre en parlant d’un burn-out sévère en 2016 qui vous a obligé à quitter temporairement Coexister…

Samuel Grzybowski : Ça va beaucoup mieux ! Mon année de césure a été très fructueuse. J’ai retrouvé beaucoup de goût à la vie, de kif.

(…) Mon état de santé est régulier parce que je sais de quelle maladie je souffre. C’est une maladie nerveuse très spécifique, j’apprends donc à la canaliser et je travaille de manière beaucoup plus compartimentée. Je suis toujours déterminé à être au service de Coexister mais avec moins de charges mentales, notamment grâce à Radia Bakkouch parce qu’en tant présidente de Coexister, c’est elle qui prend le plus dur sur la tête.

Quelles leçons avez-vous retenu de cette année de césure ?

Samuel Grzybowski : Pleins de leçons ! Des leçons aussi bien humaines que spirituelles. Les grandes leçons humaines, c’est de persévérer dans ce que j’avais découvert de la gratuité de la relation aux autres et d’un peu appliquer les fameux quatre accords Toltèques : ne rien prendre personnellement, toujours faire de son mieux, avoir une parole impeccable en l’absence des gens et… Je ne me souviens plus du quatrième (ne pas faire de suppositions, ndlr) mais voilà de grandes leçons sur comment ses relations aux autres doivent être plus sources de paix.

Toltèques, dites-vous ?

Samuel Grzybowski : C’est une civilisation qui a disparu en Amérique du Sud. Les chercheurs qui ont enquêté dessus se sont beaucoup interrogés sur le fait qu’il y ait une absence de guerre pendant toute la période où cette civilisation s’est développée. Ils ont essayé de comprendre pourquoi et ont découvert quatre accords de vie qui étaient une espèce de philosophie généralisée. Ce sont quatre belles choses que j’ai redécouvert cette année-là.

(…) J’ai aussi appris beaucoup de leçons spirituelles dans le fait de distinguer son travail de ses fruits, à savoir que les fruits ne dépendent pas que de moi, ils dépendent aussi de la conjoncture, des autres, de Dieu (en tant que croyant). Donc prendre cette distance-là entre ses fruits. De créer une distance aussi entre l’être et le faire : ce que je suis ne se résume pas à ce que je fais et ce que je fais contribue à ce que je suis mais je suis beaucoup plus que ça. Et ça aussi, ça évite de s’enfermer dans des prisons mentales.

Le livre revient beaucoup sur ces leçons. Certaines générations X de plus de 45 ans m’ont dit : c’est un livre très introspectif, développement personnel… Les moins de 40 ans ont adoré parce qu’ils adorent justement le développement personnel. C’est un livre qui revient sur des tourments intérieurs, je ne vais pas m’en cacher.

Et sur le plan professionnel et militant, votre retrait a-t-il eu un impact ?

Samuel Grzybowski : Oui, bien sûr. J’ai quitté toutes les responsabilités politiques du mouvement. Je ne suis plus sur des tâches très opérationnelles qui me sont confiées par un niveau politique mais que je continue néanmoins de conseiller, c’est-à-dire Victor Grèzes en tant que président de Convivencia (l’agence de conseil autour des questions de religions et laïcité, liée au mouvement Coexister, ndlr) et Radia Bakkouch en tant que présidente de Coexister. Je suis toujours auprès d’eux. Mais ce sont eux qui assument le dernier mot. Quand ils prennent une décision qui ne va pas dans le sens que j’aurais voulu, je l’accepte en leur disant les conséquences et c’est eux qui en prennent la charge.

Je travaille toujours 60 heures par semaine depuis que je suis revenu, mais j’ai beaucoup moins de charges mentales. Je pense que ce qui fait péter (une personne), c’est la charge mentale cumulée avec des problèmes professionnels lourds, notamment en période de polémiques. Et à chaque fois, cela crée des problèmes personnels. En ce moment, (…) j’ai peu de charges mentales donc les voyants sont au vert.

Pourquoi avez-vous écrit le livre ?

Samuel Grzybowski : Je pense que c’était pour parler de l’urgence de la fraternité. C’était indispensable. C’est aussi pour raconter cette première décennie de Coexister et restituer nos réussites (…) grâce à la persévérance. Que si on a réussi à faire ce que l’on a fait, il y a encore beaucoup à faire. Je voulais raconter cette persévérance, c’est aussi pour cela que j’ai choisi « Fraternité Radicale ».

Que vous a apporté l’écriture à titre personnel ?

Samuel Grzybowski : L’écriture, c’est une aventure et des liens. C’est du lien entre soi et son sujet, entre soi et l’éditeur, entre soi et les relecteurs, entre soi et les testeurs… cela fait beaucoup de liens. Et ce livre a été difficile à écrire, ça a été beaucoup de remises en cause, ça apprend beaucoup l’humilité.

Ce qui était facile là (pour ce livre), c’est que comme je ne me revendique pas auteur, j’accepte beaucoup plus la critique. Mais disons que je me suis dit : le niveau d’acceptation de la critique que tu as sur ce livre, ce serait bien que tu l’aies en d’autres domaines. J’ai encore à travailler là-dessus parce que c’est facile de critiquer quand on ne cherche pas à être auteur mais il faudrait que j’accepte encore plus les critiques sur l’entreprenariat parce que, pour le coup, j’assume d’être entrepreneur.

Pouvez-vous réexpliquer le concept de « fraternité radicale » qui est le titre ?

Samuel Grzybowski : La fraternité, c’est parce qu’on revient sur les 10 ans de Coexister, on parle de cette création de liens pour vivre avec les autres et pour les autres. Et radicale, il y avait plusieurs raisons : d’abord, il y a les difficultés traversées, j’en ai déjà parlé. Ensuite, c'est de dire : « On n’est pas tièdes, on fait les choses entièrement, on les fait à fond » ; c’est ce que dit Victor Hugo en parlant de la fraternité républicaine dans l’inspiration qui est au début du livre, c’est aussi ce que disent les écolos radicaux aujourd’hui...

La troisième raison, c’est de ne pas laisser la radicalité, qui est en fait le retour à la racine, à l’inspiration de départ, à la réintérrogation sur le lancement, au radicalisme qui, aujourd’hui, confisque complètement le radical. On a besoin de gens radicaux qui ne soient pas radicalistes.

« Avec et pour les autres », quelle est la différence pour vous ?

Samuel Grzybowski : La différence, c’est que « pour les autres », il y a une dynamique de service qui est belle mais qui est parfois condescendante parce que c’est la main tendue et je crois que nous avons besoin de résoudre les problèmes ensemble. Donc dans le « avec », il y a aussi deux pour : pour toi, pour moi. Et le « avec » est indispensable parce que ça nous met à égalité et c’est là que le lien devient une préfiguration de cette égalité que nous essayons de créer grâce à « avec ».

Vous faites le lien entre justice et paix dans l’ouvrage…

Samuel Grzybowski : Je conclus l’ouvrage sur le fait que j’ai passé 10 ans à me battre pour la paix et que je comprends, avec un peu de recul, que c’est très bien ce qu’on a fait, je ne regrette pas du tout, mais qu’on ne peut pas vraiment se battre entièrement pour la paix sans s’engager pour la justice. Il n’y a pas de liens sans égalité. Si on veut donc créer des conditions de liens, il faut aussi créer des conditions d’égalité et la question que je pose à la fin du livre, c’est pourquoi ne pas consacrer la prochaine décennie à la justice ? En réalité, il faudrait consacrer la prochaine décennie aux deux.

Vous parlez aussi beaucoup de votre milieu d'origine (privilégié) dont vous êtes issu. Avez-vous voulu vous en échapper en créant Coexister ?

Samuel Grzybowski : Je ne sais pas si j’ai voulu m’échapper de mon milieu d’origine, je crois plutôt que j’ai voulu revenir à un milieu de départ puisqu’en fait dans mon école primaire, il y avait 42 nationalités et j’ai grandi dans cette espèce d’arc-en-ciel fantastique et quand j’ai rejoint le collège et le lycée, j'étais dans un milieu proche du mien, très bourgeois parisien qui m’a asphyxié par son uniformité. J’ai voulu donc retourner à la différence à la relation à l’autre...

Donc ce n’est pas forcément m’échapper de mon milieu d’origine mais c’est de garder des gens dans mon terroir - je parle de ma famille qui est présente à Arcachon, en Lorraine - mais tout en gardant cette ouverture ; d’avoir un arbre à la fois ancré et ouvert parce que là où j’ai été mis au collège et lycée, c’était que de l’ancrage fermé, pourri, uniforme, univoque… Ça m’a vraiment déprimé à cette époque de ma vie et c’est pour cela que je me suis abonné au Parc des Princes. J’en parle pendant un chapitre, le troisième, en disant que ces cinq années au Parc des Princes ont fait que j’ai pu tenir au collège car, sans Parc des Princes, mon collège aurait été un vaste enfer de harcèlement.

Dans quelle mesure la prise de conscience de vos privilèges vous ont aidé à vous construire ?

Samuel Grzybowski : Je n’ai pas peur du mot privilège, j’en ai clairement bénéficié et je suis très bourgeoisie en plus. Même sans lettres, j’ai des privilèges sociaux et ethniques, j’ai des privilèges de genre (je suis un homme)… Tous ces privilèges, je crois qu’il ne faut pas en rougir car je ne suis ni responsable, ni coupable de les avoir reçus. La question maintenant, c’est quelle responsabilité cela engage chez moi quand je conscientise ces privilèges ?

Je risque de me demander ce soir (après la présentation du livre, ndlr) : finalement, il y a beaucoup de jeunes qui se diront qu’ils n’ont pas eu toute ta chance alors ? Oui et non. Premièrement, parce qu’il y a beaucoup d’autres personnes en France qui ont les mêmes privilèges que moi, indépendamment de mes expériences, et que ces gens peuvent décider soit de les abolir, soit de les réinvestir. Deuxièmement, parce que ceux qui n’ont pas le sentiment d’avoir eu mes expériences et qui sont dans une autre forme de privilèges par la vie, je pense pouvoir quand même chercher chez eux des choses qu’ils ont reçu et qu’ils peuvent rendre. Et c’est ce mouvement-là qui épanouit. La responsabilité, c’est de rendre tout ce qu’on a reçu, peu importe la quantité de part et d’autre tant que ça circule à travers soi.

Vous dites être hypermnésique, beaucoup y voient des côtés positifs. Est-ce que vous pouvez revenir sur les faces sombres de ce trouble et comment vous arrivez à le gérer ?

Samuel Grzybowski : J’ai été diagnostiqué hypermnésique quand j’étais en seconde. C’est une exaltation de la mémoire, tout le monde se dit : il retient tout, c’est en partie vrai.

Les côtés négatifs, c’est une obsession pour les chiffres et les dates. Puis, il y a un fonctionnement cérébral très organisé, très militaire qui peut donner un sentiment d’austérité ou de froideur parfois dans certains traitements de sujets… J’ai donc appris à vivre avec, en expliquant aux gens que je connais et en essayant de me taire parfois, pour ne pas montrer mon hypermnésie.

L’hypermnésie n’empêche pas la contemplation de la vie mais je ne sais pas l’exprimer. On a l’impression que, même dans un moment de contemplation, je suis en train de compter des choses, que je devais le statistifier alors que pas du tout… Je ressens les choses comme tout le monde mais je ne sais pas les dire quand elles sont en dehors du cerveau, émotionnelles. C’est très étonnant.

Quel message souhaiteriez-vous faire passer aujourd’hui ?

Samuel Grzybowski : Le message premier que je souhaite passer, c’est que l’urgence du lien est aussi forte que l’urgence environnementale et que, peut-être, quand on aura pris conscience qu’on a besoin les uns des autres, on sera plus fort pour faire face au changement climatique. C’est indispensable de recréer ce lien-là avec les autres et d’en faire une priorité absolue, métapolitique, au-dessus de tous les autres sujets.

Lire aussi : Radia Bakkouch : Notre identité convictionnelle est une richesse pour notre identité nationale

Samuel Grzybowski, Fraternité Radicale, Éditions des Arènes, octobre 2018, 254 p., 18 €