Nayla Tabbara a la voix douce, mais le propos ferme et convaincu. Dans son ouvrage « L’islam pensé par une femme » (Bayard, 2018), la théologienne libanaise ne se pose pas seulement comme une féministe qui décortiquerait le Coran pour revendiquer l’égalité des droits. Elle outrepasse cet horizon, allant vers plus d’universel, en s’intéressant à ce que l’on nomme les « autres » (les minorités, les marginalisé-e-s, les personnes atteintes de handicap...), pour prôner plus d’inclusion et plus de justice. À travers l’analyse des 99 Noms divins, elle déconstruit la vision patriarcale que nous avons de Dieu, en distinguant les noms de majesté (plutôt masculins) et les noms de beauté (plutôt féminins), pour en déduire un Dieu qui va au-delà du genre. À partir de ses recherches herméneutiques et de son expérience en tant que vice-présidente de la fondation Adyan (qui promeut le vivre-ensemble dans des sociétés pluralistes et la solidarité spirituelle interreligieuse), Nayla Tabbara construit toute une théologie de l’altérité, de la diversité, voire de la fragilité. Rencontre.
Saphirnews : Pourquoi, dans votre ouvrage « L’islam pensé par une femme », n’avez-vous pas voulu vous concentrer uniquement sur des sujets dits féminins comme le voile ou la polygamie ?
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Rappelez-nous votre parcours. Car nombre de lecteurs peuvent se dire : « Mais quelle est votre légitimité en tant que femme pour parler d’islam ? »
J’ai commencé à penser la question de la diversité en islam, lorsque je suis allée à Rome étudier la théologie chrétienne, pendant 6 mois, dans les universités vaticanes. Là, je me suis retrouvée comme « représentante de l’islam » car tout le monde me posait des questions aussi diverses qu’imaginables ! J’ai voulu agir en conformité avec ma religion, en puisant dans le Coran. Or, ce que j’avais à disposition, c’était soit une approche légaliste liée à une époque où l’islam médiéval était plutôt conquérant. Soit un discours qui parle de Marie et de Jésus, où l’islam est une religion de paix, mais qui omet les versets plus problématiques. Soit, au contraire, un discours qui ne retient que des versets comme celui du sabre, qui enjoint de ne pas prendre les chrétiens ou les juifs pour alliés.
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C’est plus tard, quand j’ai étudié les féministes musulmanes, leur méthodologie d’approche du Coran, mais aussi les nouvelles méthodologies (thématique, contextuelle, historico-critique, chronologique…), que j’ai pu appréhender l’interprétation des textes religieux.
J’ai pu aboutir à une théologie de la diversité, de l’altérité, qui répond à ce que je crois profondément en tant que musulmane : Dieu veut que nous soyons vraiment ouverts aux autres.
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Quelle est cette théologie de l’altérité ?
Pour moi, une théologie pluraliste, une théologie qui englobe les autres, qui les inclut et les accepte, nous aidera en tant que musulmans à retrouver notre beauté en nous.
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N’avez-vous pas l’impression d’être mieux acceptée en tant que femme dans le monde non musulman plutôt que dans le milieu intramusulman ?
Si Al-Azhar promulgue aussi ce que je dis, cela veut dire que, finalement, ils me reconnaissent une légitimité. Donc il y a une reconnaissance aussi dans le milieu musulman.
Faites-vous partie du mouvement féministe musulman ?
Je fais partie de ce mouvement dans le sens où je m’intéresse beaucoup au travail des féministes. C’est comprendre l’aspect révolutionnaire du Coran mis dans son contexte. Le Coran donne des droits et les voix aux femmes ! Le verset sur la polygamie est très clair : il l’autorise si l’on parvient à être équitable ; plus loin, il dit qu’il sera difficile de l’être, donc le Coran nous pousse plutôt vers la monogamie.
Le Coran est un très bon pédagogue. Aujourd’hui, un pédagogue n’impose pas ses idées : il ouvre les questions et laisse les élèves parvenir à leur propre réflexion.
Dans votre ouvrage, vous invitez à suivre cette « pédagogie coranique ». Exit la lecture littérale, le Coran n’est pas un point final mais il est la lettre majuscule des interprétations à venir...
Vous employez beaucoup le mot « engagement » : envers Dieu, envers soi et avec les autres. Classiquement, on traduit « islam » par « soumission à Dieu ». Or vous placez le musulman et la musulmane comme étant « pro-actifs » ?
Dans la vie, on a une responsabilité. Pourquoi le Coran dit : « Vous êtes la meilleure communauté » ? Ce n’est pas dans le sens identitaire (être musulman-e). Sont meilleur-e-s celles et ceux qui font le bien, qui arrêtent le mal : faire le bien pour les gens, arrêter l’oppression… C’est ce qu’on trouve dans le message coranique.
Vous présentez aussi une théologie de la fragilité en abordant la question du handicap. Cette question est en effet peu traitée par les théologiens musulmans…
La relation que l’on a avec une personne ayant un handicap apprend à la personne qui n’a pas de handicap apparent à accepter ses propres limites et ses faiblesses. Pourtant, dans notre société, nous essayons toujours de couvrir nos faiblesses, ce qui nous rend parfois arrogants. La sourate 80 qui évoque l’attitude du Prophète qui n’a pas accordé d’importance à une personne aveugle – qui finalement a joué un grand rôle parmi les premiers compagnons – nous rappelle nos faiblesses.
Finalement, le Coran nous pousse vers l’inclusion d’une manière très forte. La théologie de la fragilité souligne notre interdépendance, entre personnes avec handicap et personnes sans handicap apparent.
Vous revendiquez-vous d’une tradition, d’une école particulière ?
Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui aimeraient lire le Coran ? Dans quel état d’esprit l’approcher ?
Il y a aussi cette manière de lire le Texte comme s’il nous parlait pour notre propre cheminement intérieur. Laissons le Texte vibrer en nous et non pas d’une manière où le Texte reste en dehors de nous !