A la RAMF 2019, un débat sur l’organisation de l’islam de France très animé

Par Hanan Ben Rhouma, le 24/04/2019

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Deux temps forts ont marqué la 36e édition du Rassemblement annuel des musulmans de France (RAMF) au Bourget samedi 20 avril : l’hommage appuyé aux attentats islamophobes de Québec et de Christchurch puis le débat entre les divers acteurs de la réorganisation de l'islam de France dans lequel Musulmans de France (MF) s’est employé à choisir… de ne pas choisir. Pour le moment.

Pour tenter d'enrayer la baisse de fréquentation observée ces dernières années au Salon du Bourget, Musulmans de France (ex-UOIF) n’a pas ménagé ses efforts pour rendre le programme du 36e Rassemblement annuel des musulmans de France (RAMF) attractif. Le Salon du Bourget édition 2019 n’a cependant pas amené la foule des grands jours, malgré le beau temps observé tout le long du week-end prolongé de Pâques, marqué dimanche 21 avril par les attentats sanglants au Sri Lanka.

La veille a été jalonnée par une cérémonie d’hommage aux victimes des attentats islamophobes de Québec en janvier 2017 et les attaques de Christchurch en mars. L’émotion y était palpable sur scène après la diffusion du documentaire « Ta dernière marche à la mosquée ».

Face à l’islamophobie, « nous avons le droit de dire que nous craignons le pire »

« La communauté musulmane de Québec va mieux mais à chaque fois qu'on voit ces images, c'est comme si c'était hier. On ne peut pas oublier », fait part Boufeldja Benabdallah, président du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ). « La justice ne peut pas compenser la perte mais le jugement est important. »

Au-delà de la nécessité de justice aux victimes, « on demande qu'une vraie réflexion soit entamée pour limiter les discours de haine et faire que les porteurs de ces discours soient mis derrière leurs responsabilités », fait valoir Mustafa Farouk, président de la Fédération des associations islamiques de Nouvelle-Zélande (FIANZ).

« Nous (les musulmans) ne voulons pas ressembler à ces communautés qui ont subi des atrocités dans l'histoire. Nous avons le droit de dire que nous avons peur. Nous avons le droit de dire que nous craignons le pire. Ce qui s’est passé au Canada et en Nouvelle-Zélande n'est pas un incident isolé. (…) A quand en France une loi qui sanctionne l'islamophobie ? », lance Amar Lasfar, président de MF, depuis la tribune. « L'islamophobie n'est pas une critique (de la religion). (…) Nous faisons face à un délit et tout délit doit être sanctionné en tant que tel. »

Un débat houleux autour de l’organisation de l’islam de France

Autre temps fort de ce RAMF, la table-ronde suivie d’un café-débat sur l’organisation de l’islam de France qui a réuni sur scène, autour d’Amar Lasfar, Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l'islam de France (FIF), Hakim El Karoui, initiateur de l'Association musulmane pour l’islam de France (AMIF), Ahmet Ogras, président du Conseil français du culte musulman (CFCM), et Feiza Ben Mohamed, porte-parole de la plateforme L.E.S. Musulmans,.

Un front opposé à l'émergence de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF) s'est clairement dessiné. Conscient d'avoir mis les pieds en terrain hostile, Hakim Et Karoui, qui plaide pour une organisation ayant « une relation apaisée à l’Etat » et « sans conflit d'intérêts », ne s’est pas privé de lancer des piques contre le CFCM qui « ne marche pas et n’a jamais marché », tout en concédant le besoin de voir exister « un CFCM rénové » mais uniquement sur le plan de la représentation du culte musulman. Il a également déploré, sans citer nommément la plateforme initiée par Marwan Muhammad, les projets de ceux qui sont « dans une opposition à la France au nom de l’islam ».

Pour Ghaleb Bencheikh, « les musulmans comme citoyens n'ont pas besoin d'être représentés autrement que politiquement ». S'il se montre lui aussi favorable à l'existence d'une instance chargée de la gestion du culte, il veut y voir « des gens compétents, sérieux, intègres, engagés » et non des individus « dont l'horizon suprême est d’être invité à la Garden Party du temps où elle existait » à l’Élysée « pour être des notables ». Le CFCM en prend sérieusement pour son grade.

Les critiques concentrées sur Hakim El Karoui

Ahmet Ogras a très peu goûté aux critiques mais a choisi de concentrer ses attaques sur Hakim El Karoui. Sur un ton visiblement irrité, il a ainsi vilipendé les « extraterrestres qui arrivent et disent ''Vous êtes des incompétents et vous n'avez rien compris'' ». « J'accepte les critiques constructives de gens comme vous (en s'adressant au public, ndlr) mais pas d’extraterrestres. (…) On n’a pas besoin d'experts venus de l'extérieur qui nous font la morale », poursuit-il. Tout en convenant que le CFCM n'est parvenu, quinze jours plus tôt, à n'adopter qu'une « réformette », il martèle qu'elle a été le fruit d'un long consensus entre les fédérations et appelle les mosquées à participer aux prochaines élections de son instance pour la renforcer.

« Il n'est pas question pour nous de détruire l’existant et de construire sur les cendres de l'existant. On n’est pas ici pour cracher sur le CFCM », abonde, en son sens, Feiza Ben Mohammed, fustigeant « les arrivistes sans aucune légitimité qui viennent cracher sur ce qui existe ».

Accusé de négliger la lutte contre l'islamophobie, Hakim El Karoui a, pour sa part, fait une mise a en garde contre les prises de positions caricaturales à son égard. « Il faut lutter contre ceux qui promeuvent la haine contre les musulmans mais aussi celle perpétrée au nom de l’islam. Les deux sont aussi dangereuses pour les musulmans. Il ne faut pas en faire une rente », a-t-il déclaré, avant un café-débat agité, marqué par une passe d’armes entre lui et Marwan Muhammad, qui se prévaut pour sa plateforme d'une légitimité « 27 000 » fois plus importante que l'AMIF, en référence au nombre de personnes qui ont participé à sa consultation. De vifs échanges ont émaillé la soirée, au détriment d’un débat ouvert et apaisé sur le fond et la pertinence des initiatives adressées aux musulmans.

Le retour de MF au CFCM n’est pas acquis

Quelle est la position de MF dans le débat ? Dans la configuration actuelle, la fédération veut se faire désirer. Critique vis-à-vis du fonctionnement du CFCM, Amar Lasfar lui reconnaît tout de même une légitimité, affirmant qu'il ne faut pas « mettre (l’institution) au placard » afin d’éviter « un éternel recommencement ».

Il n’a cependant pas, à ce stade, signifié formellement son souhait de revenir au CFCM, qui lui fait aujourd'hui clairement des appels du pied, face à une AMIF en pleine structuration, qui compte en son sein des proches de MF et qui a tout intérêt à ne pas voir cette fédération réintégrer le CFCM.

La direction de MF doit tout de même composer avec une base militante jeune davantage encline à partager les positions de la plateforme L.E.S. Musulmans. Une base qu’Amar Lasfar entend bien ménager sous peine de voir ses structures de jeunesse s'étioler davantage, menaçant l'avenir de la fédération.

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