Les dérives sectaires, un phénomène en hausse en France qui n'est que « la partie émergée d’un iceberg »

Par Lionel Lemonier et Hanan Ben Rhouma, le 04/11/2022

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Le nombre de signalements pour dérives sectaires explose en France. Pourtant, il ne permet d’observer « que la partie émergée d’un iceberg dont l’ampleur n’est pas connue », selon la Miviludes, qui a rendu son rapport annuel en ce mois de novembre. Ce qu’il faut en retenir, à l'heure où l'exécutif prévoit d'organiser dans les prochains mois des Assises des dérives sectaires et du complotisme.

Non, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) n'a pas disparu et son utilité fait bel et bien consensus à l'aune de son rapport annuel rendu public mercredi 2 novembre. Ce document fait état de l’activité de cet organe et de ses observations du phénomène sectaire sur l’année 2021. Il y a d’abord les indications chiffrées : 4 020 saisines ont été enregistrées en 2021, « soit une augmentation de 86,1 % par rapport à 2015 et de 33,6 % par rapport à 2020 », indique le rapport. Pour la Miviludes, c’est un signe tangible de la reconnaissance du grand public « pour son rôle d’information et d’expertise ».

Second constat, « le paysage sectaire est lui-même plus vaste, plus segmenté et plus mouvant ». La Miviludes précise ainsi que l’offre sectaire contemporaine se caractérise par le fait que, « au-delà des groupes et individus, ce sont parfois des pratiques qui unifient ces communautés. La dérive sectaire est alors invisible et peut frapper en tous lieux puisque ces communautés ne sont pas fondées sur l’autorité d’un meneur spécifique mais uniquement sur un ensemble de méthodes ». Ce que la Mission résume sous une formule : « un phénomène sectaire "à l’état gazeux" : le groupe est bien là, mais il est mobile, changeant et impalpable ».

Dans une interview à Marianne, Sonia Backès, secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, explique que la formule d’état gazeux est utilisée pour « expliquer que, en plus des grandes structures historiques – les multinationales de la spiritualité comme la scientologie et les Témoins de Jéhovah -, on trouve désormais des petites structures qui se forment puis, lorsqu’elles sont repérées, se dissolvent et se reforment autrement, particulièrement dans le domaine de la santé et du bien-être ».

De nouveaux domaines de prédilection et de nouvelles méthodes

La Miviludes explique ainsi que la nouvelle tendance des groupes sectaires est de se doter d’une structure associative pour jouir d’un statut parfaitement légal. L’exemple de One Nation est cité. Ce groupe, persuadée d’être dominée par « une élite pédophile » à la façon des QAnon aux Etats-Unis, est « connu pour sa rhétorique complotiste ». Elle « ne constitue pas à ce jour une dérive sectaire, mais suscite la vigilance de la Miviludes, en raison de sa forte influence sur ses membres et de sa philosophie antisystème fondée sur la notion d’êtres souverains ».

Par le biais du statut associatif, « des groupes sectaires prospèrent et bénéficient d’exemptions fiscales particulièrement importantes. Si ces avantages ne posent pas de difficulté dans le principe, il en est autrement lorsque lesdites associations se comportent comme de véritables entreprises dotées de stratégies marketing bien rodées visant à exploiter les vulnérabilités des fidèles qui constitueront, en pratique, leur capital. Ces derniers seront amenés à prouver leur foi par des dons et des "services" qui enrichiront l’association ». La Miviludes déclare maintenir sa vigilance « contre toute forme d’association qui chercherait à tirer profit de ses avantages fiscaux dans une optique d’enrichissement et d’asservissement de ses fidèles » en alertant l’administration fiscale, « la seule à pouvoir conduire un contrôle approprié de nature à mettre un terme à l’enrichissement indu du groupement ».

Une même rhétorique est utilisée par tous ces groupes ou individus, précise le rapport. Ils se veulent « en opposition à l’ordre établi : les institutions étatiques seraient corrompues, la société serait décadente, la médecine conventionnelle inefficace, etc. Ces discours, caractéristiques des théories complotistes, se nourrissent les uns des autres et se renforcent mutuellement, rendant la mission de la Miviludes toujours plus difficile ». Celle-ci note aussi que « les liens de plus en plus complexes tissés et entretenus par ces communautés contribuent au développement d’une véritable "toile" sectaire ».

Avec la crise sanitaire, le recrutement s’est davantage fait par téléphone, mail ou courriel, relève le rapport. Les nouveaux domaines de prédilection de ces pratiques sectaires sont nombreux et en rapport avec la santé dont les pratiques de soins non conventionnelles, le développement personnel dont le coaching, le complotisme et le mouvement antivax, la méditation et le yoga, le chamanisme et les psycho-spiritualités.

Les mouvances liées aux grandes religions sont également pointées du doigt. La mouvance chrétienne a fait l’objet de 293 saisines, quand les mouvances bouddhiste (26), hindouiste (16), musulmane (10) ou juive (3) sont nettement moins touchées. Surtout comparées aux sectes classiques : Témoins de Jéhovah (99), Eglise de scientologie (33).

Des assises des dérives sectaires et du complotisme en vue

Malgré la hausse significative du nombre de saisines, le chiffre communiqué « ne reflète qu’une tendance et ne permet d’observer que la partie émergée d’un iceberg dont l’ampleur n’est pas connue » assure la Miviludes, qui estime important de « garder à l’esprit que de nombreuses victimes demeurent totalement indécelables. Plongées dans un état de dépendance et de perte d’autonomie psychique, elles n’ont pas conscience de faire l’objet d’une manipulation et ne peuvent se prévaloir du statut de victime pour entamer les démarches nécessaires à la reconnaissance et à la protection de leurs droits ».

Pour « remédier à cette invisibilisation » des victimes qui ne saisissent pas les structures compétentes « par ignorance de leur état, par peur de représailles, par honte d’avoir pris part à une telle dérive ou encore parce qu’elles en sont empêchées », la Miviludes entend, plus que jamais, « poursuivre son action de communication et de pédagogie auprès du grand public ».

Le gouvernement a prévu d’organiser la tenue des premières assises des dérives sectaires et du complotisme. Selon Sonia Backès, « elles se tiendront au premier trimestre 2023 et réuniront élus, services de l'État, juristes, associations, médecins et experts ». La secrétaire d'Etat, qui a elle-même vécu l'embrigadement de sa mère par l'Église de Scientologie, assure au passage que l'exécutif va « faire changer de dimension la réponse apportée par l'État à ces charlatans, qui depuis trop longtemps abusent de la faiblesse de certains de nos concitoyens ».

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