Face à l'apparition des abayas et des qamis à l'école, une nouvelle loi réglementant ces tenues au nom du respect de la laïcité est-elle opportune ? Que devrait faire l'institution scolaire face à ce phénomène ? Comment le comprendre ? A l'occasion de la Journée nationale de laïcité, Valentine Zuber, historienne et directrice d’études à l’École pratique des hautes études (EPHE-PSL), répond aux questions de Saphirnews.
Saphirnews : L'école publique a été secouée ces derniers mois par des affaires dites d'abayas et de qamis. Qu'est-ce que cela dit du rapport des jeunes à la laïcité et à la religion selon vous ?
Je crois que dans ces affaires de vêtements – un peu hâtivement qualifiés de « religieux », voire de « musulmans » – on se trouve moins en présence d’une provocation politique radicale que d’une appropriation culturelle et, d’une certaine manière, d’une volonté d’affirmer sa subjectivité. Par ailleurs, tous les sondages le montrent, les jeunes sont très sensibles aux codes de la société libérale et multiculturelle dans laquelle nous vivons. Ils veulent pleinement y participer par la visibilisation publique de leurs choix individuels. Cela les oblige à l’inverse aussi à se monter particulièrement tolérants vis-à-vis des autres et de leurs choix différents, tant qu’il n’y a pas de tentative prosélyte. D’où leur plébiscite envers les notions de respect des choix liés à l’exercice de la liberté individuelle de chacun.
Ces habits sont largement présentés comme des tenues « religieuses ». De ce raisonnement, en découle l'autre : les porter à l'école serait une atteinte à la laïcité. Qu'en dites-vous ? Comment faudrait-il les qualifier ?
Mais il est vrai que, depuis les premières affaires du « foulard » au collège à la fin des années 1980, les chefs d’établissement ont été régulièrement confrontés au port de tenues par les élèves dont ils soupçonnent les auteurs de vouloir enfreindre la loi : bandeaux larges couvrant les cheveux, bandanas, jupes longues, et maintenant abayas et qamis. Face à cette profusion d’accessoires divers dont les significations ne sont jamais univoques, il est évidemment très difficile de qualifier objectivement ces vêtements : sont-ils des signes religieux « ostensibles », des vêtements traditionnels ou culturels, de simples accessoires de mode ? Il y a tout un travail de discernement à faire qui interroge ces représentants de l’État laïque, pourtant théoriquement incompétents en matière même de définition du religieux. Les qualifier unanimement d’atteintes à la laïcité rétrécit singulièrement la réalité.
Aux partisans d'une nouvelle règlementation interdisant clairement ces tenues, comme le SNPDEN, syndicat majoritaire parmi les chefs d'établissements, que répondez-vous ?
Enfin, je pense qu’une nouvelle réglementation serait surtout un aveu d’impuissance de la part des pouvoirs publics et de ceux qui les représente à l’école. Multiplier les réglementations sur un même sujet prouve surtout que la loi est finalement très difficile à appliquer. Réprimer systématiquement tout ce qui peut aussi s’apparenter à des provocations adolescentes, sans réflexion pédagogique préalable signe par ailleurs une certaine faillite de l’autorité des adultes.
Enfin, ce serait l’abandon de la primauté de la mission pédagogique dévolue à l’école. Il ne faut pas oublier que la loi de 2004 rappelle aussi la nécessité absolue, avant toute éventuelle sanction disciplinaire, d’engager un dialogue avec les élèves jugés récalcitrants.
Quelle attitude devrait adopter l'institution scolaire face à ce phénomène, du côté de la direction et de l'équipe enseignante ?
L'instauration du port d'un uniforme à l'école pourrait-elle être une solution à vos yeux ? Que pensez-vous d'une telle proposition ?
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