Bariza Khiari : Macron président, « mon dernier combat politique »

Par Hanan Ben Rhouma, le 03/05/2017

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Interview de la déléguée nationale d'En Marche

Bariza Khiari a très tôt rejoint les rangs d’Emmanuel Macron, longtemps avant le soir du premier tour de la présidentielle, qui verra l’échec cuisant du Parti socialiste dont elle a longtemps été une représentante. Dans la dernière ligne droite de la course à l’Elysée, la sénatrice de Paris, désignée déléguée nationale d’En Marche depuis octobre 2016, est plus que jamais décidée à porter son champion vers la victoire, faisant de cette mission son « dernier combat politique ». Elle s’en explique, mettant en garde au passage les électeurs, abstentionnistes déclarés et indécis en particulier, sur les menaces qu’incarne le Front national pour l’avenir de la France. Interview.


Pourquoi avoir rejoint le mouvement En Marche ? Et pourquoi si tôt sans attendre la primaire de gauche ?

Bariza Khiari : Je me suis franchement éloignée de la gauche de gouvernement en février 2016, à l’occasion du débat parlementaire sur la déchéance de nationalité. L’hystérisation de la laïcité ne pouvait conduire qu’à ce type de faute politique et morale.

A l’exception de Christiane Taubira qui a courageusement démissionné, seul Emmanuel Macron, parmi les ministres en exercice, a exprimé son désaccord en invoquant un « inconfort philosophique ».

Vous êtes pleinement engagée avec En Marche ! Avez-vous ou comptez-vous démissionner du Parti socialiste ? Pourquoi ? Quelles sont les critiques que vous lui portez ?

Bariza Khiari : En donnant mon parrainage à la candidature pour la présidentielle à Emmanuel Macron, je savais que j’allais être exclue du PS. Depuis plusieurs années, le Parti socialiste a renoncé à nous projeter dans l’avenir en refusant les débats d’idées avec l’extérieur (syndicats, intellectuels, artistes...). En sacrifiant la réflexion au seul bénéfice des postures, il s’est petit à petit déconsidéré en se transformant en simple machine électorale. Je regrette le temps où le parti socialiste était en effervescence intellectuelle, et en véritable structuration idéologique.

En sacrifiant la réflexion au seul bénéfice des postures, il s’est petit à petit déconsidéré en se transformant en simple machine électorale.

Comment analysez-vous la défaite historique du PS ?

Bariza Khiari : Ce premier tour est une défaite des partis politiques dits traditionnels. Les primaires ont créé des courts-circuits dans les partis et ont contribué à leur décomposition. Les clivages sont forts au sein des partis. Les lignes de fracture, notamment sur la question européenne, la question de la définition de la laïcité, de notre place dans les relations internationales, ne distinguent plus la droite de la gauche, mais traversent ces familles politiques.

Vous aviez annoncé votre volonté de ne pas vous représenter aux sénatoriales. Quelles formes d’engagement envisagez-vous avec En Marche ?

Bariza Khiari : J’ai mis toute mon énergie ces derniers mois pour porter Emmanuel Macron au deuxième tour. C’est mon dernier combat politique et je serai fière et heureuse qu’il soit notre prochain président. Je continuerai à militer à En Marche ! en qualité de simple militante. Cela me convient parfaitement.

Vous avez déclaré en septembre 2016 vouloir vous occuper de la structuration de l’islam de France selon vos mots. Sous quelles formes ? Que changeriez-vous ?

Bariza Khiari : Je quitte le Sénat à la fin de mon mandat, le 30 septembre car je n’ai jamais considéré la politique comme un métier. Il est autant nécessaire pour moi de me ressourcer, que pour la sphère politique de se renouveler.

Je m’investirai davantage à l’Institut des Cultures d’Islam, établissement culturel de la Ville de Paris, que je préside depuis un an. A ce poste, je peux enfin donner corps à un diagnostic que j’ai formulé il y a plusieurs années : la méconnaissance des cultures d’Islam est l’une des origines de la crispation identitaire et politique qui gangrène notre société : certains, parmi ceux qui se revendiquent de l’Islam, ignorent tout de leur Histoire ; et nombreux, parmi ceux qui stigmatisent les musulmans, ne connaissent pas les merveilles de la civilisation islamique. Comme l’a très bien résumé Ibn Arabi, « les hommes sont les ennemis de ce qu’ils ignorent ». La connaissance, la culture, le dialogue, le partage sont les instruments d’une culture de paix.

Quelles sont les positions d'Emmanuel Macron sur l'organisation de l’islam de France ? Comment compte-t-il gérer cette question ?

Bariza Khiari : Emmanuel Macron veut revenir à la définition originelle de la laïcité. Contrairement à d’autres responsables, il ne fait pas de la laïcité un glaive contre les musulmans. Il dit clairement que la laïcité est le droit de croire ou de ne pas croire, que la République a pour rôle de protéger la liberté de conscience. Cette position philosophique et politique le distingue radicalement de Marine Le Pen. En la matière, la liberté est la règle et l’interdiction l’exception. C’est à partir de ce principe qu’Emmanuel Macron conçoit le rôle de l’Etat républicain à l’égard des cultes.

Concernant l’islam, il porte plusieurs propositions : il veut encourager la création d’une fédération nationale regroupant les associations cultuelles locales créées dans le cadre posé par la loi de 1905. Ces associations pourront recevoir des dons et des legs dans des conditions fiscales avantageuses et pourront ainsi contribuer à la rénovation et la construction de lieux de culte, ainsi qu’à une meilleure formation des imams, formation qui devra être validée par un diplôme universitaire. Il veut aussi encourager l’engagement de nouvelles générations de musulmans nés en France dans la gestion du culte musulman.

Emmanuel Macron ne fait pas de la laïcité un glaive contre les musulmans.

Emmanuel Macron se présente en rupture du quinquennat de François Hollande. Or il a participé activement à son mandat. A ceux qui le décrivent comme « un candidat du hollandisme », que répond-il ?

Bariza Khiari : Il répond simplement qu’il a démissionné du gouvernement Valls, notamment en raison de désaccords politiques. Comme l’a si bien dit Jean-Pierre Chevènement, quand on est ministre, « on ferme sa gueule ou on démissionne ». La démission du gouvernement est un acte politique fort. Emmanuel Macron a estimé qu’il avait une alternative à proposer à la nation et c’est pourquoi il a créé son mouvement pour élaborer et porter un pacte avec la nation. L’espérance suscitée par les marcheurs l’a hissé au premier tour de cette élection.

Dans sa démarche de vouloir rassembler très largement, aussi bien dans la scène politique qu'en dehors, comment entend-il gérer cette pluralité pour gouverner ?

Bariza Khiari : Les Français ont besoin d’unité nationale. J’ai pu constater et regretter, en tant que parlementaire, les limites d’un système partisan actuel. Emmanuel Macron souhaite regrouper les progressistes de droite, de gauche et du centre pour faire avancer le pays.

C’est ce que nous demandent nos concitoyens. Ce qu’il a réussi à faire dans le mouvement En Marche ! se prolongera au gouvernement et au sein de la majorité gouvernementale, qu’il souhaite efficace et diverse.

Rassembler revient à faire des concessions. Qu’est-ce qui garantit qu’Emmanuel Macron ne va pas sacrifier, comme souvent, l’inclusion politique des personnes dites issues de la diversité extra-européenne ?

Bariza Khiari : J’ai toujours pensé que les compétences l’emportaient sur l’appartenance. Emmanuel Macron, dans son équipe actuelle, est entouré de personnes de toutes origines. Son approche personnelle est, à cet égard, exemplaire. Je reste confiante et vigilante.

Le Front national utilise la souffrance sociale pour diviser la France.

Quel(s) message(s) souhaitez-vous adresser à ceux qui hésitent à voter Emmanuel Macron face à Marine Le Pen ? A ceux profondément ancrés à gauche qui ne considèrent pas ce candidat comme tel ?

Le FN n’a pas changé. En revanche, je crains que les électeurs aient oublié l’ADN du Front national : repli, haine de l’autre, ressentiment. Le FN utilise la souffrance sociale pour diviser la France. C’est pourquoi j’invite nos concitoyens à voter en masse pour diminuer autant que possible le socle du Front national.

Comme d’autres à ses côtés, je me considère comme l’hémisphère gauche d’Emmanuel Macron. J’ai eu l’occasion de partager de nombreuses discussions : j’ai pu constater que, pour lui, l’égalité consiste à donner plus à ceux qui ont moins : sa volonté de tenir, d’une main, les libertés pour la création de richesse et, de l’autre main, les solidarités et les protections que nos concitoyens attendent est au cœur de sa démarche. Face à lui, Marine Le Pen est la candidate de tous les replis et de toutes les régressions : économique, sociale et républicaine.