Anina Ciuciu : « Porter la lutte pour l’égalité des droits et contre le racisme au Sénat »

Par Samba Doucouré, le 20/09/2017

PENDANT LE RAMADAN, SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !

Anina Ciuciu, militante de La voix des Rroms, présente sa candidature aux élections sénatoriales, le 24 septembre. Estampillée future première sénatrice rom de France, elle est portée par « Notre avenir », une liste indépendante formée de militants des droits humains. Née en Roumanie en 1990, elle a débarqué dans l’Hexagone à l’âge de 9 ans. Après un passage par la mendicité, elle a grimpé les échelons du système scolaire et est aujourd’hui élève avocate à la Sorbonne. Le 24 juillet dernier, l'auteur de « Je suis Tzigane et je le reste » annonçait sa volonté de candidater aux sénatoriales avec l'appui de plus de 150 personnalités. Interview.


Saphirnews : Qu’est-ce qui a motivé votre candidature ?

Anina Ciuciu : Ma candidature a été motivée par l’enthousiasme et l’espoir des gens avec qui je travaille sur le terrain, qui ont souhaité que je porte leur voix au Sénat. Depuis des années, nous luttons ensemble pour l’égalité des droits et contre le racisme, les discriminations et les violences en France et, plus particulièrement, en Seine-Saint-Denis.

Nous luttons aussi pour l’égalité d’accès aux services publics et au droit pour les plus précaires. Que ce soit dans les bidonvilles ou dans les grands ensembles, ce sont eux les premiers touchés par la pollution et les conséquences néfastes du capitalisme et du productivisme égoïste. Nos combats ne sont pas portés (par la classe politique actuelle, ndlr) et nous ne nous sentions pas représentés.

A lire : Au Festival de la fraternité, la lutte contre les injustices comme préalable au vivre ensemble

Qu’est-ce que la « politique du sens », slogan de votre appel du 24 juillet ?

Anina Ciuciu : C’est une politique qui n’est pas guidée par autre chose que l’intérêt des gens pour qui le changement réel et concret est le plus urgent et vital. Que les institutions soient garantes des droits fondamentaux comme la santé, le logement, l’école, la dignité et la chance de pouvoir se réaliser en tant que citoyen heureux et libre. Aujourd’hui, beaucoup de personnes, moi y compris, se sont désintéressés de la politique traditionnelle parce qu’on ne sentait pas qu’elle s’intéressait réellement à nous, à notre quotidien et aux obstacles qu’on doit affronter tous les jours.

Pourquoi le Sénat ?

Anina Ciuciu : Je ne vise pas une carrière en politique, je n’avais pas prévu de me présenter à une élection. On m’a soumis l’idée de présenter une candidature au Sénat. Il s’agit d’une des deux chambres du Parlement. C’est là que se proposent, se votent et se modifient les lois. Le Sénat est un lieu où on a un moyen de contrôle de l’action du gouvernement. C’est une chambre conservatrice où l’extrême majorité des gens qui la composent sont des hommes de plus de 64 ans et où nous ne nous ne sentons pas représentés en tant que jeunes, en tant que femmes, en tant qu'appartenant aux minorités, aux classes populaires et même aux classes moyennes ou à la ruralité. Ce serait d'ailleurs historique qu’une femme française d’origine rom vienne porter un tel message et un tel projet au Sénat.

Quel rôle comptez-vous jouer une fois élue ?

Anina Ciuciu : On tentera de rallier les personnes qui soutiennent notre combat car nous ne sommes pas dans les divisions. Nous voulons faire avancer la lutte pour l’accès à l’école, la santé, le logement digne pour tous. Nous voulons lutter contre le recul des droits sociaux et donc contre la loi travail et la suppression des contrats aidés. Nous sommes clairement en opposition avec le gouvernement sur ce sujet. Nous voulons lutter aussi contre la pérennisation de l’état d’urgence. Chaque fois qu’il faudra se mettre dans l’opposition pour défendre nos droits, nos libertés, nous le ferons sans réserve.

Si, pour certains de ceux qui se sentaient méprisés par les partis, le mouvement En Marche a pu donner l'illusion d'un changement, il est clair désormais que la politique mise en oeuvre n'assure aux plus vulnérables aucune protection, bien au contraire.

Comment fait-on campagne pour les sénatoriales et comment se fait-on élire ?

Anina Ciuciu : C’est une élection indirecte : les sénateurs sont élus par des élus et des grands électeurs, désignés dans chaque ville en fonction du nombre d’électeurs. Les grands électeurs sont donc souvent issus des grands partis. C’est donc d’autant plus important que de nouvelles voix, indépendantes, issues de la société civile et n’obéissant pas aux logiques de partis, intègrent le Sénat.

Notre campagne est déjà un succès car notre objectif est de montrer qu’il existe une possibilité de prendre notre destin politique en main. Nous organisons, mercredi 20 septembre, une rencontre ouverte à tous pour discuter des questions de société que nous porterons au Sénat. Il y a, parmi les grands électeurs, des gens qui sont déçus de la politique actuelle et qui veulent un changement. Certains sont engagés sur des causes, des valeurs qui nous sont communes et qui nous soutiennent dans notre démarche.

Comment s’est constituée votre liste ?

Anina Ciuciu : J’ai milité avec certains d’entre eux. Il y a Vassindou Cissé (militant associatif à Bagnolet, ndlr) qui a défendu les droits des sans-papiers et des enfants atteints par le saturnisme à cause de la vétusté de leur habitat. Veronique Decker (directrice d'école, ndlr) s’est battue pour l’accès à l’école pour tous, ce qui me touche personnellement car sans école, je ne serai certainement pas là pour vous répondre et c'est pourquoi, aussi, je suis marraine de l’ASET 93, une association qui lutte pour la scolarisation des enfants en grande précarité. J’ai connu Mehdi Bouteghmès (conseiller municipal à La Courneuve, ndlr), professeur des écoles, dans la lutte autour du bidonville du « Samaritain », à La Courneuve. Ce sont des individus animés par la même envie de faire bouger les choses, de déjouer le sort à quoi l'état des choses nous assigne.

A lire : A La Courneuve, le sort des Roms expulsés d'un bidonville révolte

Vous avez milité pour les droits des Roms. Manque-t-il aujourd’hui une grande voix en France pour porter la question des migrants ?

Anina Ciuciu : L’objet de cette liste est justement de porter cette voix. Il faut réinventer la notion d’hospitalité et d’accueil des migrants en France, quelle que soit leur nationalité. Laisser des gens à la rue dans des conditions dégradantes et inhumaine est intolérable, qu'ils soient d'ailleurs immigrés ou nés Français. On peut négocier des traités européens régissant l’accueil des réfugiés. Il faut protéger les mineurs isolés qui vivent dans une grande précarité. Pour avoir moi-même vécu des situations difficiles en tant que mineure et migrante, je connais les obstacles auxquels les jeunes migrants sont confrontés. Au sein de chacune de ces personnes, il y a un potentiel immense qui peut devenir un atout pour nous tous et pour la France que nous construisons.

La voie européenne est-elle la seule qui permettra de résoudre la question des migrants ?

Anina Ciuciu : Les droits de tous sont aussi protégés en France au niveau national. Il y a énormément de choses à faire au niveau de la politique de la ville et de l’aménagement du territoire. Même si l’Europe protège de nombreux droits, je pense qu’on ne peut pas tout attendre d’elle.

Envisagez-vous de pérenniser cette mobilisation autour d’un nouveau parti indépendant ?

Anina Ciuciu : Nous continuerons à faire émerger nos combats, quel que soit le résultat (après les sénatoriales, ndlr). Nous essayerons de faire converger nos énergies. Nous réfléchirons à ce que nous ferons mais nous ne sommes pas des professionnels de la politique, rien n’est encore décidé.

La forme « parti » me semble un peu désuète. L'urgence est telle pour tant d'entre nous que notre chemin se poursuivra par quelque moyen que ce soit.

Lire aussi :
Au Festival de la fraternité, la lutte contre les injustices comme préalable au vivre ensemble