D’Abu Dhabi à Rabat, des leaders des trois monothéismes prêchent la coexistence active

Par Hanan Ben Rhouma, le 28/10/2017

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Réaffirmer les principes de la Déclaration de Marrakech

Une soixantaine de leaders religieux juifs, chrétiens et musulmans venus des Etats-Unis se sont réunis du 24 au 26 octobre à Rabat, capitale du Maroc. Ensemble, ils entendent promouvoir par le faire-ensemble une culture de paix et de coexistence entre les communautés telle qu’édictée par la Déclaration de Marrakech, adopté en 2016 et qui plaide en faveur de la protection des minorités en terres d’islam. Retour sur une initiative modeste mais salutaire, répondant sous le nom de la Caravane américaine pour la paix, et qui a reçu le soutien du Maroc et des Emirats arabes unis.

Après Abu Dhabi en mai dernier, la Caravane américaine pour la paix a fait escale à Rabat du 24 au 26 octobre. A son bord, 60 imams, rabbins et pasteurs venus ensemble pour partager leurs expériences de travail interreligieux engagé pour la plupart d’entre eux depuis de nombreuses années à l'échelle locale. En moins de six mois, l’initiative a entraîné dans son sillage de nouveaux participants, passant de 30 à 60 religieux – essentiellement masculins - issus non plus de 10 mais de 20 Etats américains.

Cette fois sous l’égide du royaume marocain, mais toujours avec le soutien du Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes basé aux Emirats Arabes Unis, la rencontre à Rabat a ainsi vu la participation d’Ahmed Taoufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, et de l’éminent cheikh Abdullah Bin Bayyah, lui-même président du Forum, aux côtés, entre autres, du pasteur Bobby Gene Roberts, à la tête de l’une des plus grandes églises évangéliques du Texas, du rabbin Bruce Lustig, dirigeant de la plus grande synagogue de Washington, de l’imam Mohamed Magid,, directeur du centre islamique Adams à Sterling (Virginie), et de Théodore Edgar McCarrick, archevêque émérite de Washington.


Construire des ponts par le dialogue

Sous l’ère Trump, et avec la montée des actes antisémites et islamophobes, les dignitaires religieux sont plus que jamais nombreux à estimer nécessaire la construction de ponts entre les communautés plutôt que des murs. Et c’est aussi un des enjeux de la Déclaration de Marrakech (en intégralité ici), initiée par le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes et qui plaide en faveur de la protection des droits des minorités religieuses dans le monde musulman.

« Aux Etats-Unis, nous (leaders engagés dans la Caravane, ndlr) avons été impressionnés par l'initiative du cheikh Abdullah Bin Bayyah que de promouvoir la liberté religieuse et de prendre position contre les persécutions religieuses. Donc pourquoi ne pas le rejoindre dans ses efforts ? Nous l’avons alors rejoint pour construire des ponts entre nos communautés », explique le pasteur Bob Roberts auprès de Saphirnews. D’ailleurs, en guise d’ouverture du sommet, ont été récités des versets de la Torah, de l’Evangile et, enfin, du Coran, sur la coexistence pacifique des individus dans leur diversité. Tout un symbole.

La caravane américaine pour la paix représente « une réponse réaliste et réalisable à ce que la Déclaration de Marrakech nous invoque de faire », indique Abdullah Bin Bayyah dont le discours s’est largement focalisé sur la nécessité de « trouver les méthodes et les moyens » visant à concrétiser pleinement les principes édictés par la charte en faveur des minorités dans le monde musulman. « Nous savons que la religion, par essence, représente une force positive dans la vie de la plupart des individus, une force de paix qui anime nos esprits et non une force qui les anéantit », poursuit-il.

« Ce rassemblement entre membres de familles abrahamiques ne signifie pas que nous excluons les autres ou que nous nous positionnons contre toute religion ou système de croyance en dehors de notre famille », a tenu à clarifier le cheikh à la session inaugurale. « Nous souhaitons au contraire consolider nos valeurs communes au sein de notre cercle immédiat, valeurs qui nous relient aussi à d'autres dans des cercles plus étendus, y compris les religions plus lointaines et les philosophies humanistes qui prônent le caractère sacré de la vie et le besoin de préserver les droits humains. »

« L'éducation doit être le chemin par lequel on apprend à aimer l’Autre et à s'en soucier »

La déclaration de Marrakech promeut la protection de l’ensemble des croyances, y compris de l’athéisme, veut rappeler Zeshan Zafar, directeur exécutif du Forum pour la promotion de la paix. « Il nous faut penser non pas en tant que musulmans uniquement mais en tant que membres d’une communauté mondiale », nous dit-il.

Les défis sont encore nombreux dans le monde musulman pour une pleine application de la Déclaration de Marrakech. « Le changement ne se fera pas en une nuit », nous lance Zeshan Zafar, conscient que les débats dans plusieurs Etats ne sont pas encore entamés pour parvenir à la protection des minorités. « Nous encourageons les diplomates à souligner ce point » auprès des décideurs politiques, des gouvernements tout comme auprès des dignitaires religieux, ceci pour impulser un profond changement sociétal, fait-il valoir.

Mohamed Magid, pour qui la Déclaration de Marrakech doit être « une source de fierté pour tous les musulmans », a insisté en marge de la conférence, toujours auprès de Saphirnews, de la nécessité de « promouvoir le concept de citoyenneté, que les musulmans soient en situation de majorité ou de minorité dans leur pays. Toute personne, quelque soit son appartenance et son pays, doit pouvoir jouir d’une pleine citoyenneté ». Un défi qui implique « un changement des mentalités à travers l'éducation ».

« L'éducation doit être le chemin par lequel on apprend à aimer l’Autre et à s'en soucier », indique l’imam, préconisant en ce sens que « toutes les institutions du monde islamique doivent enseigner une culture de paix » et que « les lieux de culte doivent mettre en place des activités autres que religieuses » comme des centres de soins ou de restauration en faveur des plus fragiles de toute croyance.

Prochaine étape à Washington

La situation est encore loin d'être idéale dans nombre de pays musulmans car, si la Déclaration de Marrakech est en partie une réponse aux persécutions commises par Daesh, il n’en demeure pas moins que bien des Etats - et pas que musulmans - sont aussi à la source de violations des droits des minorités. Mais des forces telles que le Forum pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes se mettent en branle pour faire bouger les lignes par la promotion du dialogue entre les religions et les cultures.

A la clôture de la conférence, les leaders religieux ont renouvelé leur engagement pour le dialogue interreligieux, contre l’extrémisme et la haine. « Nous sommes unis dans notre engagement à utiliser nos héritages et nos valeurs fondamentales afin de construire la paix en promouvant la dignité humaine et l’intérêt général », stipule la déclaration finale, lue par Bob Roberts, Bruce Lustig et Mohamed Magid.

« Une caravane est un pèlerinage et tout pèlerinage a une destination. La question est quelle est la nôtre ? Notre destination (pour les croyants) est Dieu », a déclaré, à l’ouverture du congrès, William Vendley, secrétaire général de la coalition multiconfessionnelle Religions for Peace. Pour le moment, les participants se sont donné rendez-vous à Washington pour une nouvelle caravane de la paix qui réunira, au premier trimestre de l'année 2018, des dignitaires religieux des 50 Etats américains.

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