Saphirnews partenaire du 2e Festival soufi de Paris
Faouzi Skali est anthropologue, spécialiste du soufisme, fondateur et directeur du Festival de Fès des musiques sacrées du monde et du Festival de Fès de la culture soufie. Très impliqué dans le dialogue et la rencontre des peuples, il considère le riche patrimoine du soufisme comme la matrice culturelle et civilisationnelle de l’islam et de l’humanité tout entière. La « futuwah », ou chevalerie spirituelle, en est une facette éthique qui permet d’améliorer le vivre-ensemble ici et maintenant.
Saphirnews : Vous avez créé deux festivals soufis à Fès et vous participez au Festival soufi de Paris. Quel sens donnez-vous à ce concept de festival soufi ? Quel est le rapport avec la grande tradition soufie ?
Il y a beaucoup d’événements culturels dans le monde musulman, il y a des moussems un peu partout. Mais la nouveauté qui se produit à Fès comme à Paris, c’est le fait d’appréhender le soufisme comme patrimoine culturel et spirituel de l’humanité tout entière. Ibn Arabi ou Rûmî, pour ne citer qu’eux, appartiennent à la pensée universelle.
Faouzi Skali « On a oublié que l’islam a pensé l’altérité et la diversité
— Huê Trinh Nguyên (@htnsalam) 28 novembre 2018
👉Mettre la culture du soufisme au cœur de l’agora en créant une relation transversale entre tous ceux et celles qui s’intéressent au soufisme, qu’ils soient musulmans ou non »#FestivalSoufiParis pic.twitter.com/y1xuIVOShS
Vous avez traduit le traité sur la futuwah de Sulami, un auteur du XIe siècle. Quel en était le sens à son époque et quelle est l’actualité de cette notion de chevalerie aujourd’hui ?
La futuwah est précisément un exemple de la culture du soufisme en tant que patrimoine spirituel et universel. Est-ce que les principes de la futuwah appartiennent au passé ou bien ces principes peuvent-ils être une ressource pour aujourd’ hui ? Pour ma part, je veux faire le lien entre le passé et le présent : les principes du soufisme peuvent apporter un souffle et une âme, notamment à l’entreprise moderne qui en manque.
La futuwah, c’est la spiritualité telle qu’elle s’exprime en relation avec Dieu et dans la relation aux autres. La relation avec Dieu doit s’exprimer au cœur de nos familles, et au sein du milieu professionnel. En arabe, ce sont les mu’amalât, les relations réciproques sociales. Ce type de principes éthiques est bien adapté aux réalités des entreprises : comment se comporter dans le travail avec autrui ? quels sont les buts et objectifs qui nous guident ?… Ainsi, on est relié à la spiritualité à travers le travail.
Comment la chevalerie peut-elle permettre d’améliorer notre vivre-ensemble ? Est-ce un code de belles manières (âdâb) pratiqué dans la vie de tous les jours ? Par qui ? Y a- t-il une chevalerie féminine ?
Ces belles manières, ou âdâb, émanent du vécu. Et c’est aussi un va-et-vient : si on pratique l’âdâb, il y a des répercussions sur la vie intérieure. Cet aspect du soufisme peut être un approfondissement dans la façon d’améliorer notre comportement.
Il y a des chartes d’éthique en Occident mais qui restent abstraites, qui ne sont pas vécues dans le travail. Ce sont des principes moraux mais les relations professionnelles restent fondées sur l’affirmation de son ego. Cela est contradictoire avec la chevalerie spirituelle. Le fait de se fonder sur le non-ego et sur la place qu’on laisse aux autres crée une atmosphère totalement différente dans le quotidien. Travailler avec l’idée que c’est une forme de prière, une occasion de se transformer, cela change la conception qu’on a du travail, vu non seulement comme moyen de gagner sa vie, mais aussi comme moyen de s’améliorer spirituellement.
Paradigme de civilisation, le soufisme est « fils de son temps ». Il doit s’adapter, se réinventer en permanence. C’est un espace sans limites, un océan sans rivages.
Clara Murner, arabisante, est chercheuse en islamologie, traductrice de poésie arabe (Khalîl Gibran).
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