Au Sénat, les liens entre religions et droits de l’homme discutés par les représentants de cultes en France

Par Hanan Ben Rhouma, le 11/12/2018

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Pour les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), la Conférence des responsables de culte en France (CRCF) s’est réuni au Sénat lors un colloque pour interroger les rapports entre droits humains et religions.

C’est sous les ors de la République, au Sénat, que s’est tenue, mardi 4 décembre, le colloque sur les droits de l'homme et les religions sous l’égide de la Conférence des responsables de culte en France (CRCF). L’instance, qui réunit des représentants des trois cultes chrétiens (catholique, protestant et orthodoxe) ainsi que des religions juive, musulmane et bouddhiste, a ainsi voulu marqué, à sa façon, les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH), proclamée à Paris le 10 décembre 1948.

« C’est non seulement parce que les droits de l’homme sont bafoués dans le monde que les confessions doivent prendre à bras le corps cette question », affirme François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF) et artisan de cette rencontre durant laquelle chaque représentant de culte était appelé à interroger les relations entre droits de l’homme et religions et dans quelle mesure ces dernières sont véritablement forces de promotion des promesses contenues dans la DUDH.

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« Les grandes religions chrétiennes se sont résignées à ne devoir plus être que des forces de proposition parmi d’autres »

Après une ouverture du colloque assurée par le président du Sénat Gérard Larcher, l’historienne Valentine Zuber s’est attaché, dans son exposé relatif à l’origine religieuse des droits de l’homme, à « exhumer et réhabiliter la part prise par le religieux dans la réflexion sur les droits de l’homme, et ce, de la Révolution française jusqu’à nos jours ».

Pour elle, c’est « grâce à une réconciliation doctrinale assez récente entre religions et politique, sur la philosophie sous-tendue par les droits de l’homme, que celle-ci, ancrée dans celle des Lumières du XVIIIe siècle doit sa prétention à l’universalité. C’est à l’accord politique finalement trouvé post Seconde Guerre mondiale entre les tenants d’une vision strictement laïque et ceux d’une vision plus théologico-religieuse de l’histoire, que la philosophie libérale des droits de l’homme a pu devenir apparemment aussi consensuelle de nos jours ».

« Les grandes religions chrétiennes se sont résignées à ne devoir plus être, dans la société occidentale, que des forces de proposition parmi d’autres. Elles ont appris à jouer, avec enthousiasme pour certaines, avec quelques réserves pour d’autres, le jeu démocratique tel que l’histoire l’a finalement imposé », signifie-t-elle.


« L’islam n’est pas une religion dangereuse pour l’équilibre du monde »

En revanche, estime-t-elle, « c’est la multiplication des textes de déclarations des droits de l’homme en islam - en particulier la Déclaration du Caire de 1990 émanant de l’Organisation de la Conférence islamique - qui nous semblent poser actuellement la plus dangereuse hypothèque sur la solidité des bases de l’ordre juridique mondial », avec des « textes (qui) conditionnent tous les droits humains au respect premier du droit islamique et à la suréminence absolue des droits de Dieu » et des « interprétations restrictives au sujet de la liberté de religion et de conviction individuelle, et en particulier le droit à changer ou abandonner sa religion ».

Avant de conclure : « Pour l’instant, l’ONU reste évidemment très réservée vis-à-vis de tous ces textes et leur dénie toute adéquation avec les standards internationaux des droits humains tels qu’elle les a préalablement définis. Le système international résiste donc, mais jusqu’à quand ? »

Des propos qui ont particulièrement froissé Chems-Eddine Hafiz, vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), invité à s’exprimer lors de la table-ronde qui suivait l’exposé de Valentine Zuber. « On ne peut pas dire que l’islam est une religion dangereuse pour l’équilibre du monde », dit l’avocat en interpellant l’historienne, rappelant que des musulmans sont aussi victimes de massacres à travers le monde. « En tout état de cause, droits de l’homme et islam ne sont pas du tout incompatibles », martèle-t-il, précisant plus tard qu’il se réfère, en le disant, à « l’essence religieuse et non (aux) interprétations des hommes » dont peuvent découler les atteintes aux droits humains.

C’est d’ailleurs ce que s’est attaché à faire Didier Kassabi, rabbin du Consistoire de Paris à Boulogne-Billancourt. Il souligne que si, « dans le texte biblique, on ne trouve à aucun moment l’expression telle quelle "droits de l’homme" effectivement, il suffit de survoler le texte pour s’apercevoir que chaque page abonde en ce sens ».

Aucune religion n’est à l’abri d’une instrumentalisation politique

« Dans la tradition juive, une offense au corps et au bien de l’Autre est une offense fait à Dieu car l’Autre porte une part de divin », poursuit-il. Puis d’évoquer le Décalogue (les Dix Commandements) qui, certes, « ne contient que l’énoncé des devoirs » mais « l’énoncé des droits y sont implicitement présentés » : « Par exemple, lorsqu’il est inscrit "Tu ne tueras point", cela implique que tout homme a le droit à la vie. Lorsqu’il est inscrit "Tu ne voleras point", cela implique que tout homme a le droit à la propriété. »

Côté bouddhiste, Eric Vinson, directeur du programme interreligieux Emouna à Sciences Po, abonde en ce sens : « La proclamation des devoirs humains éthiques revient de fait à inciter à respecter les droits des autres. »

« Le bouddhisme n’est pas naturellement immunisé contre les dérives d’instrumentalisation. De ce point de vue, il est exactement comme les autres traditions » religieuses, insiste-t-il. Une instrumentalisation politique visant à « perpétrer des violations des droits humains », précise-t-il en citant le cas du Japon impérial dans le cadre de sa politique d’expansionnisme qui a pris fin à l’issue de la Seconde Guerre mondiale ou, plus actuel encore, celui de la Birmanie envers les Rohingyas.


Pour Jean-Claude Willaime, sociologue spécialiste du protestantisme, c’est parce que « les droits de l’homme ne viennent pas du ciel » que « l’éducation des droits humains à l’école est important ». A l’école mais aussi « dans les universités et les centres de recherche », « au nom même de l’efficacité des droits de l’homme et de leur concrétisation pratique », appuie Eric Vinson.

« Là où nous sommes, avec nos convictions, nos croyances et nos responsabilités (…), nous devons sans cesse nous interroger sur ce que nous mettons dans les droits de l’homme », ceci tout en préservant leur universalité, conclut le président de l’Observatoire de la laïcité Jean-Louis Bianco.

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