Saïd Hammouche : « L’inclusion économique pour lutter contre la discrimination systémique »

Par Huê Trinh Nguyên, le 19/04/2017

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Président-fondateur de Mozaïk RH, cabinet de recrutement et de conseil spécialisé dans la promotion de l’égalité des chances et de la diversité, Saïd Hammouche est convaincu : c’est par le levier économique que l’on pourra renverser les discriminations dont font l’objet les jeunes issus des quartiers populaires. Celui qui, avec son équipe, facilite la mise en relation entre recruteurs et candidats, avec plus de 11 000 entretiens de recrutement, et booste l’embauche des jeunes, avec à son actif 4 000 contrats signés, tire le bilan du quinquennat et préconise plusieurs solutions.


Saphirnews : En tant que fondateur de Mozaïk RH, quel bilan tirez-vous du quinquennat sur la question de l’emploi et plus particulièrement de l’emploi des jeunes ?

Saïd Hammouche : En tant que structure associative qui essaie de porter une initiative originale pour faire bouger les lignes, nous avons vu plein de ministres lors du quinquennat de François Hollande, beaucoup plus que sous celui de Nicolas Sarkozy. Et on ne peut pas considérer le bilan 2012-2017 comme étant positif, ni en matière d’emplois ni en matière de jeunes issus de la diversité.

Ma position n’est pas politique, elle est pragmatique. Aujourd’hui, on doit comprendre que – c’est le message porté par Mozaïk RH – il ne faut pas tout attendre des pouvoirs publics, même si leur prise de conscience est réelle. Sur la question des discriminations, les pouvoirs publics les voient encore trop sous le prisme social (en raison des préjugés) et pas assez sous le prisme économique.
Nous, on pense que l’on doit continuer à mener des actions concrètes, tangibles, évaluables, avec une culture du résultat. Il faut être hyper pragmatique et être dans le collectif aussi. Il faut véritablement chercher à dynamiser et à faire en sorte que toutes les bonnes volontés qui ont une partie de la solution puissent se « plugger » sur ce sujet qui est un enjeu économique. C’est ensemble qu’on doit tordre le cou à tous ces préjugés.

Pour résumer, si l’on regarde le bilan des deux quinquennats, le bilan n’est pas tellement positif en matière de jeunes et encore moins en matière de jeunes de la diversité. Les pouvoirs publics, quels qu’ils soient, ont aujourd’hui atteint leurs limites.

Vous revenez sur les deux quinquennats… Du coup, je vous pose aussi la question : quel bilan, comparativement, sur la question de la diversité ?

Saïd Hammouche : Dans les deux quinquennats, il y a eu une prise de conscience, le démarrage d’une volonté de se positionner en étant à l’aise sur la question de la diversité. Nicolas Sarkozy démarre son quinquennat en disant vouloir nommer des « préfets musulmans ». Aujourd’hui, c’est inaudible de pouvoir dire cela, que ce soit à droite ou à gauche…

Avec la nomination de Claude Bartolone (fils d’immigrés italiens, qui était à la tête du 93) comme président de l’Assemblée nationale, le geste de François Hollande est un symbole. Le président socialiste sait que, dans sa politique, il doit trouver des solutions qui réparent les situations sociales difficiles dans les territoires populaires. Je me rappelle de ce fameux évènement qui était « Les 48 heures », le tour de la banlieue en 48 heures, où il a fait beaucoup de rencontres. Nommer Fleur Pellerin ministre, alors qu’elle était présidente du Club XXIe siècle, n’est pas anodin. Hollande a imposé des choses sur la question de la diversité et de la parité d’un point de vue symbolique. Cela dit, selon mon état d’esprit d’entrepreneur qui dirige un cabinet de recrutement, je ne retiens pas beaucoup de choses tangibles sur la question de l’emploi des jeunes…

Quel est le constat, justement, sur l’embauche des jeunes « issus de la diversité » ?

Saïd Hammouche : À compétences égales, les jeunes diplômés des quartiers populaires, les jeunes diplômés de la diversité d’une manière globale ont 2,7 fois moins de chances d’accéder à un entretien de recrutement. On a un coefficient multiplicateur qui génère des inégalités et ces inégalités se traduisent par des discriminations. Le taux de chômage est plus important. Dans la pratique, les recrutements se font beaucoup par cooptation. Or les candidats que nous rencontrons n’ont pas de réseaux. On leur a peu parlé de l’entreprise durant leurs cinq ans d’université. Il faut aussi se rendre compte que si l’étudiant-e vient de la banlieue et a validé son baccalauréat avec 15 de moyenne, il/elle ne se verra pas proposer une faculté à la Sorbonne et encore moins à Dauphine.

Tous ces facteurs, c’est ce qu’on appelle concrètement de la discrimination systémique. Donc il y a véritablement un changement de mentalité à opérer à tous les niveaux.

Le service civique, les contrats de génération, par exemple, ne suffisent pas ?

Saïd Hammouche : Au lendemain des émeutes de 2005, l’Assemblée nationale avait voté deux mesures fortes : la généralisation du CV anonyme dans les entreprises de plus de 50 collaborateurs et la possibilité à des jeunes d’entrer sur le marché de l’emploi via le service civique.

Certes, le service civique participe évidemment à la mise en route de projets professionnels, mais ce qu’on veut, ce sont des contrats à durée déterminée (CDD) longs, des contrats à durée indéterminée (CDI), des postes à responsabilité ! C’est aussi permettre à des jeunes d’accéder à des études supérieures dans le cadre de l’alternance, c’est permettre la réalisation de bons stages de fin d’études.

C’est toute la dimension également de l’entrepreneuriat : comment on permet aujourd’hui à des candidats qui ont la fibre entrepreneuriale de mener à bien leurs projets. Il ne s’agit pas d’assister les jeunes, il s’agit de faire l’équité. Et c’est cela qui constitue l’inclusion économique !

Et depuis 2007, que propose Mozaïk RH ?

Saïd Hammouche : Ces huit dernières années, Mozaïk RH a pu faire signer 4 000 contrats jeunes. On a ouvert 4 agences, en plus de Paris, soit sur cinq territoires différents. On a beaucoup avancé également sur l’accompagnement et la préparation des candidats. On a quatre-cinq programmes qui fonctionnent plutôt bien. On a aussi connu sur les dernières années des réussites qui ont été soutenues par des collectivités locales, par des entreprises, par Pôle emploi, avec qui un partenariat au niveau national a été signé.

Donc il y a matière à faire des choses quand on est acteur de la société civile. Le problème est qu’on pourrait faire beaucoup plus vite. C’est une histoire d’accélération finalement : les solutions, on est nombreux à les avoir, tels que Passeport Avenir, l’Institut Télémaque, Frateli…

S’ils veulent réussir, les politiques doivent davantage travailler avec les acteurs économiques et les entreprises. Mais je constate qu’il y a encore beaucoup de blocages pour des raisons idéologiques.

Cela veut-il dire que les politiques, l’État ne font pas suffisamment confiance aux acteurs de terrain ?

Saïd Hammouche : Qui avait imaginé qu’un jour on allait pouvoir non seulement parler de discriminations à l’emploi avec des entreprises, mais aussi proposer une offre de services qui serait commercialisée auprès de ces entreprises, et notamment celles du CAC 40 ? Au départ, Mozaïk RH était une association où l’on était tous des bénévoles. Aujourd’hui, c’est 33 salariés, c’est un modèle économique qui fonctionne avec 80 % de ressources privées. On voit bien qu’il y a la possibilité de faire émerger des nouvelles solutions et de porter des nouveaux modèles.

L’amertume, c’est que pour aller plus vite il faut plus de soutien, et pas que le soutien financier, c’est véritablement un changement de mentalité par rapport aux préjugés et par rapport à la manière dont on observe la situation économique.

Que conseilleriez-vous au futur président de la République ?

Saïd Hammouche : Durant la période de « lune de miel » des 100 premiers jours du prochain mandat présidentiel, les décideurs politiques doivent commencer par recruter des candidats de la diversité dans leurs cabinets ministériels, dans les administrations centrales sur des postes de dirigeants, de hauts fonctionnaires… Il faudrait faire cela aussi dans les entreprises publiques. Les pouvoirs publics doivent, à mon avis, montrer l’exemple.

S’agissant de l’emploi des jeunes, je crois beaucoup aujourd’hui à la nécessité que les pouvoirs publics s’appuient sur des acteurs de la société civile, sur des organisations à but non lucratif, sur des entreprises privées pour les aider à travailler la question du placement des jeunes. Contre le chômage, il y a plein d’acteurs aujourd’hui qui ont des solutions tangibles, permettant de changer la donne et d’affirmer une position forte sur les questions d’inclusion des jeunes. On pourrait donner plus de délégations de service à des entreprises qui ont des réseaux, qui travaillent au quotidien avec des recruteurs, des DRH, pour placer des candidats de talent. Je parle de ce segment de ceux qui ont des diplômes, qui sont qualifiés, qui sont motivés et qui subissent une discrimination et qui n’ont pas à être au chômage. Il y a quand même 1,8 million de postes ouverts chaque année.