Lucie Rwakana Umukundwa, réfugiée rwandaise, à la tête d’une start-up

Par Lola Ruscio, le 17/11/2017

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Exilée en France depuis 2006, Lucie Rwakana Umukundwa se lance dans une aventure entrepreneuriale pour vendre des produits africains. Un projet en écho avec son passé d’activiste. 

C’est un jour joyeux pour Lucie Rwakana Umukundwa. À 43 ans, cette femme originaire du Rwanda expose fièrement de l’art africain dans une boutique parisienne de commerce équitable. Sacs en tissu wax, vanneries, bijoux en corne de vache, sculptures en bois, objets design en écorce de ficus… Le savoir-faire traditionnel kényan, ougandais, rwandais, tanzanien brillent dans la pièce.

Le chemin est encore long, toutefois, pour en vivre : « Je revois en ce moment mon business plan », raconte Lucie, qui fait des allers-retours entre la Picardie et Paris pour participer aux formations de l’incubateur La Fabrique, conçu par la start-up Singa.

Une galerie dédiée à l’art africain

« Je rencontre des partenaires qui souhaitent contribuer au projet. L’an prochain, on devrait ouvrir une galerie dédiée à l’art africain », précise cette entrepreneuse, actuellement bénéficiaire du RSA (revenu social d’activité). Une situation délicate à vivre pour cette mère de famille : « Je limite mes dépenses pour vivre correctement. » « Ma fille intégrera une école privée de  cinéma, si elle échoue aux concours publics. Je n’ai pas le droit à l’erreur », affirme Lucie, sobrement habillée dans sa robe bleue marine assortie à son trench en velours.  

Son projet, elle y croit. Ses œuvres, en ligne sur son site izuba gallery, sont achetées auprès de huit artistes rwandais et ougandais.  

La conception de cette start-up, lancée en 2015, préserve un lien avec son pays d’origine. Même si le Rwanda n’est jamais loin, comme en témoignent ses bracelets et ses boucles d’oreilles en corne de vache. « C’est issu de la vache royale (inyambo en rwandais), une race élevée par des nomades pour leurs cornes, car elles produisent peu de lait », explique l’entrepreneuse. Les coutumes rwandaises, Lucie en parle avec tendresse.

Contrainte de quitter son pays

Onze ans, pourtant, que cette réfugiée n’y a plus mis les pieds. Lucie a été contrainte de quitter son pays, sous peine de voir sa vie et celle de ses proches en péril. La plaie n’est pas pansée. « C’était très traumatisant, j’ai laissé ma fille de 8 ans et mon garçon de 11 ans… Je m’occupais de ma famille appauvrie par le génocide des Tutsis, je payais les frais de scolarité des enfants », témoigne Lucie.  

Au Rwanda, elle est devenue journaliste après le génocide des Tutsis de 1994. Cet événement traumatisant l’a encouragée à s’investir dans la collectivité dès 19 ans : « J’ai eu envie d’être utile à la reconstruction de mon pays, comprendre et dire la vérité sur ce qu’il s’est passé. » Lucie occupait un poste de journaliste à la radio La Voix de l’Amérique , contrôlée par l’Etat américain, et était correspondante pour Reporters sans frontières.

Mais ses enquêtes sur l’implication du Rwanda dans la guerre civile au Congo, ses articles sur les arrestations d’opposants politiques et sa liberté d’expression déplaisent aux autorités rwandaises. Pressions, menaces et violences sur son frère « tabassé par la police locale »… Lucie a  été aussi interpellée à plusieurs reprises.

Retrouver confiance et aimer la liberté

Le spectre de la mort a hanté son quotidien, au point de devoir s’exiler en 2006. En France, Lucie a fait une école de journalisme à Strasbourg, avant de piger pour des médias. Le déclassement social la frappe de plein fouet : « Le niveau de vie est dix fois plus élevé ici que là-bas. » Et de préciser : « J’ai enchaîné les petits boulots, j’ai compris que c’était compliqué de bosser comme journaliste », dans un pays dont elle ne maîtrise ni la langue ni la culture. Toutefois, dit-elle, « grâce à mon métier, j’ai su m’adapter et me faire accepter de tous les milieux ».
 
Sa rencontre avec la start-up parisienne Singa, Lucie l’a fait grâce à un ami journaliste congolais. Participante à l’incubateur depuis juillet, elle a retrouvé confiance, alors qu’elle était sur le point d’abandonner.

Son objectif est désormais de consolider un réseau solide pour rencontrer des investisseurs. Le tout, en restant fidèle à l’idée du projet : « Me sentir utile en aidant les populations locales d’Afrique de l’Est : plus je vends leurs produits traditionnels sur le sol français, plus je crée du travail là-bas. » Un pari audacieux pour cette femme, sachant que l’art traditionnel africain est marginalisé en Occident. Pour elle, l’enjeu est ailleurs : « J’aime la liberté. »