Amira : « J'ai essayé de comprendre ma mère et son histoire compliquée, mais je n'en peux plus »

Par Abdelnour Zahrali, le 04/05/2024

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Assalamu alaikum,

J'ai 22 ans, je viens d'une famille de huit enfants et je suis née à Mayotte. Après avoir obtenu mon diplôme, j'ai décidé de partir en voyage, envisageant un visa de type PVT (Programme Vacances-Travail, ndlr), qui permet de rester dans un pays pendant un an. Pour bien comprendre mon histoire, je dois remonter à mon enfance.

À l'âge de 6 ans, mon père est décédé. Je ne l'ai jamais rencontré, car ma mère était partie dans un autre pays avant ma naissance. À 8 ans, ma mère est allée en France à la recherche d'une vie meilleure, nous laissant derrière elle, chez sa cousine, qui a fait de son mieux pour nous élever. Malheureusement, nous avons souvent vécu dans des conditions difficiles et négligées. À 10 ans, je me suis retrouvée dans une famille d'accueil, mais un an plus tard, ma mère est venue nous chercher.

À 11 ans, je suis arrivée en France, espérant retrouver l'amour d'une mère, mais ce ne fut pas le cas. Peu de temps après notre arrivée, j'ai dû m'adapter à la vie française et à l'école. J'ai également été victime de harcèlement scolaire pendant deux ans, une situation que ma mère ignorait. À la maison, les choses n'étaient pas meilleures. Ma mère s'amusait à me tirer à travers la maison pour me mettre dehors, alors je m'accrochais aux meubles pour éviter d'être jetée dans la rue, car j'avais déjà vécu cette expérience à Mayotte. De plus, j'étais constamment victime de remarques sur mon corps, comme « Tu es grosse, tu manges trop ».

Il y a eu un incident où ma mère a tenté de se suicider devant nous parce que ma petite sœur avait demandé un œuf à une voisine. Chaque petite chose dans la maison, comme ne pas faire la vaisselle ou le ménage, était devenu une source de chantage et de peur. Ma mère nous battait, nous insultait, nous rabaissait et utilisait la religion comme excuse. J'ai souvent supplié mes sœurs d'aller demander pardon, en nous agenouillant à ses pieds pendant des heures. Un jour, je l'ai entendue au téléphone se moquer de moi et dire que je la suppliais tout le temps. Elle se déshabille même devant nous, prétendant que nous lui manquons de respect. À plusieurs reprises, j'ai subi ses insultes et elle m'a conditionnée à considérer cela comme normal.

À 18 ans, elle m'a inscrite dans une auto-école pour passer le permis, mais trois ans plus tard, je n'ai toujours pas le permis du fait de problèmes au sein de l'auto-école qu'elle a choisie. J'ai essayé de concilier la conduite avec mes études et mon travail, mais en vain. J'ai donc décidé de quitter l'auto-école et de revenir chez elle pour économiser pour mon voyage, ce qui a déclenché une bataille judiciaire avec l'auto-école pour obtenir un remboursement.

Pendant mes études, elle m'a incité à ne plus parler à ma sœur qui habitait dans la même ville étudiante que moi. De plus, à cause de ses remarques sur mon corps, j'ai commencé à suivre des régimes excessifs. Tout cela a engendré chez moi un profond mal-être, affectant ma confiance en soi et ma manière d'interagir avec les autres, en particulier les hommes, sans compter ses histoires avec de la sorcellerie, d’où mon désir de partir.

Maintenant, à six mois de mon départ pour mon voyage, ma mère est venue me voir et a exigé l'argent qu'elle avait dépensé pour mon permis à mes 18 ans ainsi que pour mon BAFA à 17 ans. Je lui ai remis mes économies pour mon projet, et elle a ri face à mes larmes, me pressant de régler rapidement les démarches avec l'auto-école. Cela me blesse profondément, car elle ne reconnaît pas les efforts que j'ai fournis en travaillant dur dans différents emplois intérimaires avec des horaires difficiles.

Je suis épuisée par cette situation. J'ai déjà vécu une première dépression l'an passé, et je ne veux plus revivre ça. Pendant dix ans, nous avons vécu dans un enfer où ma mère exerce une maltraitance physique et émotionnelle. Elle ne parle plus à ceux qui n'agissent pas comme elle le souhaite (ce qui déjà le cas avec ma grande sœur et mon jeune frère). Il me reste six mois à vivre avec elle avant mon départ.

Je suis toujours restée une enfant responsable et gentille envers les autres. J'ai commencé à travailler à l'âge de 16 ans durant les étés, et j'ai toujours été honnête. J'ai constamment essayé de comprendre ma mère et son histoire compliquée, mais je n'en peux plus.

Je suis désolée pour ce message long et chargé d'émotions, mais j'aimerais savoir ce que notre religion dit à ce sujet car par Allah, elle reste ma mère et je ne veux pas en venir à la détester car oui je l'aime et Dieu sait à quel point, j'ai entendu qu'on a le droit de garder nos distances sans couper les liens mais, de son côté, elle coupe les liens avec ses enfants dès qu'ils ne vont pas dans son sens. Quels sont vos conseils s’il vous plaît ?

Abdelnour Zahrali, psychanalyste

Wa alaykoum as-salam chère Amira,

Je me sens très peiné par le récit que vous faites de votre enfance et de votre relation actuelle avec votre mère. Il n’existe pas à mon avis de raisons valables de devoir subir un tel traitement ! Votre mère ne parvient pas, de toute évidence, à faire preuve d’amour, de soutien, de respect et de compréhension envers ses enfants. Il est fort probable qu’elle ait eu elle-même à subir des conditions très défavorables, et c’est bien triste, mais il n’est pas souhaitable que les répercussions de ce qu’elle a vécu pèsent sur vous à ce point. Vous avez visiblement fait preuve de patience et de compréhension, ce qui n’a pas éveillé davantage de compassion chez votre mère, vous concernant.

Votre décision de partir en voyage me semble constituer une mesure d’urgence quant à votre santé et votre bien-être. Vous n’êtes pas responsable de ce qui est arrivé à votre mère et il vous faut maintenant penser à vous, c’est évident. Je ne vois rien de bénéfique, que ce soit pour vous ou pour votre mère, à ce que vous demeuriez dans cette situation qui consiste à subir une méchanceté qui tombe injustement sur vous, alors qu’elle est certainement adressée à d’autres personnes, à travers vous.

Je vous souhaite le courage nécessaire pour prendre votre vie en main. Puisse votre mère trouver la paix de l’âme. Vous l’aiderez davantage en vous respectant qu’en vous sacrifiant en vain à une situation dont vous n’êtes absolument pas responsable.


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