« J’atteste qu’il n’y a pas de Dieu en dehors de Dieu et que Muhammad est l’Envoyé de Dieu. » C’est par l’acceptation et la prononciation de cette phrase qu’un individu se déclare musulman. Premier pilier de l’islam, la profession de foi, qui affirme avec force l’unicité de Dieu, est au cœur même de la doctrine islamique. Avec son dernier livre sobrement intitulé « L’Attestation de foi – La Shahada », l’imam et théologien Mohamed Bajrafil revient sur la signification profonde de ce témoignage.
Saphirnews : Vous publiez votre troisième ouvrage, le deuxième est également sorti en 2018. Pourquoi autant de productions éditoriales maintenant ?
Qu’est-ce que votre livre change par rapport à ceux qui ont déjà été publiés sur la shahada ? Parce que ce thème est souvent le premier sur lequel on se renseigne avant de se convertir à l’islam ou de se mettre à la pratique religieuse.
C’est une manière de dire que nous ne voyons pas tous la vie de la même manière et que si chacun de nous écrivait, il permettrait aux autres de voir une partie d’eux dont ils ne sont pas forcément conscients.
(…) Au fond, j’essaie tout simplement de partager ce que je pense savoir et je demande à tout un chacun d’en faire autant. Je pense qu’on peut améliorer le monde de cette manière.
Deuxième chose, il y a ce besoin de rester fidèle à l’imam Al-Ghazali qui, il y a 1 000 ans, avait écrit un livre intitulé La Revivification des sciences religieuses. Il partait déjà de l’idée qu’il y a 1 000 ans les gens ne faisaient pas le lien entre la prière et les secrets de celle-ci, entre le pèlerinage et les secrets de celui-ci… Aujourd’hui, le moins que l’on puisse dire – et je pense qu’une bonne partie des gens seraient d’accord là-dessus –, c’est qu’on a perdu l’esprit de ce que nous faisons au profit du corps. J’ai essayé, avec mes maigres moyens, de proposer un discours qui réconcilie à la fois la pratique et l’esprit de l’attestation de foi.
Pouvez-vous rappeler aux lecteurs ce qu’est la shahada ? Elle est constituée de deux parties, comment l’expliquez-vous ?
Parce que, moi, je dis que la shahada est constituée d’une négation suivie d’une approbation. Souvent, lorsqu’on présente la shahada, on la présente comme étant constituée de la foi en Dieu et au Prophète alors qu’en fait les deux, certes, existent mais elles sont sous-tendues et portées par la négation que j’appelle « la négation primaire » que Dieu a mis dans toute sa créature : la possibilité de dire non. Et c’est par ce biais que j’affirme qu’en islam la foi, c’est d’abord une question de liberté : parce que tu commences par dire « La » qui veut dire « non » en arabe, tu dis « Je refuse ».
Ibn Ata Allah Al-Iskandari, un grand théologien mystique musulman du XIIIe siècle, a écrit, entre autres, un livre entier qu’il a consacré au nom « Allah », dans lequel il dit clairement que nous avons d’abord ce que l’on appelle le refus. Le refus de quoi ? Je refuse qu’on me propose pour ensuite accepter ce que, moi, je choisis. Avec « la ilaha », je refuse l’existence de quelques divinités que ce soit, sauf celle que j’ai choisie qui est la divinité véridique. Une négation suivie d’une approbation, preuve si besoin était qu’en islam, ce qui compte, c’est la liberté.
Finalement, cela répond à l’adage populaire « Choisir, c’est renoncer »...
Muslim est en relation avec le lâcher-prise, c’est comme cela que je le traduis et c’est comme cela qu’il faut le traduire aujourd’hui. Quand on parle de soumission, on a tendance à penser qu’il s’agit d’une soumission d’avilissement, alors qu’il s’agit d’un lâcher-prise. C’est comme quand on est amoureux de quelqu’un, on s’abandonne à lui. Donc on s’abandonne à Dieu parce qu’on est dans une relation de confiance et c’est d’ailleurs de là que vient la notion de « imane ». La foi, c’est d’abord une question de confiance.
(…) C’est un peu dans cet esprit-là que j’ai écrit ce livre. Pour aller dans le sens de votre question, quand Jean-Paul Sartre disait qu’« être libre, c’est savoir dire non » : être musulman, c’est d’abord dire non.
Dire non, c’est aussi ne pas être d’accord avec l’ordre établi… Quelque part, être musulman, c’est être révolutionnaire ?
Dans un précédent livre que j’ai écrit (Réveillons-nous !, publié en 2018, ndlr), j’ai parlé justement de deux types de mécréances : la mécréance pharaonique et la mécréance quraychite. La mécréance pharaonique, c’est la mécréance du pouvoir d’un tyran qui veut soumettre tout le monde à ses désidératas. La mécréance quraychite, c’est la mécréance des habitus : nous avons vu nos ancêtres agir ainsi et nous reproduisons leurs gestes. Le Coran dit : « Et si vos ancêtres avaient tort ? » Au fond, c’est dans ce sens-là que, en effet, je suis d’accord avec l’idée de révolution.
Il y a des personnes qui sont nées musulmanes par leurs parents qui, après réflexion, en devenant adultes, prononcent la shahada pour marquer leur pleine et entière entrée dans la religion et sortir d’une religion d’héritage. Cela signifie qu’il y a du sens à prononcer de nouveau cette shahada en tant qu’adultes…
Mohamed Bajrafil : « L’islam n’a pas besoin de lois d’exception pour être pratiqué »
Mohamed Bajrafil : « La réforme doit s’effectuer non pas sur le Coran mais sur ses lectures »
Nous et notre comportement, le meilleur film que les musulmans puissent faire sur le Prophète et l'islam