Né à Aïn Témouchent, en Algérie, en 1917 et mort à Jérusalem en 2007, André Chouraqui est le fondateur des comités de coopération interreligieuse groupant des représentants des autorités juives, chrétiennes et musulmanes, et l’un des cofondateurs de l’Amitié judéo-chrétienne et de la Fraternité d’Abraham en France, en collaboration avec le défunt recteur de la Grande Mosquée de Paris, Hamza Boubakeur, et le père Michel Riquet. Lié à lui par une longue amitié, Henry Bonnier lui rend hommage dans son dernier ouvrage « André Chouraqui, un prophète parmi nous » et nous dévoile bien des facettes de cet homme « poli par la main de Dieu ».
Saphirnews : Henri Bonnier, vous êtes romancier et vous avez écrit dernièrement une autobiographie « Nuits de lumière » où vous évoquez votre cheminement spirituel, notamment avec votre maître soufi Catherine Delorme. Vous publiez aujourd’hui un essai sur André Chouraqui, le traducteur des textes sacrés des trois religions monothéistes. Qu’est-ce qui vous a motivé pour cet ouvrage ? Quelle est votre démarche en tant qu’auteur ?
A Marseille, j’ai vu le film « Nuits et brouillards » (un documentaire français de 1956 réalisé par Alain Resnais, à l'initiative d'Henri Michel, qui traite de la déportation et des camps d'extermination nazis de la Seconde Guerre mondiale, ndlr). Lorsque les lumières se sont rallumées, aucun spectateur n’arrivait à se lever. Nous étions non seulement bouleversés, mais atterrés que l’homme puisse faire à l’Homme tant de dommages. Ma génération aura porté cette honte toute sa vie, d’autant plus qu’étant catholique, je ne pouvais pas me cacher l’antisémitisme que cette religion a diffusé pendant 2 000 ans. Autant dire que je connaissais André Chouraqui avant de l’avoir rencontré. Cette rencontre était inscrite depuis longtemps.
Par-delà ce qui touche à l’histoire immédiate, il y avait en moi une angoisse latente faite de faim et de soif, faim de Dieu et soif de sa Parole. Le maître que j’eus autour de ma 50e année me demandait avec insistance quel était mon désir le plus profond, et j’ai fini par rendre les armes : mon désir le plus profond se nommait Dieu.
Dans la lumière de ses enseignements, je me répétais ces mots de Teilhard de Chardin (prêtre jésuite français, chercheur, paléontologue, théologien et philosophe, mort en 1955, ndlr) : « Nous ne sommes pas des êtres humains qui vivons une aventure spirituelle ; nous sommes des spirituels qui vivons une aventure humaine. »
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La traduction du Coran par André Chouraqui est marquée par son expression « le Matriciant, le Matriciel » pour traduire la basmallah. Il a ainsi mis un éclairage sur l’aspect féminin maternel de Dieu, mais il a choqué certains par cette brusque rupture avec les formulations antérieures (le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux). En avait-il conscience ? Etait-ce intentionnel ?
Les chrétiens, toutes tendances confondues, ont mis 2 000 ans à élaborer un texte œcuménique, les Evangiles. La paix est à ce prix.
Par exemple, Saint Jérôme (né en 347 et mort en 420, traducteur et commentateur de la Bible en latin dont la traduction, la Vulgate, fut consacrée au XVIe siècle par le Concile de Trente, ndlr), à qui je compare André Chouraqui, a élaboré un corpus des textes sacrés en latin, et l’Eglise catholique, confrontée à la révolte de Luther, a déclaré qu’en aucune façon, on ne pouvait toucher à son texte. Cette interdiction a duré trois siècles.
Quel était le point de vue d'André Chouraqui sur l’universalité et la diversité des monothéismes ?
Le monothéisme engendre une conception très restrictive de l’Homme en ce que chaque Homme doit ressembler à l’Autre. Or, la richesse de l’humanité se trouve dans l’unicité de chaque Homme, unique. Il est dit dans le Coran : « Nul ne peut aimer autant que moi, mais je suis un Dieu jaloux, je ne veux pas que les cadeaux que je t’ai faits dans la préexistence aillent à un autre que moi dans ton existence. » Ce verset s’adresse à chacun de nous en particulier. La prophétie est tout simplement plurielle. Dès l’après-guerre, André Chouraqui fut un des artisans de Vatican II (1962-1965), avec Jules Isaac (historien français mort en 1963, ndlr) et des amis.
La traduction des trois textes sacrés, la Torah, les Evangiles et le Coran, c’est pour nous amener à lire ces textes ensemble, pour que nous abattions les murs de la séparation. Peu de gens ont lu sa Lettre à un ami arabe (parue en 1994, ndlr), où il écrivait : « La tribu des Bani Israël ne serait-il pas le point de départ du peuple d’Israël, qui serait donc un peuple arabe ? » Au moment de l’apogée de l’empire arabe, tous les Juifs parlaient la langue arabe. L’arabe et l’hébreu, deux langues sémitiques, ont pour origine commune l’araméen.
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Que peut-on retenir du message de celui que vous appelez « un prophète parmi nous » ?
Moïse, Jésus et Muhammad nous demandent de maîtriser l’ego. Si on y arrive, le royaume des cieux nous est ouvert.