Selma : « Maladie psychologique ou spirituelle, comment faire la différence ? »

Par Lalla Chams En Nour, le 17/04/2021

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Je suis une jeune étudiante de 19 ans, en deuxième année de psychologie. Mon oncle est atteint de schizophrénie et a subi plusieurs hospitalisations. Lors d'une visite en psychiatrie, les patients que j'ai rencontré m’ont particulièrement touchée, et je me suis dit que c'était auprès d'eux que je voulais être, les aider, les soutenir. Je suis passionnée par ce domaine.

Cependant, l'an passé, en mars, je pense avoir eu des hallucinations cénesthésiques. Une force extérieure venait me violer tous les soirs (sensation uniquement, pas de vision). J'étais très paniquée, mon cœur battait si fort que je pensais qu'il allait sortir de mon corps ! J’essayais de me débattre mais cela ne changeait rien, je n'avais que mes larmes pour pleurer et mes mains levées pour demander à Dieu de l'aide.

J'ai pris ça comme une épreuve de Dieu qui voulait me faire comprendre que la psychologie n'existe pas, que si je voulais aider les personnes en souffrance, la psychologie n'était pas le bon domaine, que les autres (mon oncle schizophrène et les autres patients avec lui) avaient raison, c’est-à-dire que finalement tout cela était provoqué par les démons.

Plus le temps passait, plus c'était insupportable car cela se manifestait tout le temps, jour et nuit sans pause, sans fin. J'avais l'impression que mon corps ne m'appartenait plus, que quelque chose bougeait dans mon ventre. J'avais aussi des douleurs dans les parties intimes mais aussi parfois dans les jambes, comme si quelqu’un me faisait mal.

J'ai commencé à douter de mon entourage, me demandant s’il n'était pas la cause de ce qui m’arrivait à travers la sorcellerie. J’analysais tout ce qui m’entourait, la nourriture qu'on me donnait. Parfois même, j'allais me faire vomir au cas où on m'aurait donné un poison. Il m'était impossible de me concentrer pour faire autre chose, ma mémoire était aussi affectée puisque je devais réviser pour mon examen mais je ne retenais rien, même en me forçant.

Cet épisode a duré de mars à juin. Puis, pendant deux semaines, il ne s'est rien passé, le délire était toujours présent mais les hallucinations, quant à elles, n’étaient plus présentes, cela m’a permis de préparer le rattrapage. Après ces deux semaines, rebelote ! (...) Comme je vous l'ai dit, j'étais persuadée que c'était un démon. D'ailleurs, chose bizarre pour moi vu que je ne crois pas à ce genre de chose de base, mes parents non plus. La sorcellerie existe mais les maladies psychologiques aussi ! Et puis, au début de ce mois, je me suis remise en question, j'ai toujours fait mes invocations matin et soir... Je suis sensée être protégée du monde invisible selon les hadiths.

La cause est peut être psychologique alors. Ayant un oncle schizophrène et une tante aussi (diagnostiquée et suivie), j'ai donc fait des recherches pour, peut-être, trouver un lien entre la génétique et ce que je vivais. C'est ainsi que j'ai découvert que les hallucinations cénesthésiques pouvaient avoir lieu chez les patients schizophrènes. Je me suis donc dit que je devais peut-être aller consulter un psychiatre. Cependant, je n'ai pas encore tout à fait rejeté ma première hypothèse et je voulais savoir, s’il vous plaît, comment savoir s’il s'agit d'une maladie psychologique ou d'un démon. Les symptômes de la schizophrénie sont similaires à ceux des djinns amoureux par exemple ou de certains sortilèges. D'ailleurs, ce phénomène des djinns amoureux existe-t-il vraiment ? Aujourd'hui je rentre dans mon onzième mois de « folie » !

D'un côté, j'ai envie de consulter pour vite me soigner avant que ça ne s’aggrave, surtout que je n'ai pas envie de finir comme mes proches. D'un autre côté, je n'ai pas envie qu'on me donne un traitement alors que la cause est peut-être du monde invisible. Aussi, je n'ai pas envie d'en parler à ma famille si on me diagnostique, l'histoire de mon oncle et de ma tante les ont déjà bien détruits pour que je leur rajoute mon cas... Alors je voulais savoir s’il est possible d’être remboursé sans recevoir de courrier de remboursement à la maison ? Aussi, est-il possible que le psychiatre néglige ce qu'il m'arrive et ne me donne pas de remède ? Sous prétexte que je suis étudiante en psychologie et que je m invente des choses en étudiant, que je m'identifie ?

Si je suis diagnostiquée schizophrène, faut-il que je me réoriente? Puisque quelqu’un de pas stable psychologiquement ne peut pas aider les autres ! Surtout que je voulais m'orienter en psychopathologie, pour être psychologue en psychiatrie.

Lalla Chems En Nour, psychanalyste

Chère Selma,

Tout d’abord, veuillez excuser le long temps d’attente pour notre réponse, vous êtes vraiment nombreux à nous écrire. Comme vous l’imaginez je ne peux vous répondre que superficiellement, car ce n’est pas à la seule lecture de votre courrier que je peux faire une réponse solide. Je vais essayer néanmoins de vous apporter un éclairage.

Vos symptômes et les antécédents familiaux relèvent à mon avis, en effet, d’un traitement pour psychose. Et aujourd’hui la psychiatrie peut bien répondre à ces hallucinations. Disons qu’elle peut les contenir et vous permettre de fonctionner plus normalement avec les autres. Je vous recommande même de vous faire suivre au plus vite. Vous êtes jeune, n’attendez pas en effet que les symptômes s’aggravent et vous empêchent de vivre.

La question des djinns est, selon moi, une représentation culturelle. Oui, bien sûr, le Coran évoque les djinns ; oui, bien sûr, il existe des personnes mal intentionnées qui cherchent à faire le mal via la magie noire, mais tout est question de distance et d’interprétation. La psychose, les manifestations de ce que l’on appelle la folie, vient d’une inadaptation à la réalité, d’une impossibilité à fonctionner avec les autres, et oui aussi souvent d’un héritage familial dans la mesure où certaines généalogies sont très marquées par ce genre de dysfonctionnements. Les djinns ont souvent bon dos. Ce sont des énergies et il en existe de bénéfiques.

Vous posez des questions sur vos études. Il me semble que tant que vous pouvez étudier et passer vos examens, il est important que vous poursuiviez. Vous aurez un diplôme, même si vous changez d’orientation, ce sera déjà quelque chose. Je ne me risquerai pas à vous répondre plus précisément car c’est avec le psychiatre qu’il vous faudra aborder la question. Il est évident qu’on vous prendra au sérieux, que l’on vous accueillera avec attention.

Vous me demandez de vous indiquer des psychiatres qui travaillent en téléconsultation, je n’en connais pas. Vous pouvez toutefois vous renseigner auprès du service psychiatrique de l’hôpital Avicenne à Bobigny qui saura vous renseigner. Ils ont l’habitude de travailler en ethnopsychiatrie et tiennent compte de votre culture d’origine pour mieux s’adapter à votre problématique.

La rubrique « Psycho », qu’est-ce que c’est ?

Des psychologues et psychanalystes répondent à vos questions. Musulman(e)s du Maghreb ou de France, professionnel(le)s actif(ve)s exerçant en cabinet, ils réfléchissent à votre problématique et tentent de vous éclairer à travers leur expérience professionnelle et leur pratique spirituelle. Ils peuvent vous aider à y voir plus clair en vous-même ou à mieux décrypter le comportement des personnes de votre entourage.
Ils ne sont pas médecins, même si on les désigne parfois comme des « médecins de l’âme », mais leur rôle est de vous aider à trouver en vous-même la meilleure réponse à vos interrogations sur vos relations aux autres, votre conjoint ou conjointe, vos parents, vos frères et sœurs, vos amis, vos collègues de travail, vos voisins...
Alors, n’hésitez pas, interrogez-les, ils tenteront de vous répondre en s’éclairant des plus belles pensées de l’islam.
Contactez-les (anonymat préservé) : psycho@saphirnews.com