Sirine : « Rester avec un homme que je n’aime plus me tue à petit feu »

Par Lalla Chams En Nour, le 18/06/2022

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Je voudrais avoir votre avis sur ma situation. Je n’aime plus mon mari depuis cinq ans à peu près, je ne veux plus de contacts intimes avec lui, nous n’avons plus de rapports depuis au moins deux ans. Nous vivons comme des colocataires. Pire encore, il ne fait pas grand-chose à la maison. Cette plainte doit vous être familière...

Mon mari n’est pas mon ami, il ne l’a jamais été. Il n’est pas mon amoureux, ni mon « amant ». Je souffre, et lui aussi, de cette situation. J’ai peur de le laisser, de partir, je n’arrive pas très bien à identifier d’où vient ce blocage.

Mariée à 20 ans et depuis 20 ans, j’ai l’impression que ma relation n’a fonctionné que du fait que j’étais docile. Je ne veux plus être cette femme-là. Du coup, ça ne va plus. Il y a confusion chez moi avec islam, soumission à l’homme... Je ne me sens pas moi, avec lui. Pouvez-vous m’expliquer si c’est un cas de divorce ? Il faut comprendre que ça fait 10 ans que ça ne va pas. Dans mon esprit, ça n’a jamais bien été avec lui, mais il faut bien vous donner une date qui aide à la compréhension.

Est-ce que le mariage signifie aliénation de sa personnalité au profit de l’autre ? Comment doit fonctionner un couple normal ? L’amour est-il le fondement, socle de toute relation maritale en islam ? Rester avec un homme que je n’aime plus m’épuise, me tue à petit feu. Pouvez-vous m’éclairer sur ce que l’islam attend de nous, musulmanes ?

J’espère que ces questions trouveront des réponses. Merci beaucoup et que la paix soit sur vous.

Lalla Chams En Nour, psychanalyste

Chère Sirine,

Merci de poser aussi bien des questions que peuvent se poser des millions de femmes au sein de la civilisation islamique. Je peux supposer que vous vous êtes mariée conformément aux règles de la tradition. Vos questions sont cruciales et me renvoie aussitôt à la relation d’amour qui unissait Muhammad (PSL) et la femme dont il a partagé la vie pendant une vingtaine d’années, Khadija. Voilà un bel exemple de ce que peut être un couple en islam.

Curieusement cet aspect de la vie du Prophète reste très discrète. Or Khadija l’a cru, elle est devenue la première musulmane. Et son geste d’amour pour savoir si son époux avait vu l’ange Gabriel ou Satan montre l’importance de l’amour dans notre religion. Elle l’accueille dans son intimité, pensant qu’un ange n’oserait jamais rester indiscret en présence du couple. Gabriel s’est esquivé, preuve de l’authenticité de la Révélation.

Certains penseurs, comme Ibn Arabi, le cheikh Al-Akbar, donnent des réponses « radicales » à ce que doit être la relation d’un homme et d’une femme dans le cadre du mariage.

La rencontre intime au sein du couple, estime-t-il, est un apprentissage de l’amour divin. L’amour, c’est faire passer l’autre avant soi-même. Et le couple peut être comme un atelier d’apprentissage d’oubli de soi pour aller vers l’autre.

Evidemment, la tradition empêche cette rencontre subtile, cette élévation de soi qui « entraîne » pour aller à la rencontre du Créateur, au-delà de la mort. Ainsi, la tradition a vidé l’union maritale de toute dimension d’amour. Héritée de la culture tribale, obsolète, elle enferme les individus dans une logique utilitaire, conformiste, soumise à la réputation, en un mot dépassée, ou mieux, archaïque. Or le respect réciproque, le rôle des mères, l’égalité dans les châtiments en cas de faute, sont inscrits dans le Coran. Ce que les hommes ignorent, c’est que se couper du féminin, cela les ampute d’une dimension de leur être.

Hélas pour vous, vous semblez avoir été prise dans cette dérive de la tradition, déformée, réinventée par les tenants du pouvoir, les tenants du droit, les législateurs crispés sur leurs privilèges et leur vision dépréciative de la femme. Et j’apprécie que vous reconnaissiez que vous êtes tous les deux victimes de ce système.

Vous semblez avoir fait une prise de conscience qui rend quasiment impossible de rester dans la même soumission. Si vous êtes malheureux tous les deux, ne pouvez-vous pas vous rendre la liberté ? Souvenez-vous des mots du Coran à propos du jugement dernier : chacun sera responsable de ses actes. Ne pensez-vous pas que cela indique qu’il n’y a nulle soumission possible ? Nous sommes à égalité avec les hommes ce jour-là : chacun sera responsable de ses actes.

J’espère vous avoir aidée. Puis-je vous recommander de lire le dernier livre de Karima Berger, « Les gardiennes du secret » ? Il devrait pouvoir vous apporter un nouvel éclairage.


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