Comment réaliser un film avec zéro budget ?

Par Florine Cauchie, le 29/11/2017

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Apprentissage, scénario, tournage, distribution... Se lancer dans l’industrie du cinéma peut sembler effrayant lorsqu’on ne connaît ni les ficelles ni les gens du métier. Pourtant, de nombreux réalisateurs s’y sont essayés et ont réussi. Voici leurs secrets.

« On a tourné ce film en quatre jours et sans budget. » Ange Basterga est le coréalisateur de Le Caïd, film autoproduit qui vient de remporter le grand prix du festival de Cognac dans la catégorie « Meilleur long métrage de cinéma ». Dans sa dernière création, le réalisateur est également acteur. Il incarne un journaliste qui suit 24 heures sur 24 un caïd des quartiers nord de Marseille. Sans entraves, ce dernier lui fait tout découvrir de son trafic de drogue et évoque son objectif : percer dans le rap pour sortir de sa condition de criminel. On suit son destin dans ce faux documentaire.

Le cinéma guérilla

Ce genre de cinéma, dont Le Caïd est issu, porte un nom : le cinéma guérilla. Alors que les gros blockbusters français ont des budgets faramineux (25 millions d’euros pour Les Visiteurs 3), ces films guérillas sont réalisés avec peu ou pas d’argent, de petites équipes, des accessoires fabriqués avec les moyens du bord, dans des lieux privés ou publics sans autorisation…

Cela ne veut pas dire que le long (ou court) métrage restera à jamais dans le fond d’un tiroir. Djinn Carrénard l’a prouvé en réalisant Donoma avec seulement 150 €. Le succès fut au rendez-vous : le film a été présenté au festival de Cannes 2010 dans la sélection de l’Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID), dont il fit l'ouverture. Les retombées médiatiques et les récompenses ont permis au réalisateur de sortir un autre film en 2014, Faire l’amour.

Se faire un réseau

Keira Maameri, réalisatrice de l’émouvant Nos plumes, conseille aux jeunes d’« intégrer une école. La Fémis, par exemple, pas une université. Vous n’apprendrez rien de plus à la fac qu’un autodidacte mais dans une école vous vous ferez un réseau. Tout comme vous, vos camarades de classe seront très certainement de futurs professionnels. »

La Fémis est l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure école de cinéma de France. Son concours est très dur (moins de 5 % d’admis), et pas toujours accessible aux jeunes venant des quartiers (une année coûte environ 500 € pour les non-boursiers). Mais, depuis bientôt dix ans, « la Fémis et la Fondation Culture & Diversité mettent en place un programme d’égalité des chances pour favoriser l’accès à l’École des jeunes issus d’établissements de l’éducation prioritaire ou boursiers de l’enseignement supérieur sur critères sociaux », lit-on sur le site de l’école. Les appels à candidatures se font en début d’année. Après un entretien de motivation, les élèves se voient offrir des ateliers pour approfondir leurs connaissances et leur expérience cinématographique durant l’année précédant le concours. Keira Maameri ajoute : « Raoul Peck (président de la Fémis, ndlr) s’est battu pour que l’école soit accessible à tous. Cela a été dur pour lui de faire comprendre à l’élite qu’il est important que cela existe. »

Même avec les ateliers égalités des chances, le taux de réussite reste assez faible : 12,5 %. Se frayer un chemin dans cette jungle du cinéma est loin d’être simple. C’est pour cela que Houda Benyamina, réalisatrice de Divines (Caméra d’or au festival de Cannes 2016), a créé l’association 1000 Visages. Son but : favoriser l’accès à la culture pour les personnes qui en sont éloignées pour des raisons sociales, économiques et territoriales, tout en développant un cinéma porteur de respect. Créée en 2006, l’association regroupe des professionnels de l’image qui apprennent aux jeunes les ficelles du métier…

Mathilde Le Ricque, déléguée générale de l'association, raconte : « Les jeunes sont sélectionnés sur motivation. Leur assiduité durant les ateliers est également importante. Avec notre programme "Ciné-talents", les jeunes réalisent un court métrage collectif avec un réalisateur expérimenté : ils écrivent ensemble le scénario et passent à tous les postes sur un tournage. Ils participent également à la post-production et à la diffusion. » L’association permet aux jeunes de découvrir toutes les facettes de l’élaboration d’un film, donnant les clés pour se lancer, plus tard, en solo.

Braver les galères du métier

Et si, pour se lancer, il suffisait d’un rien ? Keira Maameri l’affirme : « Filmer avec un téléphone, c’est tout à fait possible. La qualité est superbe. Michel Gondry a fait un film avec un iPhone. » Ange Basterga, acteur et réalisateur, confirme : « On peut prendre son téléphone portable et faire un film avec ses potes. Ce qu’il faut, c’est avoir une grande persévérance, c’est la qualité première. » Lui les a bien connues les galères du métier, le manque de moyens. « Même après dix ans, si on veut faire ce genre de films, il faut réussir à convaincre les gens de te suivre. Les problèmes ne doivent pas être visibles. Sur mon dernier tournage, je devais avoir une vingtaine de voitures pour une scène très importante et finalement je n’en ai eu aucune. Il m’a fallu beaucoup d’énergie pour trouver un subterfuge. J’ai fini par penser à une solution qui rend le film encore meilleur que si je les avais eues. »

L’autre composante essentielle d’un film, ce sont les acteurs. Et cela peut vite coûter cher. Selon l’Association des comédiens et intervenants audiovisuels, pour une simple figuration, la rémunération (chiffres donnés ici en euros bruts) sera de 105 € la journée. Pour une silhouette muette, elle sera de 150 € alors que pour une silhouette parlante (plus de cinq mots dits) il faudra payer l’acteur 250 €. Au-delà, l’acteur est un artiste-interprète et doit être payé 400 € par jour. Un budget peut vite s’envoler si un scénario nécessite foule de personnages. Pour leur tournage, Ange Basterga et Nicolas Lopez n’ont pris aucun acteur professionnel. « Nous sommes tombés sur des gens formidables. Cinquante à soixante jeunes sont venus tourner avec nous. Ils ont joué le jeu et ont apporté une énergie incroyable. »

Mais les réalisateurs ont bien l’intention de les payer un jour : « L’objectif principal avec ce film, c’est d’obtenir l’agrément CNC, pour se faire voir et être demandé. Avec cet agrément, toutes les personnes qui ont travaillé sur ce film seront rémunérées, on pourrait avoir un distributeur, être dans plus de salles, pas seulement les indépendantes. »

Trouver un distributeur

La dernière étape, peut-être la plus importante dans la vie d’un film, est la distribution grâce à laquelle le public pourra voir l’œuvre. Dans l’idéal, il faudrait trouver un distributeur avant de tourner son film. Cela peut s’avérer être un parcours compliqué et rien n’empêche alors de se lancer et d’en chercher un plus tard.

Depuis 1993, l’ACID propose sa propre programmation au Festival de Cannes pour les films qui cherchent un diffuseur. Neuf films sont choisis par une quinzaine de cinéastes. Ces œuvres indépendantes, parfois autoproduites, sont souvent des premiers longs métrages et permettent de donner de la visibilité à leurs auteurs. Karin Ramette travaille au sein de l’association, elle précise : « Avoir un distributeur n’est pas automatique ! Ces derniers sont sensibles à notre programmation et la majorité des films trouve une distribution, notamment grâce à la promotion que nous effectuons. »

Il est très facile, via Internet, de s’inscrire dans des festivals gratuits pour mettre un film en avant. Au-delà de la visibilité que peut apporter une sélection en festival, gagner un prix rapporte de l’argent. Jérôme Genevray, réalisateur et auteur de Cinéma guérilla, développe dans son livre : « Vous pouvez réaliser un film rentable à condition de l’avoir produit pour quelques centaines d’euros. Le film "World’s Best Mum", que j’ai coréalisé avec Camille Hédouin, a obtenu quelques prix (…). Au regard de son coût de production (environ 30 €), les gains m’ont permis d’acheter un appareil photo de haut de gamme pour les films suivants et un microphone de bonne qualité. »

Keira Maameri voit les choses d’une autre façon : « Généralement, les salles m’appellent car elles aimeraient projeter mon film. Je le loue. Pour une projection, je demande quelques centaines d’euros, ce n’est rien. Je ne touche pas l’argent, je le mets de côté pour, plus tard, réaliser d’autres projets. »

Et s’il fallait donner un dernier conseil, pour la réalisatrice, ce serait : « N’écoutez personne. Si vous voulez faire un film sur les étoiles, ne laissez personne vous dire que c’est impossible. Contez, dessinez… mais tournez ! Faites ce que vous voulez ! Trompez-vous. Personne ne meurt de s’être un jour trompé. »