Pour la France, la bataille d’une famille d’origine algérienne pour l'honneur d'un fils

Par Lionel Lemonier, le 07/02/2023

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Le film « Pour la France » retrace les efforts d'une famille d'origine algérienne pour voir le fils cadet honoré par l'armée française, suite à sa mort prématurée au cours d'un exercice. Une histoire vraie racontée sans pathos inutile par le propre frère de ce musulman français et patriote. L'occasion pour lui d'évoquer la guerre civile algérienne durant les années 1990 et les difficultés d'intégration d'immigrés banlieusards.

C’est une histoire vraie et triste à pleurer. Dans la nuit du 29 au 30 octobre 2012, un élève officier de Saint-Cyr Coëtquidan meurt noyé à la suite d’un exercice de « transmission des traditions », une formule pudique pour désigner un « bahutage », autrement dit un bizutage, théoriquement interdit dans les écoles de l’élite militaire française. Né en Algérie, banlieusard, français et patriote, de confession musulmane, ce jeune homme a suivi des études brillantes à Sciences-Po et à l'Université nationale de Taïwan, avant de s’engager à l’école militaire de Saint-Cyr.

Jallal Hami, l’élève officier qui a perdu la vie au fond d’un étang breton, est le propre frère cadet de Rachid Hami, le réalisateur de Pour la France. Récompensée par le Grand Prix du scénario 2020, cette histoire part de ce drame familial et personnel pour retracer les efforts de cette famille d’origine algérienne, dénommée Saïdi, pour les besoins du film, afin de voir leur fils et frère honoré convenablement par l’armée et les autorités françaises au moment de son enterrement.

S’il reste fidèle au personnage de son frère « prêt à tout pour prouver qu’il valait quelque chose (…) mais pas à n’importe quoi, et pas avec n’importe qui », Rachid Hami en profite aussi pour évoquer d’autres thèmes : la recherche éperdue du fils aîné pour se faire aimer par sa famille et trouver sa place dans la société, la guerre civile algérienne dans les années 1990, sans oublier l’honneur et le rêve d’intégration d’un fils d’immigrés qui veut être reconnu à sa juste valeur. Jusqu’à être prêt à mourir pour son pays d’adoption.

Un film qui évite les clichés

Par-dessus tout, Rachid Hami réussit à échapper aux clichés. A commencer par celui de l’Arabe, musulman, banlieusard défavorisé plein de rage envers la société française qui ne facilite en rien son intégration dans la vie. L’armée n’est pas non plus décrite comme un corps raciste ou monolithique, mais plutôt comme une institution fracturée dans laquelle un général directeur de Saint-Cyr, catholique pratiquant et homme d’honneur ne ménage pas sa peine pour que l’élève officier reçoive la reconnaissance officielle qu’il mérite à titre posthume.

« Mon film part de ce réel impossible à binariser, et offre une troisième voie, celle des individus prêts à ne pas se laisser enfermer dans les réflexes identitaires de leur groupe, prêts à s’aventurer à l’autre bout du monde s’il le faut pour devenir soi, et prêts à croire qu’il existe, au-delà des assignations sociales, politiques et religieuses, quelque chose comme une chance de s’accomplir et de trouver sa place dans un monde âpre pour les rêveurs », explique le réalisateur.

Le scénario a été co-écrit par Rachid Hami, le philosophe et romancier français Ollivier Pouriol et le producteur du film, Nicolas Mauvernay. « Nous avons traité le combat pour les funérailles de Jallal comme une version contemporaine de l’histoire d’Antigone luttant pour donner une sépulture digne à son frère. Nous avons fait confiance à cette tragédie connue de tous pour y mêler le conte des origines en Algérie et l’aventure inattendue de Taiwan où les personnages cherchent leurs places dans le monde », précise Rachid Hami.

Une réalisation servie par une interprétation remarquable

Côté réalisation, ce film a beau être très « politique », dans le noble sens du terme, il n’en est pas moins une œuvre cinématographique originale qui reste toujours en équilibre entre l’histoire vraie et une description subtile de l’insertion des fils d’immigrés dans la société française. Le réalisateur décrit la complexité politique et sociologique par les images et le comportement des acteurs. Une séquence résume à elle seule son savoir-faire : lorsque le général Caillard (Laurent Laffite) propose sa main à Nadia (la mère de l’officier décédé) pour la soutenir et qu’elle l’accepte, dans un geste qui permet de rêver à une société où les gens seraient jugés sur leurs valeurs humaines et non sur leur apparence.

Les acteurs principaux sont très justes, en particulier Karim Leklou qui campe Ismaël, dont le jeu reflète parfaitement la mélancolie d’un fils aîné délaissé parce que moins brillant que son frère cadet. Shaïn Boumedine est parfait en petit frère (Aïssa) à qui tout réussit. Et Lubna Azabal est très juste en mère éduquée, à mille lieux des clichés sur les femmes musulmanes voilées. A noter la composition remarquable de Samir Guesmi en père autoritaire et effrayant, officier de la gendarmerie algérienne qui veut empêcher sa femme de fuir la guerre civile algérienne. Un film qui laisse une marque singulière dans l’esprit du spectateur.


Pour la France, de Rachid Hami
France, 1h53
Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal, Samir Guesmi, Laurent Lafitte, Vivian Sung
Sortie en salles le 8 février 2023

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