Islam et christianisme : les deux lumières d’Henry Bonnier

Par Clara Murner, le 29/06/2018

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À 86 ans, après une vie consacrée à la littérature, comme éditeur et romancier, Henry Bonnier nous livre son autobiographie spirituelle, « Nuits de lumière ». Depuis les ruptures de l’enfance jusqu’à la réalisation de son être profond, un long chemin en quête de soi, sous la guidance de Catherine Delorme, une maître soufie exceptionnelle. Une expérience qui lui révèle l’unité des trois monothéismes, de l’immanence à la transcendance.

Dans son ouvrage Nuits de lumière, Henry Bonnier, grand connaisseur du Maroc et spécialiste du soufisme, remonte à son enfance. Une période qu’il qualifie de « grandes ruptures » : la guerre, la Résistance, l’apparition d’une nouvelle France faite de ruptures politique, de civilisation, et de fracture par rapport à la religion catholique, car il n’a pas supporté qu’on parle de « peuple déicide ». « Je jetais le même opprobre sur l’Eglise autant que sur l’école », avoue-t-il.

Puis c’est le temps de la révolte. Il faut « rompre avec le faux » et être en accord avec son « désir profond ». Très lié avec Alain Peyrefitte, collaborateur de De Gaulle, il lui demande : « Comment se fait-il que vous n’écriviez pas ? » – « J’ai fait la rue d’Ulm, on m’a formaté… Est-ce qu’on peut imaginer Victor Hugo ou Balzac sortant de la rue d’Ulm ? » Il s’agit d’être libre. Oui, mais comment ?

L’expérience inaugurale

« Un jour, je serai un écrivain », se disait-il, au milieu de ce grand désordre, cet effondrement du monde. « Au profond de lui, l’homme sait qui il est. Tout est là, il faut tout nettoyer. » Polir le miroir de l’âme, diraient les soufis.

C’est à Bâle, où il effectue un stage, qu’il vit sa première expérience spirituelle. Lors d’une péritonite aigüe, en salle d’opération, son cœur s’arrête. « Je me suis vu au-dessus de mon corps, et je me suis élevé : bonheur total, plénitude, puis redescente vécue comme un désespoir absolu. » Expérience fondamentale de l’au-delà, vécu authentique, dont il témoigne aujourd’hui : « Je ne parle que d’expérience ! »

« Quand j’en parlais à des médecins ou à des prêtres, ils ne voulaient pas l’admettre. » Il a fallu attendre 1973, la parution du livre du docteur Moody, La Vie après la mort, traduit de l’américain, pour qu’il ait la confirmation de l’authenticité de ce vécu. « Cette expérience m’a taraudée, jusqu’à la rencontre avec le maître, qui est arrivée après des mois passés au Maroc auprès du roi, des princes, des ministres, comme des paysans, des artisans ou des soufis. »

Métamorphose au Maroc

C’est d’abord en éditeur qu’Henry Bonnier découvre le royaume, à l’occasion de l’édition de Le Défi, le livre de Hassan II, ancien roi du Maroc. L’occasion d’apprécier la différence : « J’ai vu l’Autre dans sa vérité, j’ai découvert la relation à l’Autre », une véritable ouverture du cœur. « Le Maroc m’a apporté tant de réponses à mes questionnements… »

« Quand le disciple est prêt, le maître arrive », dit l’adage soufi. La rencontre avec Catherine Delorme, qu’on appelle Mamita « petite mère » a lieu d’abord à Paris, à l’occasion de l’édition de son livre Le Chemin de Dieu, en 1979, et se poursuit à Rabat. Un titre prémonitoire pour Henry Bonnier, et une rencontre capitale.

Née en Sicile et française par son mariage, Catherine Delorme est l’unique femme européenne à être devenue, au Maroc, une maître soufie, reconnue par ses pairs ; elle porte un titre considérable : « Arifa billah », connaissant par Dieu (*). Elle a fait entrer plus de 1 000 Occidentaux dans l’islam soufi. Renommée au Maroc, elle reste méconnue en France car, nous dit Henry Bonnier, « on se méfie des mystiques. Tout le monde en aurait parlé si elle avait mené un combat mondain. Mais on se détourne quand on parle des mystiques, ça n’intéresse personne. Le péché est plus séduisant que la vertu. »

Au Maroc, elle était la protégée de Moulay Ahmed Alaoui, grand ministre d’État et cousin du roi Hassan II. Celui-ci décida, à l’époque, que « les tariqas seraient rendues visibles car l’islam devient trop rigoriste ».

Notre auteur, quant à lui, n’a pas eu peur de la dimension spirituelle : « Au plus profond je suis un homme mystique, mon être intérieur était appelé par ce monde-là. »

De l’enseignement reçu de son maître, nuits de lumière après nuits de lumière, il lui reste une immense gratitude, et le sentiment d’être intégré au cosmos, l’ordre établi par les lois divines, conformément au dessein divin. N’est-ce pas là le sens premier du terme « musulman » ?

Le langage du cœur

Au cours d’une conférence, un soufi l’apostrophe : « Le Chrétien que vous êtes reconnaît le caractère divin du Coran et moi le caractère divin des Évangiles. On parle tous le même langage : le langage du cœur ! »

Le Coran, la Torah et les Évangiles sont tous des livres de libération de l’homme. Oui, mais… « J’ai demandé au père Lelong : pourquoi pas de soufisme dans le christianisme ? Il m’avoua que dans un monastère trois ou quatre moines ont basculé du côté de Dieu. Les autres sont dans une routine… »

Il cite aussi volontiers le passage de l’Évangile selon saint Jean, concernant le Paraclet. Le Christ dit à ses disciples : « Je suis l’alpha et l’oméga. » Donc, ajoute Henry Bonnier, « tout ce qui va suivre, il le sait ; mais les hommes sont butés, ils voudraient être comme des dieux. Le Christ leur parle alors d’un “autre Paraclet” qui viendra après lui, qu’on a associé au Saint Esprit. Or la Pentecôte n’a rien à voir avec le Paraclet, c’est le moment de la réalisation spirituelle des apôtres ; la Pentecôte, c’est le temps du Christ, ce n’est pas après lui. »

Pour son ami Faouzi Skali, ce ne peut être que le Prophète Muhammad, ainsi annoncé par Jésus : « Celui-là me glorifiera, car il recevra de ce qui est à moi et il vous l’annoncera. »

Différents chemins gravissent la montagne, mais les mystiques, au terme de leur quête, se retrouvent au sommet, comme aimait le rappeler Mamita. C’est une autre perspective, une transcendance absolue qui caractérise l’islam.

Rivaliser d’amour

Arrivé au terme de son cheminement terrestre avec Mamita, les frontières abolies entre raison et foi, « l’une est complémentaire de l’autre », il incombe au disciple de tracer son chemin et de faire fructifier ce précieux héritage, reçu dans la pure tradition soufie.

« Je ne fais plus de différence entre christianisme et islam », nous dit Henry Bonnier. « Je suis dans la prière et dans la méditation, dans une sorte de plénitude, je continue à écrire pour témoigner, je parle et ceux qui veulent bien m’entendre. »

Pour ce fervent disciple du Christ, la croix prend une dimension cosmique. C’est le signe de réconciliation entre immanence et transcendance, à la croisée du judaïsme et de l’islam. Pour lui, un seul mot d’ordre : « Rivaliser d’amour afin que l’émulation entre les religions souhaitée par Dieu, comme il est écrit dans le Coran, métamorphose en beauté ce monde. »

Note
* Catherine Delorme est la troisième femme en islam à porter ce titre rare, qui contient le Nom divin, ce qui est tout à fait exceptionnel pour une femme et dénote un haut degré spirituel.

Henry Bonnier, Nuits de lumière. Réconcilier l’islam et le christianisme dans la pure lumière du soufisme, Éd. Erick Bonnier, coll. « Encre d’Orient », Paris, 2018, 318 p., 22 euros.

Henry Bonnier, qui a été lauréat du grand prix de la critique de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre en 1982, donnera une conférence :
• Le 13 septembre, à 16 heures, au Centre universitaire méditerranéen de Nice ;
• Le 30 septembre, à la Maison soufie : 8, rue Raspail – 93400 Saint-Ouen (M° Garibaldi).