Abd el-Hafid Benchouk : « Les soufis sont avec Dieu intérieurement et avec le monde extérieurement »

Par Clara Murner, le 24/08/2018

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Directeur de la Maison soufie et moqqadem de la voie soufie naqshbandî en France, Abd el-Hafid Benchouk publie « Le Langage du cœur » (Hachette, 2018). Conçu comme une préparation théorique, ce bel ouvrage est à consulter comme un livre de chevet, avant de rencontrer les gens de la Voie pour une mise en pratique. C’est aussi une tentative de réponse à ce paradoxe : expliquer avec des mots l’au-delà des mots, ce qui fait l’essence même du soufisme.



Saphirnews : Comment utiliser l’ouvrage que vous venez de publier « Le Langage du cœur » ?

Abd el-Hafid Benchouk : C’est un livre de chevet qu’on peut lire et relire. Il renferme des petits chapitres très courts, d’après les paroles du Coran, du Prophète et des saints soufis, avec des commentaires et des conseils de mise en pratique instantanée très simples. Chaque chapitre est indépendant, c’est très accessible, malgré la profondeur du propos.

Par exemple : « Nous regarder intérieurement sans nous juger, même lorsque nous percevons nos faiblesses égotiques, avec un léger sourire, comme un adulte qui regarde un enfant faire une petite bêtise… »

Le but est non pas de s’éloigner du monde mais de le comprendre. C’est vrai aussi pour l’ego : on doit prendre en aversion ses mauvais penchants et apprendre à le dresser comme un cheval sauvage pour en tirer le meilleur. Et il peut nous emmener très loin !

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Qu’est-ce que l’amour ?

Abd el-Hafid Benchouk : Toutes les voies spirituelles méditent sur cette question. Pour y répondre, on a l’image du soleil qui donne sa chaleur à toutes les créatures, belles ou laides, bonnes ou mauvaises. Apprendre à donner de l’amour, c’est apprendre à libérer cette force qui est à l’intérieur de chacun de nous.

On entend parfois des gens dire, après une déception : « J’ai décidé de ne plus donner le meilleur ! » Quelle erreur ! L’amour, c’est tout le contraire ! L’homme est un canal par lequel s’écoule l’amour divin d’origine céleste. Cette eau doit pouvoir circuler, mais on met des écluses partout, et elle est souillée de déchets. Le travail du soufisme, c’est de nettoyer le canal de notre cœur, ouvrir les écluses, échanger de manière plus humaine…

[Court silence] Un des signes que tout est sous le signe de l’amour : pour venir au monde, en général, l’être humain a besoin de deux êtres qui s’aiment.

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Le soufisme est-il en train de vivre une grande mutation dans ses pratiques et ses enseignements ?

Abd el-Hafid Benchouk : Oui et non. Dans la forme, il y a un bouleversement. Beaucoup de gens qui ne font pas partie de la voie fréquentent les assemblées de soufis, et les gens qui font partie d’une autre tariqa viennent également, on a de plus en plus une volonté d’unité des voies.

Cheikh Nazim a donné des indications en 2012 dans un discours célèbre sur les confréries : « Il n’y a plus que des rabbanis », a-t-il dit. Les choses doivent retourner à leur origine. Les voies étaient unes au départ. Mais il y a une soif d’unité chez les gens qui ne supportent plus cette division.

Il faut se préparer à une grande mutation du soufisme tel qu’il était vécu traditionnellement. Il a toujours joué un rôle populaire et politique, les maîtres soufis ont toujours donné des conseils aux dirigeants : tous les sultans ottomans avaient un cheikh. Le soufi est le fils de l’instant : ils sont avec Dieu intérieurement et avec le monde extérieurement pour essayer de l’améliorer. Ce sont des acteurs dans la vie de la cité.