Nawell Madani : « L’humour m’a toujours sauvée »

Par Karima Peyronie, le 29/11/2017

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De son époque de stand-up on pensait tout savoir sur elle. Mais Nawell Madani n’a pas fini de nous surprendre et elle se dévoile sur grand écran dans son premier film qu’elle réalise et interprète : « C’est tout pour moi ». Une autofiction, qui sort en salles le 29 novembre, aussi drôle qu’émouvante.


Salamnews : Vous avez choisi de vous raconter pour ce premier film en tant que réalisatrice, dans lequel vous tenez le premier rôle. Pourquoi ?

Nawell Madani : Même si le film est largement inspiré de ma propre vie, il véhicule un message universel : la reconnaissance de ses parents. On a tous envie de voir les yeux de ses parents briller, qu’ils soient fiers de nous, comme un hommage à leur sacrifice et à leur éducation. Je parle aussi de mes galères, j’en ai eu quand j’ai débarqué de Belgique pour Paris. Avec du recul je pense que j’étais inconsciente, je me suis mise dans des situations à danger. Heureusement il y avait une bonne étoile qui m’a protégée. À dire vrai, ce film, c’était ma déclaration d’amour à mes parents.

Pourtant, vous n’avez gardé que le personnage de votre père. Votre mère ne vous en a pas trop voulu ?

Nawell Madani : Il a fallu tuer la mère pour faire vivre le père, vous dirait un psy ! Je voulais le personnage du père fort, qu’on comprenne toute sa complexité dans la relation à ses filles, qu’il ne soit pas effacé par la présence d’une autre femme. À l’origine, pourtant, le rôle de la mère existait bien, c’était ma meilleure amie, l’actrice Akela Sari, qui devait l’endosser. Nous avions commencé ensemble l’écriture de ce film, elle était de mes premiers soutiens. Malheureusement, elle est tombée grièvement malade pendant le tournage. Le jour où elle est partie, je venais tout juste de terminer mon film, le 25 mars 2016. Il était inconcevable pour moi de la remplacer. Ma mère a vu le film et elle a tout à fait compris ma démarche.

Quelle a été sa réaction en voyant le premier film de sa fille ?

Nawell Madani : C’était très émouvant. Aujourd’hui encore, quand j’y repense, j’ai les larmes aux yeux. Elle avait oublié qu’elle voyait mon film, elle s’est laissée porter par l’histoire. Elle m’a dit : « Je savais que tu avais du talent ; mais, là, je n’arrive même pas à croire que c’est ma fille qui a fait ça. » Elle qui s’est empêchée de partir en vacances pendant dix-sept ans, qui a porté le même imperméable une dizaine d’années, qui s’est privée pour nous, elle qui s’était endettée pour me payer ma chirurgie réparatrice du cuir chevelu (à la suite d’une grave brûlure dans l’enfance)… elle était si fière de moi ce jour-là. Elle s’est souvenue de son parcours : l’exil algérien, les galères… tout ça, c’était loin l’espace d’un peu plus d’une heure et demie sur grand écran. Et même si demain j’arrêtais ma carrière, elle me répéterait à l’infini : « Ce film, tu l’as fait, c’est le plus important ! »

On a un peu l’impression que vous réglez vos comptes avec le milieu du stand-up. On découvre un autre monde, loin des blagues bon enfant…

Nawell Madani : Et encore j’ai largement édulcoré la réalité ! Je ne règle de compte avec personne, si ce n’est avec moi-même. Avant, j’avais envie de prouver des choses aux gens du milieu, de montrer que j’existais en fonçant comme un pitbull. Mais, en fait, je m’étais trompée de combat, mon seul but est réellement mon public !

Cela dit, c’est un milieu très dur, surtout quand on est une femme. On m’a souvent demandé de me censurer par rapport à ma vulgarité. Quand cela sort de la bouche d’une femme, c’est « sale » ; mais celle d’un homme, c’est un « ouf ». Qu’est-ce que j’ai pu entendre le fameux « c’est pas beau dans la bouche d’une femme » ! Et pourquoi une vulgarité serait-elle plus belle dans celle d’un homme ? Et comme je suis du genre têtue, quand on m’interdit un truc, vous pouvez être sûr que j’en donne dix fois plus !

Alors, bien sûr, je n’attisais pas que de la bienveillance : une fille qui réussissait dans ce milieu, de surcroit arabe et musulmane, cela peut déranger. J’ai eu des accros avec quelques autres artistes et le vol de blagues est légion dans le milieu… Voilà quelques envers du décor…

Des embûches qui ne vous ont jamais fait douter, vous avez toujours été certaine de votre succès ?

Nawell Madani : Je ne me suis pas laissé le choix en fait, je devais réaliser mes rêves. Je n’ai pas honte de dire que je veux réussir et cela sera au prix de mon travail seulement. Je ne renie pas d’où je viens, je suis une ouvrière, je travaille comme une acharnée. Ce film, par exemple, c’est trois ans de ma vie et j’y ai mis jusqu’à mes propres deniers.

À mes débuts, comme je le montre à l’écran, j’ai dormi plusieurs jours dans ma voiture sans un sou en poche, je me lavais dans les douches des piscines… J’en ai mangé de la rage enragée, et ce n’était surtout pas pour baisser les bras ! L’humour m’a toujours sauvée de tout, dès le plus jeune âge. J’ai été brûlée au troisième degré au cuir chevelu quand j’étais petite, on me surnommait « tête de fesses » ou « chauve qui peut »… Alors je clashais pour répondre.

Je pense sincèrement que je n’aurai jamais été la femme d’aujourd’hui sans avoir vécu ce drame. C’est comme Jamel Debouzze ou tous ces autres artistes issus de milieux populaires. Il faut avoir connu les coups durs pour développer un certain sens de l’autodérision. Je remercie Dieu de m’avoir éprouvée ainsi.

La relation au spirituel est-elle importante sur votre chemin ?

Nawell Madani : Essentielle ! La peur que j’ai de décevoir Dieu m’a protégée de ne pas tomber dans le côté sombre comme la drogue ou le milieu de la nuit. En fait, je me dis que je ne peux pas Lui demander de réussir dans la vie, si je ne fais pas ma part du marché en étant sur le bon chemin. Les coups durs de la vie sont autant de rappels au quotidien que nous sommes juste de passage. Ces rappels me font garder les pieds sur terre, même sur une scène, devant un public de 5 000 personnes qui crie ton nom.

Récemment, j’ai perdu une amie d’enfance, Florence, qui est incarnée dans mon film. Elle avait 34 ans et respirait la joie de vivre, c’était un choc. Le genre d’annonce qui me remet face à la réalité. Je lui dédie aussi ce film du fond du cœur…

Votre titre « C’est tout pour moi » est à double sens…

Nawell Madani : Exactement. En effet, la scène, c’est tout pour moi. Et mes parents, c’est tout pour moi. Et ce film, c’est aussi tout pour moi, car j’ai laissé ce que je devais laisser à mes parents. Quand on achève un spectacle de stand-up par « C’est tout pour moi ! », c’est une façon de signer, dire qu’on a tout dit. Et ce film, c’est une manière de dire : « Je vous ai tout donné. Faites-en ce que vous voulez désormais. »

BIO EXPRESS

D’origine algérienne, Nawell Madani a grandi en Belgique auprès de sa sœur et de sa mère, infirmière, et son père, chauffeur de taxi. À 21 ans, elle commence une carrière de danseuse chorégraphe à Paris avant de se tourner vers le théâtre et de prendre des cours.
Ayant la vanne facile, elle est happée par le stand-up et se fait vite repérer par Papy, l’ancien metteur en scène du Jamel Comedy Club. Elle intègre la troupe : première femme à y participer, elle est aussi adulée que critiquée. Elle restera dans la troupe une saison avant de cumuler les projets à la télévision et sur le Web.

En 2014, elle revient avec son one-woman show C’est moi la plus belge, qui est un véritable succès avec plus de 100 000 spectateurs. Elle reçoit un Globe de cristal pour ce spectacle.

En 2017, un premier rôle au cinéma dans Alibi.com, puis la réalisation de son film C’est tout pour moi qui sort en salles le 29 novembre. Les ultimes représentations de son spectacle C’est moi la plus belge ont lieu les 13 et 14 décembre, à l’Olympia (Paris).
Piquée par le virus de la réalisation, elle écrit déjà un prochain scénario sur la vie d’un rappeur et son rapport touchant à sa mère. La famille, un thème résolument de prédilection pour Nawell…