Néonazis, Daesh et cyberterrorisme : vers une « démocratisation » de la haine ?

Par Marc Knobel, le 11/04/2018

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Pour l’historien Marc Knobel, directeur des études au CRIF, Internet n’a certes pas inventé la propagande, mais il a permis de rendre accessibles massivement les discours de haine en ligne, qu’ils proviennent des extrémistes néonazis ou de Daesh. Une cyberhaine qui a longtemps proliféré, sans rencontrer de contre-feux.

Dans les années 1990, les militants extrémistes ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Ils devaient se déplacer, aller à la rencontre de sympathisants en quelques lieux, souvent surveillés par la police. Ils adressaient du courrier, publiaient de petites revues et des tracts grossiers. Le tirage était réduit, les publications illicites étaient vendues chez quelques dépositaires ou dans des librairies peu achalandées, et peu nombreuses au demeurant. Et quelquefois, pour les distribuer ou les vendre, des militants parcouraient le monde entier.

Au moins 6 000 jeux vidéo à contenu nazi ou raciste

Puis vint l’ère des disquettes et des messageries électroniques, des jeux néonazis. En Allemagne, la directrice du Bureau de contrôle des écrits interdits à la jeunesse, recensera plus de 120 versions différentes de ces programmes, réparties sur l’Autriche, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et les États-Unis, comme « Test aryen » qui proposait d’éliminer le joueur si son nom se terminait par « tein » ou « berg » ou un nom à consonance juive et si ses caractéristiques physiques n’étaient pas jugées conformes.

Prolongeant l’enquête qui avait été faite en Allemagne, le quotidien italien La Repubblica précisera que 10 % des jeunes Allemands qui possédaient un ordinateur, avaient en leur possession au moins un jeu vidéo glorifiant le nazisme. La Repubblica révélera par ailleurs que parmi les 20 000 jeux vidéo disponibles en juin 1989 sur le marché allemand, 6 000 au moins avaient un contenu nazi ou raciste.

Plusieurs années ont passé et quoique ce type de jeu circule toujours, les extrémistes font aujourd’hui l’économie de disquettes, parce qu’elles n’existent plus. Ils préfèrent utiliser aujourd’hui toutes les possibilités qu’offre le Net. Ils ont d’ailleurs vite compris le parti qu’ils pouvaient tirer d’une utilisation rationnelle et systématique d’Internet.

Dans une publication intitulée « La conspiration théorique », l’activiste autrichien Walter Ochtenberger se félicitait que « la liberté de pensée soit totale sur Internet [...]. Dans le fond, Internet est le média démocratique le moins mauvais ». Olivier Bode – autre activiste néonazi et grand co-organisateur de rassemblements de nostalgiques pour célébrer l’anniversaire de la naissance d’Adolf Hitler – écrivait qu’on ne peut faire que « des louanges sur les applications d’Internet ».

40 000 tweets de Daesh en français par jour

Aujourd’hui, ce sont les islamistes qui utilisent le Net. La Toile regorge de sites qui diffusent à la chaîne des messages de haine en anglais et en arabe. Pas moins de 2 600 sites Internet francophones liés à Daesh séviraient actuellement, selon des chiffres obtenus par Le Monde (1er juin 2015), de sources proches du ministère de la Défense. De plus, selon les chiffres obtenus par Le Monde, les cellules de propagande de Daesh produisent de l’ordre de 40 000 tweets en français par jour. Le groupe aurait déjà ainsi accumulé 2,8 millions de followers francophones, ce qui ne veut pas dire autant de sympathisants.

Le Net n’a certes pas inventé la propagande. Le Net n’est certes pour rien dans la création et la croissance de ces mouvements ni dans le développement de la haine. D’autres paramètres permettent d’expliquer ce que sont ces mouvements, les stratégies élaborées, les liens qu’ils entretiennent entre eux et l’impact qu’ils peuvent avoir. Le Net se présente simplement à vous, à moi. Et les extrémistes savent l’utiliser et tentent ainsi de répandre leur propagande.

Évidemment, on ne tombe pas automatiquement sur les pages de Stormfront ou du Ku Klux Klan, ou des islamistes. Il faut vouloir les trouver, à moins que vous ne tombiez sur des sites trop souvent et facilement référencés dans les moteurs de recherche. C’est le problème, le référencement sauvage. L’autre problème découlant de source est l’absence de modération ou de régulation et l’irresponsabilité des grandes plateformes, quelquefois plus soucieuses de faire de l’argent que de réguler.

Il n’en reste pas moins qu’avec le Net, la haine s’est « démocratisée », si je puis parler ainsi. Dans Le Point du 2 février 2017, le journaliste algérien Kamel Daoud résume la situation : « L’effet poubelle, l’anonymat, la gratuité de l’espace, l’achronie et l’utopie y permettent de tout dire et de tout attaquer. » Cette propagande haineuse est donc accessible au plus grand nombre d’un seul et unique clic.

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En partenariat avec le Collège des Bernardins.

Marc Knobel, historien et essayiste, est directeur des études au Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Il a été attaché de recherches au Centre Simon-Wiesenthal, à Paris, vice-président de la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) et membre de l’Observatoire sur l’antisémitisme. Par ailleurs, en tant que rapporteur à la Commission nationale consultative des droits de l’homme, il remettait tous les ans des études sur le racisme sur l’Internet, publiées dans le rapport annuel de la CNCDH (2000-2012). Auteur de L’Indifférence à la haine (Berg international, 2015), il est intervenu sur le thème « Les discours de haine » au séminaire Liberté de religion et de conviction en Méditerranée : les nouveaux défis du Collège des Bernardins.

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