Vers une nouvelle sociabilité spirituelle en islam (2/5)

Par Eva Janadin et Anne-Sophie Monsinay, le 02/06/2018

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Voici la deuxième partie du compte-rendu d’une journée d’étude et de dialogue organisée par l'’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite (ARIM) en avril sur le thème : « Repenser sa vie spirituelle avec l’islam. Quelles pratiques islamiques pour notre temps ? ».

De nombreux participants ont soulevé le fait qu’ils subissent régulièrement le regard culpabilisateur et moralisateur de leurs coreligionnaires sur eux dès lors qu’ils ont une approche singulière de leurs pratiques. Ainsi, certains se sentent mieux lorsqu’ils prient seuls chez eux plutôt qu’à la mosquée car ils ne subissent pas le regard d’autrui. Leur intimité est préservée quitte à ressentir une certaine solitude.

Lire avant la première partie : « Singulier, mais pas seul ! » (1/5)

Les pressions familiales sont ressenties comme un carcan. C’est en général l’éloignement physique de la famille ou du pays d’origine qui leur ont permis une libéralisation. Dès lors, certains participants ont fait leur introspection et ont décidé de pratiquer non par imitation et respect de la tradition mais parce que leurs pratiques donnent un sens à leur vie. Toutefois le chemin est difficile, car l’impression de trahir son héritage familial et son identité peut parfois tirailler l’individu qui se retrouve face à un conflit de loyauté.

Les participants ont assez massivement rejeté une éducation traditionnelle qui ne se limite qu’à l’imposition de normes et de rites qui ne sont que trop rarement expliqués aux plus petits ; une éducation qui ne suscite aucun questionnement et qui perçoit les rites comme des devoirs religieux et non comme des outils d’épanouissement.

Halte à la pression communautaire

Les effets du jugement d’autrui et d’une pression familiale sur les pratiques sont parfois très surprenants. La grande majorité des participants ne mange par exemple pas de porc par héritage culturel et familial, par conditionnement social ou encore parce que le Coran l’interdit formellement. Certains musulmans ayant abandonné toute pratique conservent pourtant celle-ci car « elle leur permet de rester musulman », comme si le trait le plus caractéristique de « l’islamité » se résumait à cette prescription. Cet état de fait montre à quel point la pression communautaire est forte et détermine parfois des choix de vie spirituelle comme si le croyant était dépossédé de sa capacité à définir son cheminement vers Dieu.

C’est à la mosquée et lors des pratiques collectives comme les fêtes religieuses que le jugement se fait le plus sentir. Certains participants ont eu à subir des remarques désobligeantes sur leur manière de se vêtir ou d’accomplir leur prière. Les femmes se sentent très souvent exclues et ont l’impression que les mosquées ne sont des lieux réservés qu’aux hommes. Les convertis non arabophones ont également l’impression d’être rejetés face à certains musulmans qui revendiquent une pratique identitaire.

Lire aussi : Sur le chemin d'un converti - La solitude du Ramadan

Réinventer une nouvelle forme de sociabilité spirituelle

Cela génère une grande frustration puisque nous avons senti chez les participants un réel attachement aux pratiques collectives. Même si, pour certains, la prière reste une pratique individuelle et intime, la prière collective est souvent vue comme un exercice spirituel en soi : il s’agit de s’adapter aux autres, à l’imam et de rencontrer l’altérité. Elle permet de ressentir le lien avec autrui et elle est un véritable moment de partage. La spiritualité autonome n’est donc pas vue comme un exercice solitaire.

Toutefois, il est nécessaire de redéfinir ce que l’on appelle la communauté musulmane (oumma) et de réinventer une nouvelle forme de sociabilité spirituelle. Cette dernière ne doit pas uniformiser les musulmans entre eux mais doit permettre à chacun de développer son autonomie et sa singularité au-delà de tout jugement. Surtout, elle ne doit pas empêcher de tisser des liens vers l’extérieur du groupe, la société française ou encore l’ensemble des non-musulmans.

Il s’agit donc là de repenser nos mosquées. Beaucoup se sentent comme des « orphelins de mosquée » et ont manifesté une réelle volonté de réinventer et créer de nouveaux lieux de culte musulmans non traditionnalistes qui seraient mixtes, où les femmes auraient toute leur place y compris comme imam, où tout individu serait le bienvenu quelle que soit son orientation sexuelle, sa religion ou sa nationalité. Ces lieux devraient pouvoir encourager une quête de savoir universel, l’usage du discernement et de l’esprit critique. Ils devraient être des espaces de dialogue libre et de partage.

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Eva Janadin a cofondé en 2017 avec Faker Korchane l’Association pour la renaissance de l’islam mutazilite (ARIM,) qui vise à ouvrir un espace de discussion libre, à interpréter le corpus islamique à la lumière de l’intelligence de l’esprit et du cœur et à reconstruire une vie spirituelle autonome grâce à l’islam. Anne-Sophie Monsinay est engagée depuis plusieurs années pour rendre visible un islam libre et spirituel. Disciple d’un maître issu d’une tradition mystique non dualiste, elle intervient dans des conférences sur ces thématiques et administre avec Eva Janadin les groupes Facebook « Pour un islam spirituel et progressiste » et « Soufisme progressiste ».