La diaspora, une force motrice pour faire rayonner la Tunisie en France, l'ATUGE en pilier

Par Gianguglielmo Lozato, le 18/11/2024

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À l'initiative de l'Association des Tunisiens des Grandes Ecoles (ATUGE), le Tunisia Global Forum s’est tenu samedi 9 novembre en plein centre de la capitale française, à l’antenne parisienne de Sciences Po, troublé par une série d’agitations successives ces derniers mois en raison notamment de la guerre à Gaza. De la matinée jusqu'aux alentours de 19h, c'est dans la sérénité et avec une gentille effervescence que s’est déroulée la rencontre au sein de ce temple du savoir et de l'excellence française en matière d'enseignement supérieur. L'accueil chaleureux au service du grand professionnalisme des organisateurs a contribué à faire se dégager une impression d'entente générale qui n'a rien eu à voir avec une simple kermesse.

L'ATUGE a été créée en 1990. Référencée en tant qu’organisation à but non lucratif, l’association est une sorte de « Who's who » des diplômés de très haut niveau, que l'on peut présenter comme un dispositif relationnel sans s’apparenter à un simple catalogue de personnalités. La force de l'ATUGE, qui entend fédérer les membres éparpillés de la diaspora tunisienne, repose sur deux axes : construire un réseau entre différents acteurs liés à l’enseignement supérieur et à la recherche, au monde de la finance et des banques, travaillant dans le domaine culturel ou créateurs de startups ; placer en synergie les compétences de chaque membre pour organiser des missions d’information faisant office aussi bien d’audit interne pour les Tunisiens que d’audit externe pour les cadres extérieurs à la communauté.

Le Tunisia Global Forum est un événement qui se présente aux « passionnés d’innovation, entrepreneurs ou simplement curieux » comme « l’occasion parfaite pour explorer de nouvelles idées, tisser des liens professionnels, et contribuer à un dialogue franco-tunisien dynamique ». Pour mener à bien cette initiative, l’association a pu compter en amont sur l’état d’esprit qui l’anime grâce à une forme de présidence et de vice-présidence tournante soumise à des élections chaque année. Ces dernières années ont vu se succéder à la plus haute fonction Amine Alloulou pour la Tunisie, Marwa Mezghani, Rihab Hafidhi, Meriem Bourbia pour la France. Secondés par Alaaedine Zekri, Walid Ben Hadj Amor, Fares Pantaleo… des femmes et hommes, avec des profils aux compétences variées pouvant servir la Tunisie à l’étranger.

Cette année, l’équilibre de l’édifice s’est reposé sur l’habituelle dynamisme de Rihab Hafidhi, déjà présente au pavillon Habib Bourguiba de Paris il y a quelques mois pour une mission caritative en faveur des jeunes tunisiens venus étudier en France. Mais pas seulement sur elle. Ismaïl Hamrouni, ingénieur d'essais, a veillé avec grand professionnalisme à l’agencement des stands, en totale harmonie avec la configuration des lieux ainsi qu’à l’enchaînement des rencontres, débats et présentations au grand amphithéâtre, tandis que la vice-présidente de l'ATUGE Basma Fahroud, veillait brillamment au bon déroulement de l’événement.

Des projets à foison

Au moyen d'une pédagogie très étudiée alliant spécialisation et vulgarisation scientifique, les divers intervenants ont exposé leurs opinions et travaux en matière d'innovations, d'économie, de finances. Sous le contrôle de la présidente Meriem Bouria qui a su répondre à chacune des nombreuses questions lui étant adressées dans le cadre du défi du jour en ce forum : le concours Adventure Incubating Networking Innovation destiné à rendre hommage à la meilleure initiative en matière de créativité et de progrès compatible avec le développement durable et les valeurs philanthropiques.

La finance a été à l’honneur, entre autres avec la banque tunisienne TF Bank et son programme « Dar fi Tounis » destiné à fournir des produits digitalisés aux expatriés désireux de gérer à distance leurs acquisitions immobilières. Au terme du forum, les lauréats d’Adventure Incubating Networking Innovation ont été sélectionnés parmi des innovateurs proposant des services pouvant aussi bien être axés sur l’écoresponsabilité qu’à des concepts de services à la personne. Ces sociétés peuvent tout autant être basées en Tunisie qu’en France ou au Canada. Ainsi, les gagnants désignés ont été Clickids, une plateforme visant à simplifier la recherche en matière de garde d’enfants en milieu urbain et péri-urbain, et Watto, un spécialiste de cartes cadeaux et de design en collaboration avec l’artisanat local tunisien.

L’ambiance conviviale a permis de redécouvrir des mets tunisiens offerts gracieusement à tout visiteur. Une décontraction qui n’enlevait pas le côté studieux de l’événement balisé par des stands occupés par des groupes importants de l’assurance-vie (Predictis) ou de la finance (ODDO BHF). Plus loin, c’était la Fondation suisse pour la Coopération Technique, Swiss Contact, qui était à l’affût d’opportunités par l’entremise de leur responsable du programme Partenariats et engagement du secteur privé, Marc-Olivier Roux.

« Nous sommes là pour nous rencontrer, nous amuser un peu mais surtout apprendre objectivement », a solennellement dit un étudiant de Sciences Po natif de Sousse. Non loin de là, c’est Tarak Hosni, délégué général de FIPA Tunisia, l'Agence de promotion de l'investissement extérieur, qui s’est exprimé en ces termes : « Nous sommes ici pour parler avant tout progrès et économie afin de représenter au mieux notre pays. Et surtout pas pour parler de la politique, sujet plus triste que l’économie en ce moment. » Les qualifications et les solutions socio-économiques constituaient donc bien l’ordre du jour. Ce qu’ont perçu deux visiteurs du forum, l’un Français, l’autre Marocain : « C’est très organisé, un peu comme ce qu’on a vu avec des salons consacrés aux industriels et banquiers turcs. »

Une diaspora aux atouts indéniables

Il est évident que l'ATUGE a une fois de plus confirmé son potentiel à suggérer ou à bâtir des réseaux entre cadres tunisiens. Au-delà des spécificités de chacun et de chacune mises en évidence pour l'occasion, c'est l'appartenance à un groupe qui est ressortie de cette journée placée sous le signe du progrès. Cet ensemble, c'est la communauté des expatriés actifs compétents et hautement diplômés. Un entre-soi loin d'être sectaire et contre-productif car se faire connaître à l’étranger est l'objectif priorisé, avec des atouts pour faire bénéficier des partenaires (États, entreprises, associations, individus...) de l'étendue de connaissances dans des réseaux de pointe.

Le secteur de la santé a été mis à l’honneur plus qu’à l’accoutumée. Mentionnons l’exposé consacré à Caredify pour son travail de prévention et de lutte contre l’insuffisance cardiaque, première cause d’hospitalisation non programmée chez les Tunisiens. Une bienveillance qui s’est aussi dégagée à travers deux projets qui méritent une mention spéciale. Le premier a trait à « Aalia.Tech » et son produit révolutionnaire : un appareil oscillant entre traduction et interprétariat afin de faciliter les requêtes des patients étrangers auprès des médecins consultés. Sa fondatrice, Samah Ghalloussi, datascientist de formation, est en train de perfectionner le concept. Son slogan est de « lever la barrière de la langue dans l’accès aux soins », un principe dont Samah Ghalloussi s’est saisie après avoir observé ses grands-parents tunisiens installés en France toujours obligés d’être assistés par quelqu’un lors de leurs consultations médicales.

La seconde mention est attribuée à SOS Village d’enfants Tunisie, qui prend en charge des enfants sans soutien familial et en danger. Représenté au forum par la coordinatrice du bureau national Dhouha Laroussi, celle-ci a mis l’accent sur l’importance de préparer les générations futures à rester solidaires, tout en insistant sur la priorité d’une formation partagée entre Tunisiens résidents à l’étranger et ceux restés au pays. Les visiteurs auront compris que le progrès n’est pas que technologique. Il est aussi dans la faculté de chacun à réfléchir ou agir avec humanité.

Ce que la Tunisie propose, contrairement à l’Algérie et au Maroc qui axent leur politique de communication en France principalement à travers des salons consacrés à l’immobilier, c’est un hymne au progrès à travers les études et la culture. Alors Tunis, prochain hub de la finance et de la culture universitaire ? « On n’a pas de pétrole, mais on a des idées », avait clamé en 1976, à propos de la France, le ministre des Finances d’alors, feu Valéry Giscard d’Estaing. Un axiome que la Tunisie pourrait reprendre à son compte. L’ATUGE a fait de la diversification une marque de fabrique. Puissent la France et les autres pays membres de l'espace Schengen ne pas laisser filer entre leurs doigts des occasion de collaborations gratifiantes avec une Tunisie qui sait se renouveler.

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Gianguglielmo Lozato est professeur d'italien et auteur de recherches universitaires sur le football italien en tant que phénomène de société. Il est aussi l'auteur de Italie et Tunisie entre miroir réfléchissant et miroir déformant (Editions Saint Honoré, 2021) et de Sociologie expérimentale : enquête sur l'espace tunisois contemporain post révolution. Comprendre Tunis : population d’une ville État-Nation ? (Edilivre-Aparis, 2023).