L’islam et les affaires bioéthiques : illustration avec les dons d’organes et du sang

Par Mohammed El Mahdi Krabch, le 29/09/2025

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L’islam a la capacité de répondre aux questions bioéthiques qui se posent avec insistance à notre époque. C’est dans ce contexte que se sont développés les comités d’éthique au sein des établissements hospitaliers, des institutions juridiques et des instances religieuses, dernièrement au sein de la Grande Mosquée de Paris. Cette évolution est une évidence dictée par les progrès de la société et de la science — car une science sans éthique est un champ de ruines.

L’éthique doit régner dans tous les domaines : dans toutes les relations humaines, dans toutes les circonstances, en temps de paix comme en temps de conflit. Je fais ici appel à une parole prophétique qui résume cette exigence morale : « Point de préjudice, point de mal. »

En tant qu’aumônier et imam, je reçois régulièrement des questions portant sur des sujets variés comme l’intelligence artificielle, le don d’organes, l’interruption médicale de grossesse, la recherche scientifique, ou encore l’augmentation de l’être humain. Le jurisconsulte musulman est ainsi appelé à accompagner ces évolutions et à encadrer ces progrès techniques.

Le cinéma est souvent une source d’inspiration pour imaginer le futur : la créativité de l’imagination humaine est capable de nous suggérer ce que nous — et les générations futures — pourrions vivre. La religion, quant à elle, reste pleinement d’actualité : elle est régulièrement convoquée pour se prononcer sur ces sujets éthiques et bioéthiques.

Cinq principes islamiques pour guider des décisions

En islam, des principes éthiques et jurisprudentiels fondamentaux, constants et intangibles, encadrent ces questions. Ils ne freinent pas le progrès technique, mais veillent à ce qu’il serve le salut et la prospérité de l’humanité. Ces cinq principes sont les suivants :

- L’intention d’apporter un bien à l’être humain, en conformité avec le décret de Dieu ;

- La suppression de la peine et de la difficulté dans la vie des individus ;

- L’interdiction du préjudice et du dommage, selon le principe prophétique : « Point de préjudice, point de mal » ;

- La prise en compte des coutumes et des usages dans la conscience et la pratique religieuse ;

- La préservation de l’intérêt de l’individu et de la société.

Ces principes ont toujours inspiré les savants et les praticiens musulmans. Par exemple, à l’époque du Prophète, Arjafa ben As‘ad, dont le nez avait été sectionné, avait reçu une prothèse en fer. Mais celle-ci lui causant des infections, le Prophète (paix et bénédiction sur lui) lui a conseillé de la remplacer par une prothèse en or (Al-isaba fi tamiyiz al Sahaba, Le dictionnaire biographique d’Ibn Hajar).

Le don d’organes, une question majeure

Suite à de nombreuses questions sur la position de l’éthique musulmane quant aux dons d’organes et de sang, j’expose ici en tant que consultant aux affaires théologiques et bioéthiques du culte musulman dans la région d’Occitanie et aussi en tant que membre du comité éthique du centre hospitalier universitaire de Montpellier l’avis le plus juste et le plus adapté à nos besoins actuels tout en se basant sur des débats et discussions théologiques et bioéthiques dans des colloques et des séminaires tant au niveau national qu’international.

En 2024, la greffe d’organes a permis de sauver 6 034 personnes en France, « un niveau remarquable qui n’avait plus été atteint depuis 2017 » selon l’Agence de la biomédecine. Chaque jour, deux à trois personnes décèdent alors qu’ils étaient en attente d’une greffe, faute d’organe disponible pour les sauver.

La quasi-totalité des savants musulmans se sont prononcés en faveur du don d’organes lors du 4e Congrès des jurisconsultes musulmans tenu à Djeddah en Arabie Saoudite en février 1988, sous l'égide de l’Organisation de la Conférence islamique (OCI). Cet avis reste encore malheureusement assez méconnu.

La décision d’offrir, sans contrepartie, une partie de son corps pour la santé et le bien être d’une autre personne est un acte religieux et humaniste très louable. Cet acte est considéré comme une aumône et incarne une manifestation d’un grand altruisme.

Le don d’organes et de tissus pour greffer des malades (pour le remplacement du ou des organes défaillants du malade par un organe sain du donneur) pourrait permettre de sauver la vie humaine. Le Coran dit : « Quiconque sauve une vie a sauvé toute l’humanité. » (Sourate 5, verset 32) Selon un principe général de la jurisprudence musulmane, la préservation de la vie humaine est l’objectif suprême de la religion.

Il y a deux cas de greffe à savoir : l'autogreffe dans laquelle le greffon provient du sujet lui-même ; la greffe qui consiste à mettre en place dans le corps humain d’un organe étranger qui lui est indispensable et vital.

La mort de l’être humain est déclarée lorsque le cerveau s’arrête de fonctionner (mort encéphalique) ou lorsque l’arrêt cardiaque est constaté avec la certitude d’une mort incontestable.

Quelles sont les réponses éthiques émises en faveur du don d’organes ?

1/ Il est permis de prélever un organe d’un corps humain et de le greffer dans une autre région du même corps (peau, os…), à condition d’avoir la certitude qu’une telle opération comporte plus d’avantages que d’inconvénients.

2/ Il est permis de prélever un organe du corps d’une personne et de le greffer dans le corps d’une autre personne, si la partie prélevée se renouvelle (régénère naturellement) comme la moelle osseuse, le foie ou la peau.

3/ Il est permis d’utiliser une partie d’un organe amputé du corps d’un patient pour cause médicale pour un autre patient comme la greffe de la cornée.

4/ Il est interdit de transférer un organe vital comme le cœur d’une personne vivante au profit d’une autre personne.

5/ Il est interdit de prélever un organe d’une personne vivante, si ce prélèvement peut perturber une fonction essentielle pour sa survie, même si celle-ci n’en dépend pas, comme le prélèvement des rétines.

6/ Il est permis de prélever un organe d’un mort pour le greffer dans le corps d’une personne vivante si sa survie dépend de cette opération, ou quand celle-ci est nécessaire pour assurer une fonction essentielle de son organisme.

Pour cette opération, il faut avoir le consentement du défunt, de ses héritiers légitimes après sa mort d’où l’importance de rédiger des directives anticipées et d’obtenir un consentement éclairé.

7/ Les permissions données aux prélèvements et à la greffe d’organes dans les cas susmentionnés sont valables dans le seul cas où elles sont pratiquées dans un but non lucratif. Les organes doivent être mis gratuitement à la disposition des établissements médicaux car il est strictement interdit de faire le commerce d’organes d’origine humaine.

Le don de sang, un acte de bienfaisance qui fait l’unanimité

Le don du sang est permis et même encouragé, au nom de la solidarité humaine et dans un but de prévoyance pour une éventuelle nécessité future. Cette opinion repose notamment sur une règle de jurisprudence islamique qui préconise que, lorsqu’une chose est autorisée, tous les éléments qui y sont liées de façon inséparable ou qui sont indispensables à sa réalisation « lawâzim » le deviennent aussi.

Par ailleurs, il n’est pas rare, de nos jours, de se retrouver dans des situations où des besoins de sang importants et urgents se présentent (accidents, guerres, catastrophes naturelles…).

En définitive, les dons d’organes et de sang sont des actes de compassion et d’humanité qui transcende la divergence de croyances et de convictions. Ces actes sauvent des vies chaque jour. Le Coran dit : « Quiconque sauve la vie d’un seul être humain est considéré comme ayant sauvé la vie de l’Humanité tout entière. » (Sourate 5, verset 32).

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Mohammed El Mahdi Krabch est membre correspondant de l’Académie de Nîmes (société savante), imam, théologien et aumônier référent des hôpitaux de l'Hérault. Il est consultant aux affaires théologiques et bioéthiques du culte musulman des hôpitaux de la région Occitanie.

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