Un musulman agressé pour avoir fêté Noël : « Laissons les gens libres de pratiquer ou de ne pas pratiquer »

Par Radjaa Abdelsadok et Lina Farelli, le 28/12/2020

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Le soir du réveillon de Noël n’a visiblement pas été source de joie pour tout le monde à Belfort. C’est le cas d'un jeune homme, de confession musulmane, dont les photos de son repas de Noël postés sur ses réseaux sociaux et qui ont suscité de vives réactions. La célébration de cette fête n’aurait, en effet, pas été appréciée parmi plusieurs de ces connaissances de culture musulmane pour qui ce fils de policiers célèbre une fête qui n'est pas la leur.*

Après avoir reçu le soir même de nombreux messages hostiles et menaçants, le jeune homme de 20 ans donne rendez-vous le lendemain, le 26 décembre, avec deux camarades à l'auteur des menaces afin d'obtenir des explications ; mais là, ce n’est pas une mais plusieurs personnes qui lui réservent un accueil assez particulier, loin d'être tendre. Il est roué de coups.

Pour la mère de la victime, officier de police judiciaire, c'est « un guet-apens » dans lequel son fils serait tombé. « Cette affaire ne doit pas rester sans suite. Ce sont des comportements sectaires et racistes. C’est inacceptable au XXIe siècle. Chacun est libre de fêter ce qu’il veut et comme il l’entend », a-t-elle fait savoir.

Des réactions d'indignation nombreuses

Une plainte a été déposée et une enquête a été ouverte. La victime, qui a déclaré selon une source policière à l'AFP qu'il n’était « pas question » pour lui de se battre en venant accompagné avec ses amis, se serait vu prescrire une interruption temporaire de travail (ITT) de quatre jours.* L’auteur des menaces, qui s'est présenté de lui-même au commissariat, a été placé en garde à vue avant d'être remis en liberté dimanche 27 décembre.

La famille a très vite obtenu des soutiens de syndicats policiers, la mère étant déléguée syndicale à l'UNSA Police. Michel Corriaux, secrétaire régional Grand-Est Alliance Police nationale, a témoigné sur Twitter de son soutien sans faille à la famille. Pour lui, « la réponse pénale doit être ferme et sans concession ». Cette histoire a aussi suscité de nombreuses réactions dans la classe politique, en particulier de la part du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. « À Belfort, un jeune homme agressé parce qu’il aurait fêté Noël et ne serait pas un "bon arabe". Circonstance "aggravante" : être fils de policiers. La justice a ouvert une enquête. Pas de place pour le séparatisme dans notre pays, pas de place pour le racisme d’où qu’il vienne. », s'est-il empressé d'écrire sur Twitter.

« Les débats sur Noël semblent avoir fait une victime. (...) Laissons les gens libres de pratiquer ou de ne pas pratiquer. Nous devons savoir que nos discours à chacun peuvent devenir des balles que d’aucuns peuvent utiliser contre d’autres », a réagi via Facebook le théologien musulman Mohamed Bajrafil dimanche 27 décembre. « Ce fait divers, s'il est vrai, (…) et la décapitation du professeur Paty doivent mettre tout le monde devant ses responsabilités. Internet n’est pas un bistrot fermé. Tout le monde y a accès et de partout. Parler, c’est agir, écrivait Sartre. Offrons des fleurs au monde. Sinon, taisons-nous ! Joyeux Noël à qui le fêtent et paix à tous. »

Le parquet de Belfort offre une autre version de l'affaire

Mise à jour : A ce stade, « il ne peut être affirmé que la qualité de fils de policier serait à l'origine des violences ou en aurait été un élément déterminant », a fait savoir, lundi 28 décembre, le parquet de Belfort, par la voix du procureur de la République Eric Plantier, dans un communiqué.

Il ne confirme pas non plus le motif religieux de l’agression. « Il n'est nullement établi qu'aurait été expressément reproché à une personne de confession musulmane de célébrer la fête chrétienne de Noël, les frères (deux personnes qui ont accompagné l’auteur des messages insultants, ndlr) expliquant en outre célébrer eux-mêmes Noël comme une "fête de famille" sans connotation religieuse », indique-t-on. « Le déchaînement verbal puis le rendez-vous fixé semblent davantage relever d'une question d'égo, le plaignant estimant que son contact, moins âgé que lui, lui avait manqué de respect, et non pas d'une volonté d'imposer à autrui des convictions religieuses », précise le procureur.

Par ailleurs, la thèse d'un guet-apens est rejetée à ce stade. « Le plaignant s'est délibérément présenté au rendez-vous pour régler ses problèmes - "comme un homme" -, il n'est donc pas permis d'affirmer qu'il serait tombé dans un guet-apens », affirme le parquet, qui a fait savoir que les premières informations publiées ce week-end dans la presse étaient « parcellaires ou inexactes », qu'elles sont « susceptibles d'engendrer un trouble à l'ordre public » et « des réactions exacerbées qui en sont la conséquence, y compris de la part de personnalités politiques et organisations syndicales ».

L’ouverture d’une information judiciaire a été annoncée afin d'identifier l’ensemble les jeunes impliqués dans l’affaire, de « confirmer les circonstances de déclenchement de la rixe » et de « fixer l'éventuelle interruption totale de travail (ITT) consécutive aux faits », les quatre jours d'ITT n'ayant pas été confirmés, précise le parquet de Belfort, qui compte requérir la mise en examen des deux frères pour « violences en réunion » ainsi que leur placement sous contrôle judiciaire.

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