Les mots piégés du débat républicain
Après être revenu sur l'origine du mot « démocratie » et sa balade dans l'actualité, un spécialiste nous aide à y voir encore plus clair. Juliette Méadel est magistrate à la Cour des comptes. Ancienne secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes, l’actuelle conseillère municipale de Montrouge a publié aux Éditions de l'Observatoire « Un impérieux besoin d'agir » où elle y raconte son expérience politique.
La démocratie s'exerce notamment par le vote des citoyens. Notre pays a été marqué ces dernières années par une forte abstention lors des différents scrutins. Selon vous, quelles mesures devrions-nous mettre en place pour que les citoyens se sentent plus impliqués ?
Regardez par exemple, en ce moment, nous vivons dans une espèce de stigmatisation systématique des étrangers alors qu'en fait, ce dont ont besoin les citoyens de France, c'est d'avoir un discours et des actes sur le logement, sur la question de l'autonomie et des personnes âgées. Nous venons de voir le scandale de l’Ehpad avec Orpea, un organisme de maisons de retraite accusé de détourner de l'argent public et de maltraiter ses résidents. Nous avons des sujets qui sont très humains mais pas de réponses qui sont apportées à ces inquiétudes par les responsables politiques. C'est pour ça que les citoyens se détournent du vote.
Ça ne veut pas dire qu’ils ne s’intéressent pas à la politique mais ces attitudes nourrissent la défiance à l'égard du système démocratique. Il y a en démocratie un principe fondamental qui est le respect de l'autre, l'interdiction de la violence, de la haine, qu’il faut combattre. Or, c'est évidemment tout le contraire qui est à l’œuvre, notamment sur les réseaux sociaux.
Alors, que pourrions-nous faire pour faire face à ces violences qui minent notre société démocratique ? J'entends bien l'appel au sursaut des responsables politiques, mais ça ne suffit pas. Quelles mesures concrètes proposez-vous ?
Je suis pour que l'on sanctionne les réseaux sociaux qui laissent faire les processus de menaces de mort, de harcèlement, de dénigrement d'autrui. Dès lors qu'un tweet, un post sur Facebook ou sur Instagram est un appel à la haine, je suis pour des sanctions pénales. Le simple signalement que l'on demande à la victime de harcèlement de faire au réseau social est à peu près inefficace. Il faut donc qu'il puisse y avoir une plainte déposée par la victime contre le réseau social pour complicité de harcèlement ou complicité d'appel à la haine.
Et si on commençait par supprimer l'anonymat sur les réseaux sociaux ?
En revanche, toute violence, toute insulte, toute démarche de harcèlement, tout appel au meurtre qui aurait été fait par l'intermédiaire d'un réseau social doit donner lieu à une plainte de la victime contre le réseau social et à des sanctions qui peuvent être pénales.
Oui, mais on n'a pas véritablement la maîtrise sur ces plateformes, ce qui pose d'une certaine manière la question de la souveraineté et de la capacité à créer et à contrôler ces plateformes.
Nous parlons de vote obligatoire, de référendum, d'initiative populaire. Un des candidats à la présidentielle propose, lui, de changer de République. Selon vous, faut-il passer par un changement aussi radical pour renouveler la démocratie ? Et que peut-on proposer aujourd'hui pour renouveler l'adhésion au sentiment, à la participation démocratique ?
Le deuxième sujet, c'est que l'on doit assurer le pluralisme de la presse. Or, en ce moment, il y a des mouvements de rapprochement entre groupes de presse qui n'assurent pas le pluralisme et la diversité des approches. Il faudrait donc une loi pour être beaucoup plus rigoureux et faire en sorte que la presse soit plus libre, plus protégée. (…)
Le troisième sujet, c'est la question de la durée des mandats. Je pense que, par exemple, en ce qui concerne les élections municipales, il faudrait limiter les mandats de maire dans le temps. Deux mandats, cela me semble bien suffisant, ça fait déjà 12 ans. Pour le mandat du président de la République, comme je le dis dans mon livre, il faudrait un seul mandat de six ans. Pourquoi ? Pour éviter la concentration des pouvoirs sur une trop longue période. Cette concentration des pouvoirs empêche les nouvelles voies de se faire entendre. Ça bloque le système, ça installe des baronnies, des clientélismes et ça ne fait pas respirer la démocratie. Ça me paraît donc être un des outils les plus utiles pour faire ça.
Enfin, sur la démocratie locale, je pense qu'il faut changer les règles électorales pour élire les maires. Un maire élu avec 500 voix de plus sur une liste de 50 000 habitants - je l'ai vécu dans ma commune de Montrouge - a quatre fois plus de voix que moi (l'opposition) au conseil municipal. Donc il bloque tout. Ce n’est pas démocratique.
*****
Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
Lire aussi :
Jacqueline Costa-Lascoux : face aux populismes, « les démocraties n'ont pas perdu la partie »
Christian Silianoff : « La confiance avec les gouvernants, abîmée, peut pallier à l’obscurantisme ambiant »
Pour prévenir la radicalisation, « développer toutes les formes de débat démocratique »
Didier Leschi : « Le souverainisme est plus attaché à l'idée d'une identité culturelle qui a souvent comme corollaire le racisme »