Faim de justice pour la Palestine, en soif de reconnaissance politique du génocide à Gaza

Par Hanan Ben Rhouma, le 26/04/2025

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Face aux massacres dans la bande de Gaza, des citoyens français et européens, las de l'impunité d'Israël, ont démarré une grève de la faim depuis fin mars. A leur passage au Sénat mardi 22 avril, ils ont fait valoir leurs revendications de justice. Place à leurs témoignages poignants.

Le collectif Faim de justice pour la Palestine veut faire sa part pour alerter le plus grand nombre à l'horreur qui secoue Gaza. Ce mouvement « apolitique et transpartisan », lancé sous l'impulsion de soignants revenus bouleversés de leurs missions dans l'enclave palestinienne, rassemble des citoyens en grève de la faim depuis le 31 mars. Entamée à Marseille, leur tournée a fait étape dans une dizaine de villes françaises avant une étape clé dans la capitale. Les grévistes et jeûneurs solidaires - une dizaine - ont été reçus au Sénat mardi 22 avril à l'invitation de la sénatrice EELV du Rhône, Raymonde Poncet-Monge, pour exiger que cesse l'impunité d'Israël.

« Nous demandons à la communauté internationale d'intervenir d'urgence pour sauver ce qu'il reste de Gaza (...). Il faut sauver les enfants, les civils qui payent les conséquences d'un carnage, d'une agression terrible, à tous les niveaux. » La voix de Ziad Medoukh est affaiblie mais résonne au Sénat. Après plus de 18 mois d'une opération militaire sans pitié d'Israël, la fatigue du professeur de français est naturellement présente mais sa détermination à porter les revendications de justice et de paix du peuple palestinien n'a pas disparu. Une détermination qui est aussi celle des activistes de Faim de justice pour la Palestine.

« Le pronostic vital du peuple palestinien est engagé »

En France, ce sont « l'hypocrisie, la lâcheté, la peur et le repli sur soi » qui règnent, se désole Pascal André, médecin urgentiste à Rodez. L'initiateur du mouvement apparaît marqué : il a perdu près de 15 kg en trois semaines. « Notre silence est intolérable. Notre silence fait monter l'antisémitisme et l'islamophobie en France et c'est intolérable », déclare-t-il. « Bien sûr qu'il y a des otages. Il y a aussi un peuple et des civils qui sont pris en otage » et « que tout le monde se taise est une ignominie » face à une situation qui ne cesse de s'empirer.

« J'ai honte de la France », lâche Amina, originaire de Millau, elle aussi en grève de la faim depuis fin mars. « Faire une grève de la faim est un acte politique mais c'est le seul moyen qu'on a trouvé pour exprimer notre colère et notre honte », dit-elle. « Car jamais un génocide n'a été aussi documenté en direct ». Et pourtant... tous disent leur deception des politiques mais aussi des journalistes, à l'image de Maria, qui estime que « le silence des médias français n'est pas une erreur, c'est un choix, et ces médias peuvent être considérés comme complices (...) par leur absence d'une couverture médiatique d'un génocide en cours ». La guerre menée contre Gaza est la plus meurtrière pour les professionnels de l'information, tou conflit confondu ; la profession est appelée à un sursaut de conscience sur ce sujet.

L'heure est grave. « Le pronostic vital du peuple palestinien est engagé », lance Leila, originaire de Strasbourg, qui s'est jointe au mouvement dès le début, dans la foulée du mois du Ramadan. « 76 ans d'injustice et d'oppression, il est temps que les responsables soient sanctionnés et que les autorités françaises prennent ses responsabilités (...). Il est temps d'être du bon côté de l'histoire car l'histoire retiendra la lâcheté et l'hypocrisie de ceux qui ont laissé faire ce génocide. »

Dans le milieu de la culture, ce n'est guère mieux pour Hervé, metteur en scène originaire de Suisse. Il n'a pas de souvenir d'un silence aussi « incroyable » du temps de la guerre en Ukraine ou encore en Algérie et en Bosnie dans les années 1990 ; « une honte absolue ». « La honte peut effectivement paralyser. (...) Mais la honte est également un sentiment révolutionnaire qui nous permet de prendre conscience de notre indignité et nous révolter contre la situation dans laquelle nous sommes soumis », fait-il valoir avec sagesse.

« Notre conscience ne nous permet pas de nous taire »

« Ce que j'ai vu là-bas ne s'effacera pas de ma mémoire », indique Imane Maarifi, une infirmière qui s'est rendue à Gaza en janvier 2024. « Ce jeûne, cette grève de la faim, est un privilège chez nous. Chez eux, c'est une condamnation », déclare-t-elle. Ce n'est pas la première fois qu'Imane témoigne publiquement de son expérience. « J'ai essayé par tous les moyens de les réveiller (les politiques). C'est avec beaucoup de douleur que j'ai compris que ce n'était pas un deni, c'est un choix politique, conscient, d'animaliser le peuple palestinien. »

« Ils meurent de froid, de faim, mais aussi de notre silence et notre complicité », appuie Khaled, médecin urgentiste lui aussi marqué par ses deux voyages dans l'enclave en 2024. Imad, médecin à Bourges, voit dans la présente situation « une défaite et une somnolence de toutes les valeurs républicaines humanistes et de gauche en Europe ».

Ghislaine ne cache pas son écoeurement non plus. « J'ai encore foi en la justice mais la justice prend son temps. Mais est-ce qu'on a (...) le temps d'attendre) ? », s'interroge cette citoyenne, la voix étranglée par l'émotion face à la déshumanisation des Palestiniens. « L'histoire nous regarde, tous, et si nous avons fait le choix de nous mettre en danger, c'est parce que nous n'avons trouvé aucun autre moyen pour qu'on nous donne des micros. Notre conscience ne nous permet pas de nous taire. »

« Continuer à faire humanité ensemble », un sacré défi

Des solidaires du mouvement s'expriment à leur tour. « En tant que juif éduqué dans la traumatisme de la Shoah, élevé dans l'idée que le silence face à l'extermination est une faute, il m'est tout simplement inconcevable de me taire devant ce que je considère comme une tentative de nettoyage ethnique qui prend la forme d'un génocide. Je refuse que mon histoire soit mobilisée pour justifier l'injustice », affirme Benjamin-Ange.

« Aucune mémoire, aucune histoire, aucun passé ne peut justifier des crimes contre l'humanité », ajoute celui pour qui être juif antisioniste, « ce n'est pas une contradiction mais une fidélité à ce que le judaïsme m'a transmis ».

Pour Camille, du collectif Anastasis regroupant des chrétiens défendant « la force révolutionnaire de l'Évangile », « le chemin vers une paix durable ne peut commencer sans la reconnaissance de la vérité des crimes en cours et sur la situation intenable qui se déroule en ce moment à Gaza ».

A leurs côtés, l'activiste franco-palestinien, Salah Hamouri, dénonce avec vigueur « le non-respect du droit international » face à « un génocide en cours » ayant pour objectif de « faire disparaître la majorité des Palestiniens ». « La reconnaissance de l'Etat palestinien restera symbolique tant qu'elle n'est pas accompagnée (...) d'un embargo militaire, économique ; d'un isolement de l'Etat d'Israël tant que le droit international n'est pas respecté » par les pays européens, plaide ce dernier.

Pascal André appelle les responsables politiques et élus à prendre position d'urgence en faveur des Palestiniens, « quel que soit le niveau de responsabilité », en dépassant ce « cadre castrateur des étiquettes posées sur les personnes qui défendent le droit » mais qui sont (faussement) accusées d'alimenter l'antisémitisme. « Une escroquerie intellectuelle dont se rendent complices les politiques », dira d'ailleurs un intervenant.

Pour le médecin, le défi présent est de « continuer à faire humanité ensemble ». Avant de lancer un avertissement : « Si les dynamiques non violentes ne fonctionnent pas, 1789 reviendra. »

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