Après l’annonce, fin avril, du ministère de l’Education nationale d’interjeter appel contre le jugement du tribunal administratif de Lille ayant annulé la décision de résiliation du contrat d'association du lycée Averroès de Lille, ce dernier est bien décidé à demander la confirmation du jugement de première instance. Si le combat judiciaire est donc loin d’être terminé, le chef de l’établissement, Eric Dufour, appelle à retrouver « des relations sereines et de confiance » avec les services de l’Etat face à des « discours de haine » contre Averroès qui lui font craindre le pire.
Saphirnews : La ministre de l'Education nationale, Elisabeth Borne, a fait savoir ce jour faire appel de la décision. Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Averroès serait un « bastion de l'entrisme islamiste », selon les mots de Bruno Retailleau, pour justifier la décision de résiliation du contrat... Que répondez-vous à une accusation aussi grave ?
On nous a accusés d'entrisme dans l'armée, dans la police… Enfin, on nous prête beaucoup de compétences dans ce domaine ! Si l’entrisme, c'est de former d’excellents élèves et de leur permettre d’entrer dans l’enseignement supérieur dans les meilleures conditions, c’est ce qu’espère faire tous les établissements scolaires. Nous revendiquons de fournir la meilleure formation aux élèves jusqu’au baccalauréat.
L’entrisme signifie qu’on ait préparé des élèves dans un autre but que celui de leur permettre de faire des études supérieures et de s’insérer socialement. Je balaye cette accusation d’un revers de main, c’est ridicule et complotiste. Je dénonce et je regrette ce genre de formules qui sont utilisées quand on n’a plus d’argument.
Avec de telles déclarations, que craignez-vous ? Estimez-vous qu'on mette des cibles sur le dos d'Averroès et de ceux qui la font vivre ?
J'ai donc immédiatement saisi le préfet (du Nord et des Hauts-de-France, Bertrand Gaume, ndlr) pour demander une protection et un renforcement autour du groupe scolaire Averroès. Nous avons bien évidemment notre propre protocole de surveillance puisque nous avons quand même plus de 600 élèves et une centaine de personnels qui viennent chaque jour.
Le préfet m'a immédiatement répondu en disant qu'il était très attentif à notre situation. J'ai eu une réponse bienveillante de la part de la préfecture, mais nous sommes extrêmement vigilants. Nous le sommes depuis de nombreuses années mais depuis octobre 2023 (date de l’annonce par la préfecture de la résiliation du contrat d’association, ndlr), Averroès est dans la ligne de mire de ceux qui veulent s'en prendre à des musulmans et à leurs institutions et, a fortiori, ces derniers jours, jusqu'à voir un assassinat dans une mosquée (en référence à l'affaire qui a secoué La Grand-Combe, dans le Gard, ndlr). Ma mission est de protéger mes élèves et mes personnels ; ma crainte est diffuse d'un passage à l'acte, d'une folie individuelle nourrie à des discours de haine contre Averroès.
(...) Ce qui me préoccupe, c’est la malhonnêteté intellectuelle dont font preuve des commentateurs, des médias, des politiques, qui ont souvent tendance à reprendre les arguments du rapport de saisine préfectoral daté de 2023 alors que la plupart des griefs ont disparu, que ceux qui sont restés ont été démentis par la justice et que du reste, il a été estimé que rien n’était d’une gravité pouvant aller jusqu’à la résiliation du contrat. Ils font comme si, depuis un an et demi, rien ne s’était passé... J’aimerais que tous se tiennent à ce qui a été dit et tranché par le tribunal.
Avez-vous eu des nouvelles du rectorat depuis le 23 avril ? Comment qualifiez-vous son attitude à votre endroit avant et après la décision ?
Dès la décision du 23 avril, j'ai immédiatement saisi les services du rectorat pour leur demander des réponses à mes questions le plus rapidement possible puisque les élèves de première qui ne bénéficient plus du contrôle continu sont de nouveau sous contrat et ont des épreuves dès le 2 juin, j'ai donc besoin de les rassurer, de leur confirmer qu'ils ne passeront pas ces épreuves puisque la décision de justice s'applique immédiatement et que l'État doit s’y conformer. Il faut aussi très vite que les enseignants puissent savoir quand ils vont pouvoir reprendre leur poste à Averroès.
Ce qui est important pour moi, c’est de récupérer la dotation horaire globale (environ 500 heures, ndlr) qui va me permettre de savoir combien d'enseignants pourront effectivement être au lycée à la rentrée prochaine, combien de classes je vais pouvoir ouvrir et combien d'élèves je vais pouvoir inscrire puisque nous avons de nombreuses demandes d'inscription et de retour depuis la décision de justice. Le rectorat m’a répondu en m’assurant qu’il se préoccupe de la situation d’Averroès, des lycéens et des professeurs, et que j'allais avoir très vite des réponses à mes questions à l'occasion d'une réunion qui devrait intervenir prochainement.
Malgré les discours stigmatisants à l'encontre de votre établissement, qu'attendez-vous des autorités ? Dans ce contexte difficile pour les musulmans, quels messages souhaitez-vous livrer ?
(...) J’entends encore le président de région dire (mardi 6 mai devant une commission d’enquête parlementaire, ndlr) qu’Averroès ne respecte pas les valeurs de la République. Je voudrais réaffirmer que c’est une insulte aux personnels et aux enseignants formés par la République et qui enseignent fidèlement le programme de l’Education nationale, ce que jamais un inspecteur ne l’a contesté.
Il faut pouvoir retrouver des relations sereines et de confiance, en toute transparence, comme nous l'avons toujours fait, malgré toutes les insinuations. Je souhaite qu’on puisse retrouver un apaisement dans cette affaire, au moins jusqu'à l'appel.
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