Au gala de soutien, Al-Kindi déterminé à tenir bon malgré les épreuves d'une rentrée hors contrat

Par Hanan Ben Rhouma, le 08/10/2025

PENDANT LE RAMADAN, SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !

Le groupe scolaire musulman Al-Kindi a effectué sa rentrée dans une situation très délicate, née de la décision prise par les autorités quelques mois plus tôt de résilier ses contrats d'association avec l'Etat. Ses soutiens ont répondu présents lors d'un gala organisé samedi 4 octobre. Au bout, le succès qu'Al-Kindi espère renouveler pour tenir bon l'année scolaire, dans l'attente d'un procès au fond en 2026.

Il n'y a pas eu de gala de la sorte depuis 10 ans pour Al-Kindi, à Décines-Charpieu (Rhône-Alpes). Pour marquer le coup, la salle Fantasia, dans la commune voisine de Meyzieu, a fait salle comble, samedi 4 octobre, pour accueillir les soutiens du groupe scolaire privé musulman qui a été privé cette année de ses contrats d'association avec l'Etat.

Le soutien moral, Al-Kindi peut se targuer d'en avoir, mais il ne suffit pas toujours pour remplir les caisses. Mais sur ce point, le défi est en passe d'être remporté pour la direction. Le groupe scolaire avait déjà réussi à collecter plus de 500 000€ depuis janvier dernier, par le biais d'une cagnotte en ligne lancée à l'annonce du retrait des contrats d'association.

Selon nos informations, le gala a réuni sur place près de 300 personnes, avec un ticket d'entrée à 50 €. Surtout, il a permis de récolter 502 000 € - dont 400 000 € sous forme de promesses de don, soit deux fois plus que ce qui avait été fixé comme objectif initial - sur les 700 000 € dont a besoin l'école pour fonctionner cette année sans les subventions publiques qui lui ont été retirées, presque deux millions d'euros.

Des efforts budgétaires drastiques réalisés pour assurer la rentrée

Malgré la difficulté qu'une telle perte financière représente, « on a accepté le défi de rouvrir nos portes en appliquant une stratégie financière très dure », signifie Bassel Abou Saleh, secrétaire général de l'association Al-Kindi. La plus visible des décisions prises est assurément la hausse des frais de scolarité de 20 %, quand les parents payaient, selon le barème, entre 2000 et 3000 € l'année en 2024-2025.

Un passage obligé mais insuffisant pour la direction, qui a donc dû procéder au retrait d'une classe par niveau pour le collège. Aujourd'hui, 524 élèves, répartis entre le primaire, le collège et le lycée, ont fait leur rentrée 2025-2026, contre 617 l'an dernier.

En parallèle du non-renouvellement de certains contrats administratifs, elle a aussi demandé à ses personnels de consentir à une baisse de salaire pour cette année scolaire, ce qui a été compris et accepté avec l'espoir que la justice donne raison à l'école dans les prochains mois. « En appliquant ces stratégies d'optimisation, on a réduit le trou de 2 millions en passant à 1,2 millions d'euros. (...) Mais il nous reste un long chemin à parcourir », déclare Bassel Abou Saleh, encourageant de fait aux dons en rappelant qu'ils sont toujours déductibles des impôts.

La détermination face aux obstacles

Cette année, la rentrée hors contrat a été vécue « sans trop de pression » contrairement aux deux dernières années pendant lesquelles Al-Kindi a subi « inspections et contrôles sur contrôles, ce qui était très compliqué », selon Abdelouahb Bakli, directeur d'Al-Kindi. Une rentrée « dans la sérénité et le calme » qui se veut aussi sous le signe de la combativité.

« La réussite (des musulmans) devient de plus en plus visible et cela dérange, alors ils veulent nous mettre des bâtons dans les roues », fait part, en ouverture de soirée, un soutien de l'école qui exerce en tant que chef de service réanimation dans la région. Mais « avec l'aide d'Allah et, bien sûr, de votre générosité, on arrivera à surmonter les obstacles ».

Une saisine des instances de l'ONU annoncée

« Al-Kindi est aujourd'hui au cœur de la tourmente. Une tourmente aussi injuste qu'injustifiée et qui est alimentée par une islamophobie d'Etat », martèle avec force Hakim Chergui, co-fondateur du groupe qui en assure la défense devant les tribunaux.

Pour l'avocat, ester en justice, c'est « pour que nos droits et notre honneur soient respectés, pour que l'intelligence qui est la nôtre soit respectée, parce que quand des personnes nous disent que nos livres prônent la violence, c'est une insulte à notre histoire, à nos corpus, à nos traditions ».

Il annonce dans la foulée une saisine prochaine des instances de l'ONU, conjointement avec les responsables de l'école Fort School d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), « pour qu'une enquête internationale ait lieu en France, parce qu'il n'est pas normal qu'une administration censée respecter le principe d'égalité dise qu'on nous surveille plus parce que nous sommes musulmans ». Pas plus de détails ne nous sont fournis à ce stade ; « les détails ne sont pas encore réglés, mais l'action est légitime et appropriée », indique à la rédaction le service communication du groupe.

Al-Kindi, un cas d'école parmi d'autres

Me Sefen Guez Guez plaidera en ce sens au cours de la soirée. Celui qui défend les intérêts de plusieurs structures éducatives musulmanes menacées dont Al-Kindi ou encore l'IESH de Château-Chinon assure qu'il y a en France, « une volonté assumée d'empêcher la réussite des (musulmans). Avant Al-Kindi, il y avait Averroès. Et pendant Averroès, il y avait Avicenne, à Nice. Et pendant que nous parlons aujourd'hui, à Marseille, le groupe scolaire Ibn Khaldoun est aussi attaqué par la région et le département qui ont décidé de manière complètement illégale de leur retirer les subventions ».

« Lorsqu'on est un établissement privé catholique, vous avez une chance toutes les 1 500 années de vous faire contrôler. Lorsque vous êtes Avicenne, Averroès ou Al-Kindi, c'est plusieurs fois par an », répète-t-il, en citant le rapport parlementaire né de l’affaire Notre-Dame de Bétharram rendu public en juillet dernier. « C'est de l'énergie à devoir tout expliquer, tout justifier » pour les personnels plutôt que de se mobiliser « sur le projet pédagogique et la réussite des élèves », déplore l'avocat.

Abdelouahb Bakli se remémore avec nostalgie « une époque où on était très considéré par les administrations. (...) Mais les gouvernements se succèdent et (ceux du moment sont) implacables ». « On a fait le choix de se battre pour les contrats qui nous sont attribués depuis 2012. Les subventions que l'Etat nous verse nous est un droit, elles viennent de nos impôts et de ceux que versent les personnes présentes ici dans la salle. C'est de notre droit de bénéficier de ces subventions, de notre droit et même de notre devoir de nous battre pour marquer notre place ici (en France) parce que nous appartenons à ce pays », soutient Bassel Abou Saleh.

Le groupe Averroès en « grand frère »

Tous ont en tête l'exemple d'Averroès, qui a obtenu gain de cause face à l'Etat en avril dernier. Le groupe scolaire lillois joue assurément le rôle de « grand frère » pour Al-Kindi. C'est que les deux cas présentent beaucoup de similitudes, rapporte Eric Dufour, directeur de l'établissement nordiste.

« D'abord l'évidence : vous avez traversé une tourmente politico-médiatique comme nous, subi des injures, des outrages, des diffamations comme nous, (...) vécu la résiliation des contrats comme nous. Autant d'épreuves qui ont traumatisé votre communauté éducative et auxquelles vous avez fait face avec dignité, courage et force de conviction », déclare-t-il. « Nous sommes unis par le destin, dans la fraternité des endurants comme nos illustres prédécesseurs l'ont été à quelques siècles de distance, Al-Kindi au 9e siecle puis Averroès au 12e siecle. Chacun a eu le tort d'avoir eu raison trop vite, de réussir trop vite et de travailler trop généreusement à la conciliation des cultures. »

Averroès et Al-Kindi incarnent « l'harmonie de l'islam et des valeurs de la République », « le contraire de ce qu'on nous reproche, loin des séparatismes, des entrismes, des frérismes, de tous les "ismes" tellement faciles et infamants, tellement injustes et malveillants », clame Eric Dufour. « Avec Averroès et Al-Kindi, la France possède de formidables outils d'élévation sociale (...). Il faut que la France en soit fière et reconnaissante. Point d'entrisme si ce n'est le désir, pour vous comme pour nous, de faire entrer nos élèves par la grande porte de l'enseignement supérieur. Autant de valeurs ajoutées pour la République. »

Et de conclure : « Averroès est devenu synonyme de résilience, de résistance et de patience. Cette force collective acquise sur les barricades de l'injustice et les champs de bataille de l'espoir, c'est une victoire que nous devons à nos contempteurs. Al-Kindi suit le même chemin avec la certitude d'obtenir gain de cause et de triompher en justice inchaAllah. »

Le jugement au fond du dossier au tribunal administratif de Lyon devrait avoir lieu au printemps 2026, indique le service communication d'Al-Kindi à Saphirnews. « Nos équipes d'avocats sont confiants puisque tous les griefs avaient été corrigés avant même le retrait du contrat », assure-t-on. D'ici là, Al-Kindi compte encore mener de nouvelles actions, différentes du gala réussi, pour lever les 300 000 € restants qui lui permettront d'assurer dignement l'année scolaire.

Lire aussi :
Face à la dissolution, l'IESH de Château-Chinon refuse « la hogra » et contre-attaque
Violences scolaires : le « deux poids, deux mesures » dans les contrôles visant les écoles musulmanes dénoncé
Lycée Averroès : malgré la victoire judiciaire, la peur du groupe scolaire musulman de porter « une cible sur le dos »
Le lycée musulman Averroès célèbre ses 20 ans avec combativité et résilience
Affaire Al-Kindi : lettre ouverte au président de la République après la résiliation des contrats avec le lycée musulman