Dans la tourmente, Musulmans de France se choisit un nouveau président

Par Hanan Ben Rhouma, le 11/11/2025

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Makhlouf Mamèche a pris, samedi 8 novembre, la direction de l'organisation Musulmans de France. Ce pilier du lycée Averroès de Lille est désormais chargé de conduire pendant quatre ans une fédération sérieusement affaiblie ces dernières années par de nombreuses attaques administratives envers ses structures.

La présidence de la fédération Musulmans de France (MF) change de visage avec l’élection, samedi 8 novembre, de Makhlouf Mamèche, et il est très, très loin d’être un inconnu pour l’ex-Union des organisations islamiques de France (UOIF). Pour cause, l’homme y est impliqué depuis plus de trois décennies. Recteur de la Grande Mosquée de Lille, ce proche de l’ex-président de MF Amar Lasfar est aussi le fondateur du lycée Averroès et de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman (FNEM).

« J’ai accepté cette responsabilité par devoir et par conviction. Devoir, parce que MF est une institution historique du paysage musulman, et qu’elle mérite une relance structurée, crédible et collective. Conviction, parce que je crois profondément en la nécessité d’un travail d’unité, de coordination et de renouvellement au service du culte musulman en France », affirme l’actuel directeur de l’association Averroès auprès de Saphirnews.

« Nous avons besoin d’ouvrir une nouvelle étape, plus organisée, plus concertée et plus tournée vers les réalités de notre temps. J’ai estimé qu’il était de mon devoir d’apporter mon expérience au service de cette ambition commune. (…) Je suis pleinement conscient des exigences que suppose la présidence de MF, et je m’organiserai pour que mes différentes responsabilités (notamment avec le lycée lillois, ndlr) soient exercées avec sérieux, méthode et équilibre. »

Une structure affaiblie par d’importantes attaques

A presque 60 ans – 57 ans en décembre prochain –, c’est lui qui aura la lourde tâche de conduire une organisation dans la tourmente face aux offensives répétées, ces dernières années, des autorités contre « l’entrisme islamiste » dont le lycée Averroès et bien d’autres établissements scolaires musulmans sont notamment l’objet. C’est le cas du collège-lycée marseillais Ibn Khaldoun, qui voit son contrat d’association avec l’Etat menacé depuis des mois.

Makhlouf Mamèche succède d’ailleurs à Mohsen Ngazou, lui-même directeur d’Ibn Khaldoun pour lequel il devra concentrer toute son attention pour les batailles judiciaires à venir. Son mandat de quatre ans a ainsi été émaillé de grandes difficultés pour la fédération, marquée dernièrement par la dissolution de l’IESH de Château-Chinon.

Vers une dissolution de l’organisation ?

Les victoires judiciaires obtenues en avril dernier par Averroès et par le collège Avicenne à Nice en octobre sont importantes mais cachent mal les déboires de MF, qui se traduit en conséquence sur ses finances. Son budget annuel est aujourd'hui de l'ordre de « 300 000 € », nous indique Makhlouf Mamèche, en très nette diminution depuis l’arrêt, en 2020, de l’organisation du Rassemblement annuel des musulmans de France (RAMF) au Bourget. « Pour financer ses projets, Musulmans de France a eu massivement recours aux fonds de dotation à la fin des années 2000, dont les dissolutions se multiplient en raison notamment du détournement de l’objet d’intérêt général », lit-on dans le rapport sur « l’islamisme politique » dont les conclusions ont été largement contestées par MF en mai dernier.

Plus que jamais, la fédération fait régulièrement l’objet de campagnes d’appel à sa dissolution par l'extrême droite et une partie croissante de la droite. Mais Makhlouf Mamèche se veut confiant : malgré les difficultés auxquelles MF fait face, il dit ne pas croire en une dissolution de son organisation, qui dispose encore « de ressources humaines, de compétences et d’un ancrage territorial considérable ». « La vraie question n’est pas de savoir si MF va disparaître ou de pronostiquer sa disparition — cela fait 40 ans que des personnes mal intentionnées la pronostiquent — mais plutôt de savoir qui souhaite la voir disparaître. Et au fond, il faut s’interroger : n’est-ce pas la visibilité du culte musulman, son organisation et son institutionnalisation en France que certains préfèreraient voir s’effacer ? », s’interroge-t-il.

« Nous constatons avec inquiétude que les attaques contre les mosquées, les associations et les institutions musulmanes sont trop souvent passées sous silence ou traitées avec indifférence médiatique. Défendre le culte musulman, ce n’est pas s’enfermer dans une posture de victimisation, mais rappeler que les musulmans de France font partie intégrante de la société, qu’ils y contribuent chaque jour, et qu’ils méritent respect et protection comme tout citoyen », plaide le responsable associatif. Et d’affirmer : « MF portera haut la voix des musulmans de France, dans un contexte où les actes antimusulmans continuent de croître, parfois de manière banalisée. »

De la nécessité de recréer du lien entre associations face aux pressions

Makhlouf Mamèche se déclare conscient des défis qu’il lui faut relever pour les prochaines années : « La fédération MF doit redevenir une maison commune, ouverte et fédératrice. Nous souhaitons recréer du lien entre les mosquées, les associations et les acteurs de terrain, favoriser la coopération régionale et encourager les initiatives locales au service des fidèles. Le tissu associatif musulman a beaucoup souffert ces derniers temps, de pressions administratives et de difficultés de gestion financière... Il est temps, de s’unir, de se rassembler et lever les défis ensemble. »

Par ailleurs, alors que la structure se fait plus vieillissante avec l'effritement de ses antennes jeunesse, Makhlouf Mamèche martèle son désir de placer la jeunesse « au cœur de notre projet ». « Il est essentiel de réinvestir dans l’éducation, la transmission des valeurs et l’accompagnement des nouvelles générations. C’est auprès des jeunes que se joue l’avenir du culte musulman en France : les soutenir, les écouter, leur offrir des espaces d’engagement et de sens, c'est investir dans la pérennité de nos institutions », assure-t-il. Un sacré challenge compte tenu du contexte difficile dans lequel évolue aujourd'hui le secteur associatif en général, et musulman en particulier.

« La communauté musulmane de France est forte, belle et solide. Elle regorge de talents, de compétences et d’énergies positives dans tous les domaines : éducation, science, culture, action sociale, économie... Nous avons, al-hamdoulillah, tout ce qu’il faut pour construire, pour rayonner et pour contribuer pleinement au bien de notre pays », conclut-il. « Nous devons nous unir, nous organiser et avancer ensemble, avec sincérité et détermination, pour défendre, faire vivre et transmettre l’islam, dans toute sa noblesse, sa sagesse et sa profondeur spirituelle. L’avenir appartient à celles et ceux qui croient en la force du collectif. »

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