Les mots piégés du débat républicain
Après être revenu sur l'origine du mot « intégration » et sa balade dans l'actualité, un spécialiste nous aide à y voir encore plus clair. François Héran est sociologue, démographe et anthropologue. Il est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Migrations et sociétés. Il est également directeur de l'Institut Convergences Migrations et il a publié en 2021 un essai intitulé « Lettre aux professeurs sur la liberté d'expression » aux éditions La Découverte.
Alors certains observateurs disent que l'intégration est aujourd'hui plus compliquée qu'auparavant car beaucoup d'immigrés actuels viennent de sociétés aux systèmes de valeurs fort différents du nôtre et avec un niveau d'éducation très faible. Selon vous, est-ce la réalité ?
Oui mais en même temps, on nous dit que certaines diasporas qui commencent à se former sur le territoire sont quand même très éloignées en termes de système de valeurs du notre. On évoque les communautés afghane, sri lankaise, bangladaise… comme des populations qui présenteraient plus de difficultés d'intégration que les anciennes vagues de migrants, qu’en dites-vous ?
Les Espagnols, par exemple, dans les années 1930, étaient perçus comme des communistes, des Rouges qui avaient le couteau entre les dents. L'idée qu'ils étaient catholiques ne dominait pas du tout. Des témoignages qui ont été rapportés sur les Belges et les Flamands, qui ont beaucoup travaillé dans les mines et les usines textiles du nord de la France, ont montré qu'ils étaient perçus comme des barbares, des étrangers... Il y a eu donc une forte surestimation de la distance culturelle qui était perçue autrefois vis-à-vis des migrants. Les Italiens eux-mêmes n'étaient pas très bien perçus. Les Polonais avaient beau être catholiques, on leur reprochait d'avoir un catholicisme à part, d’amener en France leurs propres prêtres, d'avoir des rituels qui étaient différents des nôtres... que leur catholicisme mettait en péril le nôtre. Donc, en réalité, on arrive toujours à trouver des distances avec les migrants.
Pour autant, il ne faut pas nier que l'islam peut effectivement créer des distances, une distance culturelle sur le plan de la religion. Mais enfin, tous les indicateurs qu'on a sur l'intégration des populations qui viennent du monde arabe sont plutôt en progression.
Le respect des valeurs de la République est un élément fondamental du processus d'intégration. Mais qu'est-ce qu'il faut faire d'autre pour qu'une intégration soit réussie ?
En Allemagne, par exemple, les cours d'intégration consistent beaucoup à enseigner, au fond, des modes d'emploi. On amène le groupe dans un grand magasin, on lui montre comment ça fonctionne et voilà… Je pense qu'il y a une surestimation du lien vertical chez nous et une importance insuffisante accordée aux liens horizontaux.
Évidemment, un des grands vecteurs de l'intégration, c'est l'apprentissage de la langue. On l'a assez longtemps sous-estimé en France parce qu'on avait le sentiment que la plupart de nos immigrés venaient de nos anciennes colonies et qu’ils étaient donc étaient nécessairement francophones. On s'est aperçu par la suite assez tardivement qu'il était tout à fait essentiel de développer les cours de langues parce qu'effectivement, l'adaptation à la vie sociale d'un nouveau pays passe aussi, bien sûr, par la connaissance de la langue. Des efforts ont été faits en la matière.
Rapidement, en un mot, selon vous, que reprochent véritablement à l'intégration les partisans d'une assimilation radicale et qui se situent en général à la droite extrême, voire à l'extrême droite du spectre politique ?
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Pierre Henry est le président de l’association France Fraternités, à l’initiative de la série « Les mots piégés du débat républicain », disponible également en podcast sur Beur FM.
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