Le Parti socialiste s'est fait laminer suite à la pression du rouleau compresseur En Marche ! et de la France Insoumise lors des élections législatives. L’issue du scrutin va permettre la finalisation du processus de recomposition politique des partis de gauche, tant socialiste que communiste. Dans son ouvrage « La guerre des gauches », le journaliste Kevin Boucaud-Victoire analyse ces mutations. Entretien.
Saphirnews : Selon vous, la naissance des mouvements Nuit debout, En Marche ! et le Printemps Républicain en 2016 étaient annonciateurs de la recomposition de la gauche.
Que pensez-vous de la théorie selon laquelle François Hollande serait derrière la création d’En Marche et l’ascension de Macron ?
Dans « La guerre des gauches », vous affirmez que le libéralisme, qu’il soit culturel ou économique, est de gauche. Pourquoi ?
A gauche, le libéralisme politique engendre le libéralisme économique. Puisqu’on a plus aucune définition du bien commun, ce qui va tenir la société sera le tout-commerce de Montesquieu. Voltaire disait que lorsqu’il s’agit d’argent, tout le monde est de la même religion.
Toute la gauche n’est pas d’emblée libérale. Le socialisme naît également des idéaux des Lumières. Il s’agit d’une critique éclairée du mouvement. En 1899, l’affaire Dreyfus donne lieu au bloc des gauches, qui réunit les trois courant principaux de gauche. L’avènement du Front populaire en 1936 entérine l’hégémonie du socialisme à gauche. La droite, elle, se convertit largement au fil du temps au libéralisme économique. Ce n’est pas tout à fait vrai sous le général de Gaulle ; ça commence à l’être sous Georges Pompidou tandis que Valery Giscard d’Estaing est en revanche un libéral assumé. Il est un père économique pour Emmanuel Macron.
Aujourd’hui, on parle d'un libéralisme sauvage qui profite davantage aux classes aisées et in fine aux conservateurs. Peut-on encore être libéral et de gauche ?
Il existe aujourd’hui un mariage contre-nature du libéralisme et du conservatisme parce qu’il profite aux dominants et aux puissants. Après, il faut voir la sociologie des électeurs. Pendant longtemps, les ouvriers votaient à gauche mais ce n’est plus le cas. Le premier parti chez les ouvriers, après l’abstention, c’est le Front national même si la France Insoumise a réussi à rattraper une partie de son retard. Aujourd’hui, Emmanuel Macron est en train d’amorcer autre chose : une recomposition plus large de l’échiquier politique grâce à une fusion entre la gauche la plus libérale et la droite la moins conservatrice.
Cette recomposition politique est-elle durable ou provisoire ?
Comment expliquez-vous la rupture aussi rapide et brutale de l’alliance entre Jean-Luc Mélenchon et le PCF ?
Finalement, le Front de gauche est mort depuis un certain moment. Il y a encore certains candidats du PCF qui utilisent des affiches avec le logo du FDG mais en tant que tel, cette union est morte. Jean-Luc Mélenchon a acté cette mort lorsqu’il a lancé la France Insoumise. Il faut se souvenir que le parti communiste a mis énormément de temps avant de soutenir sa candidature. Il lui a fallu un an, au prix de grandes tractations. On parlait au sein du PCF de soutenir Arnaud Montebourg aux primaires (de 2017). Pierre Laurent (secrétaire national du PCF, ndlr) a finalement annoncé son ralliement à Jean-Luc Mélenchon mais les secrétaires nationaux du parti n’étaient pas d’accord. Au final, ce sont les militants qui ont tranché à 52 % pour une alliance avec lui.
Jean-Luc Mélenchon avait lui aussi compris ce qu’il se passait au sein du clivage gauche/droite. C’est pour ça qu’il ne se positionne plus sur cet axe horizontal droite contre gauche mais plutôt sur l’axe vertical du peuple contre les élites ou l’oligarchie. Le PCF continue de dire que le PS est un parti de gauche et que son aile frondeuse est un allié privilégié. Les communistes ont une critique modérée de l’Europe alors que Jean-Luc Mélenchon a radicalisé son discours depuis l’échec de Syriza, en Grèce. Enfin, il essaye d’obtenir l’hégémonie à gauche. La France Insoumise a largement rétamé le PS lors de la présidentielle et veut maintenant devenir le grand parti de la gauche.
Comment expliquez-vous la ligne politique incompréhensible du PS, qui s’affiche à la fois en opposition et en appui au mouvement En marche ?
Lors de la dernière primaire, Benoît Hamon, l’outsider, l’a emporté. Dans la tête de gens comme Manuel Valls, il y a eu là une forme d’affront : ce sont eux qui doivent diriger. Ensuite, une partie de ces socio-libéraux se sentent plus proches de la vision d'Emmanuel Macron que de celle de Benoît Hamon. L’effondrement de l’appareil PS est tel qu’il risque de ne pas y avoir assez de postes. Le meilleur moyen de sauver son poste, c’est de rejoindre la majorité présidentielle plutôt que de perdre avec le parti socialiste. Je pense que Jean-Christophe Cambadelis et les autres membres de la direction sont complètement débordés. Ils n’étaient pas du côté de Benoit Hamon et étaient assez embarrassés par sa victoire. Tous les candidats de la primaire ont signé une charte qui les engageaient à soutenir le vainqueur. Au lieu de cela, Manuel Valls a soutenu Macron et aurait dû se faire virer. J’ai du mal à croire que le parti va survivre à tout cela. Je crois que le PS né au congrès d’Epinay de 1974 est fini. Il se pourrait qu’il se scinde en deux.
Peut-on dire que, pendant plus de 30 ans, le PS s’est maintenu malgré ses dissensions économiques grâce au libéralisme culturel et qu’aujourd’hui, cela ne suffit plus ?
A coté de cela, une partie du PS a rompu avec le libéralisme culturel comme Manuel Valls. Dans les années 1980, il y avait, malgré tout, quelques avancées sociales symboliques. Par exemple, l’abolition de la peine de mort, la création du SMIC. Sous Jospin, les 35h ont permis d’affirmer cela. En 2012, il n’y a eu qu’une seule mesure, c’était le mariage pour tous. Cela reste très maigre. Le sociétal ne peut plus couvrir le manque de social. Même sur le sociétal, ils se sont affaiblis en ne respectant pas les promesses sur le contrôle au faciès et le droit de vote des étrangers.
Vous rappelez dans votre livre la création dans ces années 1980 d’une pelletée de médias qui ont porté le libéralisme culturel.
Vous constatez une droitisation de la France, comment se manifeste-t-elle ?
Manuel Valls incarne cette droitisation de la gauche. Selon vous, quel rôle peut-il avoir dans la recomposition du PS après des législatives difficiles à Evry ?
Mais quand bien même il remporte la victoire, rien n’est joué. Valls a gagné d’une courte tête dans une élection où il n’y avait ni candidats PS, ni candidats macronistes, après avoir été soutenu par Serge Dassault et face à une candidate insoumise inconnue au niveau national avant cette élection. Incarnant à la fois toutes les dérives droitières de la Hollandie, tant sur le plan économique que sur le plan sécuritaire, et perçu maintenant comme un traître depuis son ralliement à Emmanuel Macron alors qu’il devait soutenir Benoît Hamon, le député d’Evry est une des figures politiques les plus détestées de ce pays. Son destin dépendra de LREM et du PS, dont l’avenir est également incertain, et de sa capacité à rebondir dans une de ces formations.
Manuel Valls représente cependant une vraie tendance de la gauche française, libérale sur le plan économique, laïciste et qui fétichise la République une et indivisible. Même si elle ne pourra pas incarner le renouveau de la gauche, comme elle l’espérait, elle ne disparaîtra pas si facilement. Pour l’heure, il est donc difficile de se hasarder à tout pronostic sur l’avenir de l’ex-Premier ministre.
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