Élue à l’Assemblée nationale pour la première fois en 2017, Sarah El Haïry entre gouvernement Castex pour s’occuper des affaires de la Jeunesse et de l’Engagement en juin 2020. Elle se fait réélire à Nantes une seconde fois aux législatives de 2022 et se voit maintenue dans ses fonctions au sein du gouvernement Borne avec, en plus, le déploiement du Service national universel (SNU). Elle fut récemment chahutée à ce sujet par certaines organisations syndicales comme le syndicat lycéen FIDL ainsi que mise à l’épreuve par l’entrée d’une partie de la jeunesse dans le mouvement social opposée à la réforme des retraites. C’est avec une énergie intacte que la secrétaire d’État a accepté un grand entretien avec Saphirnews.
Vous avez mis beaucoup d'énergie à défendre la généralisation du SNU. Quelles sont vos réactions face à la décision du gouvernement de ne pas présenter ce mardi le SNU ?
Le prochain conseil des ministres aura à l’ordre du jour la loi de programmation militaire. Le service national universel n'étant pas un service militaire, il n’y a donc aucune raison de présenter le SNU dans ce texte-là.
Pourtant, ce fut bien annoncé en ce sens.
Ce n'est donc pas un abandon comme certains syndicats l'affirment ?
Même si l’armée est impliquée ?
C'est un projet transversal qui réunit le monde de l'éducation nationale, les mondes associatif et sportif, et le monde des réserves militaires et civiles. J'ai bien lu, comme vous, tous ces articles, mais ils ne sont fondés que sur des surinterprétations, et des amalgames.
Le premier frein du SNU, c'est que le projet n’est pas encore connu de tous et qu'il est parfois caricaturé.
Pas de recul ?
Le SNU peine à être identifié. Il est perçu soit comme un objet militariste ou, à l’inverse, comme un objet gimmick. Que répondez-vous à ces critiques et comment comptez-vous convaincre ?
C’est aussi un temps qui permet de découvrir l’engagement sous toutes ses formes. Je pense aux luttes contre les discriminations ou au développement des questions environnementales. Je songe également à l'éducation aux médias, tout cela dans une forme qui reste complémentaire avec l'école puisque l'objectif, c'est que ces apprentissages, qui sont des apprentissages citoyens, puissent se faire avec des jeunes qui viennent de territoires différents : ruraux, urbains, métropolitain, ultramarins.
Les jeunes ultramarins seront-ils accueillis en métropole ?
En atteignant cette fois les 64 000 jeunes en 2023 ?
Cette année, on retrouve d'ailleurs beaucoup d'élan puisqu’il y a plus de 100 % de jeunes inscrits par rapport aux objectifs fixés pour les séjours de juin et juillet. Ce succès est dû aux témoignages des jeunes dans leurs lycées mais aussi aux témoignage des parents autour d’eux.
Le test envisagé en 2024, sur six départements, du SNU généralisé est-il toujours d'actualité ?
Rien n’est encore arrêté ?
L'entrée des jeunes dans le mouvement social contre les retraites n'a-t-elle pas été un signal d'alarme pour le gouvernement ?
Je crois que l'échange et le dialogue sont les chemins nécessaires à l'apaisement d'abord, mais aussi pour construire.
Ma mission, c'est d’inciter les jeunes à prendre pleinement leur place dans la construction démocratique.
Si on se réfère aux dernières élections présidentielles, Emmanuel Macron est arrivé en 3e position chez les moins de 34 ans. Il y a ce sentiment que le président n'a pas su encore parler à la jeunesse. Qu'en pensez-vous ?
Nous savons que vous réfutez l’expression de « génération sacrifiée », mais avez-vous un regard spécifique sur cette tranche d'âge qui a connu un certain nombre d'épreuves comme les attentats de la précédente décennie, la crise sanitaire et leurs conséquences, les enjeux climatiques. Est-ce que vos politiques publiques en direction des jeunesses de France tiennent compte de cet aspect ?
Dans un monde avec autant de transitions, se construire n’est pas si simple. Mais la jeunesse s’est montrée très engagée et a su se mobiliser. Il suffit de songer à tous ces jeunes qui ont rejoint des associations ou les réserves civiques. Pour le projet « Je m'engage », plus de la moitié des 300 000 personnes inscrites avaient moins de 30 ans. Cela veut bien dire que notre jeunesse est là, au rendez-vous, quand il y a des coups durs. Il faut donc être à ses côtés.
Et concrètement, comment accompagnez-vous ces jeunesses ?
Dans un monde avec autant de transitions, se construire n’est pas si simple. Mais la jeunesse s’est montrée très engagée et a su se mobiliser.
Mais que faites-vous pour les jeunes en situation de précarité ?
Par contre, est-ce qu'il y a une baguette magique ? Non, parce que les jeunes ont des aspirations différentes, ils ont des espoirs qui sont différents et il faut écouter chacun d'eux. Je crois que ceux qui adoptent des discours simplistes ne se soucient pas des jeunes.
Après une baisse continue depuis 2016 des BAFA délivrés, vous constatez une hausse importante que votre ministère a estimé à 37 % pour l'année 2022. Comment expliquez-vous cette inversion de tendance ?
Effectivement, le nombre de titulaires de BAFA baissait ces dernières années. Nous avons décidé d’octroyer une aide financière exceptionnelle de 200 € qui a pu bénéficier à plus de 27 000 jeunes. De plus, l’âge minimal a été abaissé à 16 ans. Cette confiance conjuguée à une aide financière a permis un renouveau de l’animation volontaire et de l’animation professionnelle.
Pourtant, le milieu associatif opérant dans le secteur de l'éducation populaire se plaint de moyens financiers qui s'amoindrissent. De même, beaucoup de jeunes, qu'ils soient en milieu urbain que rural, n'ont toujours pas accès à l'éducation populaire. Qu'est-ce qui est mis en œuvre pour atteindre ces publics isolés ?
Quand on augmente le budget des services civiques de plus de 20 millions d’euros cette année, c'est pour permettre aux associations de l'éducation populaire de pouvoir accueillir les jeunes.
Face à une transition numérique extrêmement rapide, je ne veux pas que demain, les enfants des classes populaires, des milieux plus ruraux ou issus de familles ayant un capital social ou culturel moins élevé soient privés des opportunités du monde digital.
Comment faites-vous pour pallier justement aux disparités entre les territoires ? Parce que si nous restons sur l’exemple du BAFA, on trouve des collectivités locales qui participent beaucoup, tandis que sur d'autres territoires, il y a un reste à charge énorme pour le jeune.
Vous avez, plus tôt dans cet entretien, abordé l’intelligence artificielle. Les récentes actualités concernant TikTok ont jeté la lumière sur l'emprise des algorithmes sur le psychisme des plus jeunes. On connaît déjà certaines conséquences néfastes comme le cyberharcèlement, l'adhésion aux théories du complot. La réalité est pourtant plus complexe puisque ces mêmes supports peuvent ouvrir à de nouvelles opportunités créatives et émancipatrices. Or, comme toujours, ce sont les jeunes des milieux les plus favorisés qui en ont plus facilement accès. Comment l'éducation populaire devrait-elle appréhender ces nouvelles réalités ? Quelle est votre exigence en matière d’égalité dans l’accès aux possibilités de la société numérique ?
Avec les associations d'éducation populaire, mais aussi avec les enseignants, il s'agit de donner les moyens aux jeunes en faisant de l’éducation au numérique. C'est la clé ! Parce qu'on n'a pas tous des parents à la maison qui sont en capacité de nous expliquer les conséquences des réseaux sociaux et des informations ou photos qu’on poste et qui peuvent être un obstacle au recrutement d’un jeune. Ou encore le lien entre ces plateformes et la diffusion des thèses complotistes.
J'estime donc que l'éducation populaire est parfaitement placée pour remplir ce rôle d'éducation pédagogique. C’est le cas des malles pédagogiques appelés « Désinfox » mises en place dans les MJC (Maisons des jeunes et de la culture) sur l'éducation aux médias. Face au problème de surexposition aux écrans, il faut accompagner les parents à tous les niveaux. Les parlementaires se sont saisis d'ailleurs jeudi dernier (30 mars, ndlr) de cette question (la séance était consacrée aux dérives sur les réseaux sociaux, ndlr).
Il est envisagé aujourd'hui d'intégrer des formations à des modules techniques. Je m'en réjouis parce que c'est une chance de pouvoir se dire que notre pays ne va pas laisser s'installer une nouvelle fracture, numérique, qui provoquera à la longue une sorte de société à deux vitesses. Il faut absolument éviter les situations de cyber harcèlement, de revenge porn, la divulgation d’informations personnelles. Cela passe inévitablement par l'éducation au numérique, l'éducation aux médias, mais aussi par l'accompagnement des parents.
Face à une transition numérique extrêmement rapide, je ne veux pas que demain, les enfants des classes populaires, des milieux plus ruraux ou issus de familles ayant un capital social ou culturel moins élevé soient privés des opportunités du monde digital.
L'intelligence artificielle, ou la blockchain, représentent des opportunités, à condition de savoir les utiliser. C’est un défi pour les mondes associatif et éducatif de faire de ces opportunités une chance pour tous.
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