Sarah El Haïry : « Je continue à travailler au déploiement du Service national universel »

Par Mohammed Colin, le 03/04/2023

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Élue à l’Assemblée nationale pour la première fois en 2017, Sarah El Haïry entre gouvernement Castex pour s’occuper des affaires de la Jeunesse et de l’Engagement en juin 2020. Elle se fait réélire à Nantes une seconde fois aux législatives de 2022 et se voit maintenue dans ses fonctions au sein du gouvernement Borne avec, en plus, le déploiement du Service national universel (SNU). Elle fut récemment chahutée à ce sujet par certaines organisations syndicales comme le syndicat lycéen FIDL ainsi que mise à l’épreuve par l’entrée d’une partie de la jeunesse dans le mouvement social opposée à la réforme des retraites. C’est avec une énergie intacte que la secrétaire d’État a accepté un grand entretien avec Saphirnews.


Vous avez mis beaucoup d'énergie à défendre la généralisation du SNU. Quelles sont vos réactions face à la décision du gouvernement de ne pas présenter ce mardi le SNU ?

Sarah El Haïry : La mission que m'a confié le Président de la République, c'est son déploiement. Le SNU doit être utile aux jeunes. La question, c'est comment on fait ?

Le prochain conseil des ministres aura à l’ordre du jour la loi de programmation militaire. Le service national universel n'étant pas un service militaire, il n’y a donc aucune raison de présenter le SNU dans ce texte-là.

Pourtant, ce fut bien annoncé en ce sens.

Sarah El Haïry : C'est une interprétation qui a créé beaucoup de débats et de commentaires. Mais le Service national universel a une réalité autonome et le texte de ce mardi est un texte qui prépare notre pays aux menaces nouvelles.

Ce n'est donc pas un abandon comme certains syndicats l'affirment ?

Sarah El Haïry : Absolument pas. Je passe mon temps à le rappeler : le Service national universel n’est pas un service militaire. Il n’a aucune vocation à l’être !

Même si l’armée est impliquée ?

Sarah El Haïry : Le centre de gravité du projet, c’est l’engagement des jeunes, sous toutes ses formes. Il y a des engagements militaires. Il y a des engagements civils, sous des formes variées. Le dispositif implique des instances militaires, mais pas seulement, loin de là, parce que je suis moi-même rattachée au ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et au ministère des Armées. La partie journée « défense et mémoire » et une partie des missions d'intérêt général relèvent de nos armées, mais pas le projet dans sa globalité.

C'est un projet transversal qui réunit le monde de l'éducation nationale, les mondes associatif et sportif, et le monde des réserves militaires et civiles. J'ai bien lu, comme vous, tous ces articles, mais ils ne sont fondés que sur des surinterprétations, et des amalgames.

Le premier frein du SNU, c'est que le projet n’est pas encore connu de tous et qu'il est parfois caricaturé.

Pas de recul ?

Sarah El Haïry : Je vous confirme que je continue à travailler au déploiement du Service national universel. Je poursuis des échanges avec tous les acteurs qui portent le SNU. Notre ambition, c'est de permettre à ce projet d’avoir du sens pour un maximum de jeunes.

Le SNU peine à être identifié. Il est perçu soit comme un objet militariste ou, à l’inverse, comme un objet gimmick. Que répondez-vous à ces critiques et comment comptez-vous convaincre ?

Sarah El Haïry : Ce sont effectivement des caricatures du SNU. Le service national universel est quelque chose de nouveau dans notre modèle éducatif et citoyen. C'est une étape forte du parcours de citoyenneté. C'est un temps civique qui offre un bagage républicain. Avec la levée de drapeau, accompagné du chant de la Marseillaise, certains lui attribuent un caractère militaire. C’est une confusion réductrice. Le patriotisme nous appartient, à tous !

C’est aussi un temps qui permet de découvrir l’engagement sous toutes ses formes. Je pense aux luttes contre les discriminations ou au développement des questions environnementales. Je songe également à l'éducation aux médias, tout cela dans une forme qui reste complémentaire avec l'école puisque l'objectif, c'est que ces apprentissages, qui sont des apprentissages citoyens, puissent se faire avec des jeunes qui viennent de territoires différents : ruraux, urbains, métropolitain, ultramarins.

Les jeunes ultramarins seront-ils accueillis en métropole ?

Sarah El Haïry : Cette année, la crise sanitaire terminée, nous allons pouvoir recevoir des jeunes ultramarins en métropole et des jeunes métropolitains iront faire le SNU en outre-mer. C'est ça le service national universel !

En atteignant cette fois les 64 000 jeunes en 2023 ?

Sarah El Haïry : Notre objectif aujourd’hui est d’accueillir tous les jeunes qui veulent faire le SNU. Le premier frein, c'est que le projet n’est pas encore connu de tous et qu'il est parfois caricaturé. Le SNU représente un grand défi et doit être un temps de pédagogie active, complémentaire au temps de l'école. C'est aussi un temps de cohésion nationale dont nous avons besoin aujourd’hui.

Cette année, on retrouve d'ailleurs beaucoup d'élan puisqu’il y a plus de 100 % de jeunes inscrits par rapport aux objectifs fixés pour les séjours de juin et juillet. Ce succès est dû aux témoignages des jeunes dans leurs lycées mais aussi aux témoignage des parents autour d’eux.

Le test envisagé en 2024, sur six départements, du SNU généralisé est-il toujours d'actualité ?

Sarah El Haïry : C’est une hypothèse de travail. Il y en a d’autres à l’étude, par exemple d’intégrer le séjour de cohésion - qui est la première phase du SNU- sur le temps scolaire ; ou de garder le séjour de cohésion hors du temps scolaire. Ou encore de rester sur un séjour volontaire mais le proposer sur le temps scolaire dans certains territoires ou dans certaines classes… Bref, nous étudions plusieurs scénarios pour trouver la meilleure façon de le déployer car nous estimons que ce SNU est une chance pour les jeunes. En plus d’être gratuit pour eux, il est utile et offre à chacun les mêmes outils pour devenir les adultes engagés de demain dans un monde qui en a de plus en plus besoin.

Rien n’est encore arrêté ?

Sarah El Haïry : Non, en effet ! Ce sont des modèles qui sont toujours à l'étude. J'essaye de les affiner avec beaucoup de méthode et de consultation parce que je crois que l'intelligence collective sur un projet aussi ambitieux transformera la relation des jeunes à la société, à la France. Je prends donc le temps nécessaire. Sur un projet si ambitieux, on ne doit pas s’imposer de précipitation.

L'entrée des jeunes dans le mouvement social contre les retraites n'a-t-elle pas été un signal d'alarme pour le gouvernement ?

Sarah El Haïry : On écoutera toujours les revendications, les demandes de mobilisations des jeunes et des moins jeunes d'ailleurs. Mais la jeunesse est multiple ; il ne faut pas la mettre dans une case ou la caricaturer. Je discute avec les organisations syndicales, les organisations de jeunesse, les associations qui représentent les lycéens, des jeunes alternants, des jeunes entrepreneurs, des jeunes engagés dans le monde associatif, des jeunes sapeurs-pompiers, etc. Ma mission est de construire un projet de bien commun pour ces jeunes-là dans leurs différences et dans leur diversité.

Je crois que l'échange et le dialogue sont les chemins nécessaires à l'apaisement d'abord, mais aussi pour construire.

Ma mission, c'est d’inciter les jeunes à prendre pleinement leur place dans la construction démocratique.

Si on se réfère aux dernières élections présidentielles, Emmanuel Macron est arrivé en 3e position chez les moins de 34 ans. Il y a ce sentiment que le président n'a pas su encore parler à la jeunesse. Qu'en pensez-vous ?

Sarah El Haïry : Le grand vainqueur auprès des jeunes, c'est l'abstention. Ma mission, c'est d’inciter les jeunes à prendre pleinement leur place dans la construction démocratique. Il ne peut pas y avoir une bonne santé démocratique dans un pays où les jeunes citoyens ne s'expriment pas dans les urnes ou, pire encore, imaginent que voter ne sert à rien. J'entends des jeunes qui me disent « Aujourd'hui, je ne suis pas content de l’offre politique ». Je leur dis : d’accord, alors accompagnez, construisez, peut-être même présentez-vous (à des élections). La démocratie appartient à tous ; et surtout ne laissez pas les autres choisir pour vous. Et quand je dis les autres, ce sont les mouvements parfois les plus extrêmes parce que ce sont eux qui mobilisent une partie de la jeunesse.

Nous savons que vous réfutez l’expression de « génération sacrifiée », mais avez-vous un regard spécifique sur cette tranche d'âge qui a connu un certain nombre d'épreuves comme les attentats de la précédente décennie, la crise sanitaire et leurs conséquences, les enjeux climatiques. Est-ce que vos politiques publiques en direction des jeunesses de France tiennent compte de cet aspect ?

Sarah El Haïry : Cette génération fait face à beaucoup d’épreuves : la crise du Covid et ses conséquences, le retour de la guerre en Europe, la montée de partis extrêmes autour de nous. C’est aussi une génération qui a connu le terrorisme, qui vit au milieu des fake news et des théories complotistes. S’ajoute à cela une planète en pleine transition environnementale. Et aussi un manque de visibilité sur le marché du travail avec une arrivée de métiers nouveaux dans un contexte de transformation profonde due à l’intelligence artificielle.

Dans un monde avec autant de transitions, se construire n’est pas si simple. Mais la jeunesse s’est montrée très engagée et a su se mobiliser. Il suffit de songer à tous ces jeunes qui ont rejoint des associations ou les réserves civiques. Pour le projet « Je m'engage », plus de la moitié des 300 000 personnes inscrites avaient moins de 30 ans. Cela veut bien dire que notre jeunesse est là, au rendez-vous, quand il y a des coups durs. Il faut donc être à ses côtés.

Et concrètement, comment accompagnez-vous ces jeunesses ?

Sarah El Haïry : Nous avons, entre autres, à l’initiative de la Première ministre lorsqu’elle était ministre du Travail, créé la plateforme « 1 jeune, 1 solution », avec quatre millions de jeunes qui ont pu en bénéficier. Une jeunesse a pu aussi bénéficier de cette énorme ambition que nous avons pour l'alternance avec plus de 800 000 jeunes concernés ! Pour les jeunes en situation de décrochage, nous avons proposé le CEJ (contrat d'engagement jeune) bénéficiant à 300 000 jeunes. On a ouvert la culture avec la création du Pass Culture. Tous les jeunes de notre pays âgés de 18 ans ont accès à ce dispositif.

Dans un monde avec autant de transitions, se construire n’est pas si simple. Mais la jeunesse s’est montrée très engagée et a su se mobiliser.

Mais que faites-vous pour les jeunes en situation de précarité ?

Sarah El Haïry : Bien sûr, je ne ferme pas les yeux sur la partie de notre jeunesse qui rencontre des difficultés économiques. C'est pour cette raison que nous avons mené la réforme des bourses. Nous ajoutons 500 millions d’euros et 140 000 boursiers passent à l'échelon supérieur. Sans parler des repas à 1 euro qui sont maintenus pour l'ensemble des jeunes en difficulté ou qui sont boursiers, la revalorisation des APL (800 000 jeunes), la gratuité des protections menstruelles pour les femmes et les jeunes filles ou la gratuité des préservatifs... Bref, on ne peut pas dire que rien ne se fait pour la jeunesse.

Par contre, est-ce qu'il y a une baguette magique ? Non, parce que les jeunes ont des aspirations différentes, ils ont des espoirs qui sont différents et il faut écouter chacun d'eux. Je crois que ceux qui adoptent des discours simplistes ne se soucient pas des jeunes.

Après une baisse continue depuis 2016 des BAFA délivrés, vous constatez une hausse importante que votre ministère a estimé à 37 % pour l'année 2022. Comment expliquez-vous cette inversion de tendance ?

Sarah El Haïry : C'est l’une de mes plus grandes joies ! Le BAFA est un premier brevet qui permet à des jeunes d'accompagner des colonies de vacances, de s'engager dans les centres aérés, parfois, de découvrir une autre forme d'engagement. C'est absolument génial parce que c'est celle de l'éducation populaire et du monde associatif.

Effectivement, le nombre de titulaires de BAFA baissait ces dernières années. Nous avons décidé d’octroyer une aide financière exceptionnelle de 200 € qui a pu bénéficier à plus de 27 000 jeunes. De plus, l’âge minimal a été abaissé à 16 ans. Cette confiance conjuguée à une aide financière a permis un renouveau de l’animation volontaire et de l’animation professionnelle.

Pourtant, le milieu associatif opérant dans le secteur de l'éducation populaire se plaint de moyens financiers qui s'amoindrissent. De même, beaucoup de jeunes, qu'ils soient en milieu urbain que rural, n'ont toujours pas accès à l'éducation populaire. Qu'est-ce qui est mis en œuvre pour atteindre ces publics isolés ?

Sarah El Haïry : Beaucoup de choses en réalité. Je vous cite par exemple le dispositif « Colos apprenantes », un programme de plus de 40 millions d’euros que j'ai renouvelé cette année et qui va permettre à des jeunes et des adolescents de partir en colonie.

Quand on augmente le budget des services civiques de plus de 20 millions d’euros cette année, c'est pour permettre aux associations de l'éducation populaire de pouvoir accueillir les jeunes.

Face à une transition numérique extrêmement rapide, je ne veux pas que demain, les enfants des classes populaires, des milieux plus ruraux ou issus de familles ayant un capital social ou culturel moins élevé soient privés des opportunités du monde digital.

Comment faites-vous pour pallier justement aux disparités entre les territoires ? Parce que si nous restons sur l’exemple du BAFA, on trouve des collectivités locales qui participent beaucoup, tandis que sur d'autres territoires, il y a un reste à charge énorme pour le jeune.

Sarah El Haïry : C'est vrai et pour ne pas avoir de rupture d'égalité, je sensibilise les associations d'élus locaux pour leur dire à quel point le BAFA est une chance pour leurs jeunes. Je les invite à suivre et à accompagner les engagements de l'État. Aujourd'hui, un jeune qui veut passer le BAFA peut prétendre à une aide de la CAF de 183 €. Il y a aussi cette aide exceptionnelle de 100 € pour les jeunes en service civique qui a été mise en place et que je compte renouveler.

Vous avez, plus tôt dans cet entretien, abordé l’intelligence artificielle. Les récentes actualités concernant TikTok ont jeté la lumière sur l'emprise des algorithmes sur le psychisme des plus jeunes. On connaît déjà certaines conséquences néfastes comme le cyberharcèlement, l'adhésion aux théories du complot. La réalité est pourtant plus complexe puisque ces mêmes supports peuvent ouvrir à de nouvelles opportunités créatives et émancipatrices. Or, comme toujours, ce sont les jeunes des milieux les plus favorisés qui en ont plus facilement accès. Comment l'éducation populaire devrait-elle appréhender ces nouvelles réalités ? Quelle est votre exigence en matière d’égalité dans l’accès aux possibilités de la société numérique ?

Sarah El Haïry : Le numérique est un outil et des opportunités si on sait l'utiliser. Mais si nous le subissons alors la fracture qu'il laissera demain sera encore plus forte que la fracture territoriale que nous avons connue. S’il est mal maitrisé, il éloigne, isole, et cela peut devenir dramatique.

Avec les associations d'éducation populaire, mais aussi avec les enseignants, il s'agit de donner les moyens aux jeunes en faisant de l’éducation au numérique. C'est la clé ! Parce qu'on n'a pas tous des parents à la maison qui sont en capacité de nous expliquer les conséquences des réseaux sociaux et des informations ou photos qu’on poste et qui peuvent être un obstacle au recrutement d’un jeune. Ou encore le lien entre ces plateformes et la diffusion des thèses complotistes.

J'estime donc que l'éducation populaire est parfaitement placée pour remplir ce rôle d'éducation pédagogique. C’est le cas des malles pédagogiques appelés « Désinfox » mises en place dans les MJC (Maisons des jeunes et de la culture) sur l'éducation aux médias. Face au problème de surexposition aux écrans, il faut accompagner les parents à tous les niveaux. Les parlementaires se sont saisis d'ailleurs jeudi dernier (30 mars, ndlr) de cette question (la séance était consacrée aux dérives sur les réseaux sociaux, ndlr).

Il est envisagé aujourd'hui d'intégrer des formations à des modules techniques. Je m'en réjouis parce que c'est une chance de pouvoir se dire que notre pays ne va pas laisser s'installer une nouvelle fracture, numérique, qui provoquera à la longue une sorte de société à deux vitesses. Il faut absolument éviter les situations de cyber harcèlement, de revenge porn, la divulgation d’informations personnelles. Cela passe inévitablement par l'éducation au numérique, l'éducation aux médias, mais aussi par l'accompagnement des parents.

Face à une transition numérique extrêmement rapide, je ne veux pas que demain, les enfants des classes populaires, des milieux plus ruraux ou issus de familles ayant un capital social ou culturel moins élevé soient privés des opportunités du monde digital.

L'intelligence artificielle, ou la blockchain, représentent des opportunités, à condition de savoir les utiliser. C’est un défi pour les mondes associatif et éducatif de faire de ces opportunités une chance pour tous.

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