C’est dans une brasserie parisienne, tout près des Invalides, que nous rencontrons Geneviève Delrue qui nous avait proposé au départ, et comme à son accoutumée, de faire cet entretien en toute simplicité en plein air. L’écrasante chaleur estivale qui nous accablait ce jour du mois de juillet dernier en avait décidé autrement. A l’occasion de son départ en retraite, du moins pour sa carrière de journaliste à RFI, c’est l’opportunité pour Saphirnews de retracer le parcours d’une journaliste d’exception, pionnière sur l’information du fait religieux, puisqu’elle est à l’origine de l’incontournable émission « Religions du monde », créée en 1993 et désormais reprise en main par Véronique Gaymard. Cela dit, notre consœur reste assez occupée puisqu’elle préside l’Association des journalistes d’information sur les religions (AJIR) et apparient au jury du prix « Religions-Jeunes journalistes ». Geneviève Delrue a ce don – admirable – de mettre à l’aise ses interlocuteurs de sorte à faire tomber les éventuelles distances tout en conservant les marques de l’élégance. Cela donne un tutoiement sans familiarité déplacée que nous allons conserver pour le plaisir de nos lecteurs afin qu'ils découvrent le parcours de celle qui dit avoir débuté sa carrière dans les profondeurs de la terre pour s'élever au ciel !
Mohammed Colin : Quelle a été ta formation initiale avant ton entrée dans le journalisme ?
Des études de géographie par vocation ?
Ce qui est donc extraordinaire, c’est cette conjonction qui est arrivée avec RFI à travers cette émission Religions du monde dans laquelle il est question de relations internationales, de questions métaphysique tout en recoupant d’innombrables d’autres domaines. Je ne me doutais absolument pas de l’amplitude et de la diversité des sujets car je pensais, en postulant à ce poste, que le domaine allait être, au contraire, un univers bien délimité, d’autant plus qu’au départ, c’était une toute petite émission. Ce qui m’arrangeait bien car je venais du service Société et Reportages où des sujets totalement différents les uns des autres s’enchainaient : un jour, c’est la grève des infirmières, le lendemain, les revendications d’augmentation de salaires dans la fonction publique… A vrai dire, j’étais lasse de tout ça, d’autant plus que je venais d’avoir ma fille. Quand tu as un enfant, tu es encore plus portée à te poser des questions de sens et des sujets de transmission.
Tout ça est donc arrivé à un moment où cette rubrique se libère. Et au final, sans que tout cela soit prémédité, elle va répondre à énormément d’inspirations et va solliciter ma formation de géographe. De plus, quand tu fais de la géographie, tu fais également de l’histoire. Il y a eu en quelque sorte une fabuleuse intersection entre ma formation et mes centres d’intérêt.
Mais comment tombes-tu dans le journalisme ?
Les coïncidences de la vie ont fait qu’un jour que je terminais ma maitrise de géographie urbaine consacrée aux passages couverts de Paris, sur l’itinéraire qui m’amenait à un rendez-vous avec une personne, je tombe sur une librairie spécialisée sur l’architecture et l’urbanisme. Forcément, j’y entre d’autant que mon rendez-vous avait du retard. Je découvre un livre sur les passages couverts en allemand que j'achète aussitôt. Mais ce qui est incroyable, c'est que je m’aperçois que la librairie appartient à un groupe de presse dont le siège était situé au second étage, les Editions du Moniteur qui était une entité du groupe Havas. Il éditait plusieurs titres dont Carrières et Matériaux, Construction Afrique, Le Nouvel Economiste, et surtout Le moniteur des travaux publics et du bâtiment et L’Usine Nouvelle.
Je demande à la vendeuse, en lui disant que je terminais ma maitrise de géographie, s’il n’y a pas de poste vacant dans l’édition ou le journalisme. Ça tombe bien, elle me dit qu’elle va prochainement occuper le poste d’attaché de presse et je comprends qu’elle était à ce poste juste provisoirement mais qu’elle avait déjà eu des expériences professionnelles dans le domaine des RP (relations publiques). Le groupe, pour elle, est une véritable opportunité pour évoluer dans sa carrière, ce qui sera exactement la même chose pour moi. A l’époque, cela fonctionnait comme cela. Sans hésitation, elle me file le numéro d’un contact. Je lui dit être intéressée par le poste de vendeuse qui va devenir vacant, avec comme arrière idée de trouver une opportunité dans le journalisme au sein du groupe. Je suivais des cours du soir au CPJ (Centre de formation des journalistes, ndlr) où j’apprenais le secrétariat de rédaction.
Après cela, j'ai travaillé dans un premier magazine, Carrières et Matériaux, où j’ai vraiment appris le métier. C’était en 1981, j’avais 26 ans ! C’est un domaine très masculin et surtout très technique. (…) Je me rendais même à l’imprimeur à une époque où il y avait encore de nombreux ouvriers du livre. J’ai appris le métier dans ce groupe. Avec des sujets du type comment transformer une carrière en base de loisirs, etc. Le magazine va disparaître et on va me mettre sur Construction Afrique, revue destinée à des investisseurs sur le continent africain. Du coup, le volet économique m’a souvent amené à fréquenter la documentation du Nouvel Economiste qui se trouvait à côté de la librairie. Le mari d’une des employées travaillait à cette époque à RFI, qui recherchait une secrétaire de rédaction pour son édition écrite. Car figurez-vous, RFI avait un service nommé MFI (Média France Intercontinent), une agence de presse propre à la radio.
Tu entres donc à la radio par la partie écrite ?
On imagine que le service était payant ?
La coopération, ce fut toute une époque !
Je suis restée deux ans (à MFI) où j’ai beaucoup appris. Car c’est une ouverture au monde, sans parler de l’ouverture à la politique tout de même ! Cette agence traitait aussi la culture, le sport, elle est le reflet de ce qui se passait en France. Mais je suis une journaliste qui en a eu assez de l’écrit pour passer à la radio, donc à RFI. Un peu inquiète mais je me suis dit pourquoi pas.
Cela semble inimaginable aujourd’hui !
Et alors les premiers flashs ?
Une rubrique sur les religions, ce n’est pas anodin.
On m’a dit OK (pour passer à la rubrique Religions, ndlr) mais à condition que toutes les religions soient représentées. Cette condition n’a fait qu’accroître mon enthousiasme, même si l’émission ne durait que seulement 10 minutes.
Comment t’es venue alors le concept de ton émission ?
Quel a été ton premier grand reportage ?
Quel est le symbole ?
As-tu d’autres évènements historiques en tête ?
Moi, je dis souvent que c’est l’islam qui a sauvé l’information religieuse. Cette affirmation n’est pas gratuite. Je l’ai dit très tôt, au moment de l’affaire dite des foulards. Franchement, avec la sécularisation et la déchristianisation en cours, au moment où je reprends cette petite émission en 1993, ça ne se bousculait pas au portillon. L’information religieuse pâtissait d’une image ringarde.
Il faut quand même souligner que RFI est diffusée sur des territoires de cultures musulmanes. Elle a compris que la religion devenait un sujet politique et géopolitique, ce qui n’était pas le cas avant. Il y avait en plus en France l’enracinement de l’islam qui questionnait la société. RFI a donc compris très vite les enjeux, comparé par exemple à France Inter, et ce grâce à notre ADN international.
Justement, quand un attentat survient, que fais-tu éditorialement ?
Et là va commencer pour moi quelque chose de très intéressant qui, je l’espère, va continuer encore très longtemps ; j’ai vu toute l’évolution du travail sur l’islam. Les hebdomadaires vont se saisir de la question comme Le Point, L’Express... Avec de la bonne volonté souvent et de la pédagogie contrairement à ce que l’on peut croire en apparence. (…) Il y a une énorme production qui va peu à peu se libérer. Il y a des questions que je n’aurais pas posées à des interlocuteurs il y a 20 ans mais que je me permets de poser aujourd’hui. La question du Coran crée ou incréé par exemple. Parce que j’accompagne des chercheurs qui vont poser des questions qui étaient autrefois iconoclastes, voire interdites. C’est tout cela que je trouve passionnant.
Assistes-tu à une libération de la parole ?
Je n’ai pas accès à l’arabe alors qu’il y a de nombreux penseurs musulmans qui produisent dans cette langue, notamment dans le Proche-Orient contemporain. Je me nourris donc beaucoup d’éditeurs qui en font des synthèses ou des traductions. Je vais m'appuyer sur des Mohammed Arkoun, des Abdelwahab Meddeb. Hélas, il faut le dire, il y a eu beaucoup de morts. Mais j’ai fait de belles découvertes comme l’ex-imam d’Ivry, Mohamed Bajrafil, ou bien des femmes comme Hela Ouardi qui, même si elles peuvent être mises en cause, sont des femmes qui bossent ! J’ai donc des heures de lectures derrière moi.
Ce travail herméneutique rappelle-t-il celui entrepris par les catholiques ?
La quête n’est-elle pas de trouver une signification de foi avec les connaissances scientifiques du jour ?
Je comprends l’importance de ces travaux. Mais ce travail de déconstruction auxquels le croyant est confronté ouvre sur une phase de désenchantement, un véritable gouffre. Pour le croyant doté d’un véritable capital culturel peut aisément, selon son cheminement, renforcer sa foi. A condition bien entendu de ne pas être schizophrène. Mais qu’en est-il des millions de fidèles musulmans qui ont plutôt une foi dite du charbonnier ou du commerçant, réduite à une balance des mauvaises et bonnes actions ? Je pense à tous ces jeunes adolescents en quête de sens qui vont aller chercher des réponses souvent très archaïques chez cheikh Google.
As-tu des regrets au cours de ta carrière de journaliste ? Et maintenant que tu as un peu plus de temps libre, qu’aimerais-tu faire ?
J’ai tout plein de projets. Ce n’est peut-être qu’un rêve mais l’idée d’un café philo avec des musulmans me plairait énormément !