Islam et médias, une relation complexe au cœur d'un éternel débat

Par Lionel Lemonier, le 28/09/2022

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L’islam, les médias et le discours politique en France fut le sujet d'une des tables-rondes de l’université d’été de la Fédération de la Grande Mosquée de Paris. L’occasion pour des intervenants de constater l’amalgame très répandu entre islam et islamisme et de rappeler les différences de méthodes de travail entre les médias.

« Il n’y a pas de média indépendant dans le monde ! » Première à prendre la parole, l'écrivaine Samira Benturki Saïdi n’a pas manqué de couper le souffle de l’auditoire avec cet avis très tranché. « Il y a un discours politique derrière chaque média et la plupart sont des instruments d’influence au service d’un gouvernement. » Une position que n’a pas manqué de contester Etienne Gernelle, directeur du Point, invité à la table-ronde organisée dimanche 18 septembre à la Grande Mosquée de Paris et animée par la journaliste Geneviève Delrue. « Nous avons été fâché avec tous les présidents de la République depuis François Mitterrand. Le problème est ailleurs. Les médias ne s’intéressent pas vraiment aux religions. »

A part les marronniers classiques comme Noël ou, depuis plusieurs années, le Ramadan, le journaliste estime que les religions sont largement ignorées par les grands médias. Alors que Le Point dédie régulièrement ses Unes sur l’islamisme, il assure que son hebdomadaire « se comporte comme tout le monde. Regardez la façon dont cela se passe sur les réseaux sociaux : chacun a plutôt tendance à parler des choses qui ne fonctionnent pas et ne s’intéresse pas à celles qui n’engendrent pas de problème. Donc, nous abordons l’islamisme… »

Des Unes sur l’islam qui « constituent en soi de véritables armes de destruction massive du vivre ensemble »

« N’oublions pas deux choses, affirme, de son côté, Mohammed Colin, directeur de la publication de Saphirnews, qui rappelle la diversité – et la complexité – du fonctionnement de l'industrie médiatique. Les médias se divisent en quotidiens nationaux, hebdomadaires, mensuels, presse régionale, chaines télé, radios, chaines d’information continue… Tous ces médias ne fonctionnent pas de la même façon. A l’inverse, tous constituent une industrie qui doit générer suffisamment de revenus pour vivre. Il y a de la compétition entre eux et cela engendre chez certains des couvertures agressives et accrocheuses qui amalgament islam et islamisme et sont destinées à attirer des lecteurs potentiels. Fort heureusement, les quotidiens prennent généralement le temps d’enquêter et d’apporter de la nuance. »

Il apporte cependant un bémol pour les magazines d'actualité hebdomadaires qui ont tendance à consacrer des Unes sensationnalistes à l'islam en citant la thèse du chercheur Saddek Rabah, « L'islam dans le discours médiatique », qui avait mis en exergue le discours discriminant à travers un travail comparatif du Nouvel Observateur et de L'Express dans les années 1990. Même si le cofondateur de Saphirnews reconnaît que le discours à l'intérieur des hebdomadaires est aujourd'hui très nuancé, les Unes restent, en revanche, « très provocatrices et constituent en soi de véritables armes de destruction massive du vivre ensemble car beaucoup de passants sont exposés aux messages anxiogènes affichés sans prendre le temps de lire le contenu ».

L'amalgame entre islam et islamisme est-il le propre des extrêmes ?

« Certes, mais la plupart du temps, les chaines télé et radio parlent des musulmans sans les inviter à exposer leurs point de vue », réagit Karim Zéribi, ancien député européen et aujourd'hui chroniqueur à C8 et CNews à qui des reproches sont régulièrement faits sur le traitement de l'islam et des musulmans. « Les journalistes font de l’islam un truc dangereux. Pourquoi une femme voilée serait-elle porteuse d’islamisme ? Pourquoi en faire des tonnes sur la création de boucheries halal alors qu’elles répondent simplement à une demande des consommateurs dans certains quartiers ? »

« Les journalistes sont souvent fainéants, affirme le chroniqueur télé à l’accent marseillais. Ils questionnent toujours les mêmes représentants de l’islam. Il y a par exemple un imam qui parle mal le français mais qui est constamment invité. Mais qu’ils aillent chercher ceux qui savent, ceux qui peuvent citer les sourates et les remettre dans le contexte historique. » Et de tancer aussi la « communauté musulmane » qui doit « se réveiller et s’organiser » pour défendre une autre idée de l’islam.

Au cœur du débat, l’amalgame entre islam et islamisme a engendré un affrontement entre le directeur du Point et le chroniqueur adepte des coups de gueule. Le premier affirme que son hebdomadaire traite régulièrement de l’islamisme, pas de l’islam. Il n’hésite pas à renvoyer la responsabilité de la confusion à l’extrême droite et, surtout, à l’extrême gauche qui « ont assigné la place de lumpenprolétariat aux musulmans ». Un terme marxiste qui peut être traduit par « sous-prolétariat » qui renvoie à une catégorie de personnes très pauvres et peu instruites, susceptibles de s’enflammer aux discours des démagogues.

Pour Etienne Gernelle, les démagogues extrémistes (surtout de gauche) nourrissent la confusion pour engendrer le chaos… Karim Zéribi se contente alors de rappeler quelques couvertures de l’hebdomadaire. « Vous titrez par exemple "Le spectre islamiste" (en 2011, ndlr) que vous illustrez avec une photo de femme avec un voile. Pas une burqa, un voile. Vous renforcez la confusion et les doutes des Français envers l’islam au lieu de faire œuvre de pédagogie. Vous devriez donner la parole à des gens qui peuvent parler de l’islam de façon équilibrée. Et pourquoi n’évoquez-vous jamais le dialogue interreligieux ? » Un sujet qui, s'il est très régulièrement traité sur Saphirnews ou encore La Croix, ne suscite que peu d'intérêt aujourd'hui dans la presse.

Etre plus présents dans les médias ou créer un média musulman ?

Parmi les sujets évoqués figure l’analphabétisme des citoyens et particulièrement celui des jeunes vis-à-vis des médias. Sur ce point, Mohammed Colin souligne le manque de discernement des consommateurs d’information entre ce qui relève du vrai et des « on-dit ».

« Une "information" échangée sur Twitter ou sur Facebook a la même valeur que celle présentée dans un article de presse. Il faudrait que l'école éduque les citoyens sur le travail des journalistes pour combattre les rumeurs et autres "fake news" colportées par les réseaux sociaux. » « Le citoyen peut reprendre le pouvoir avec son bulletin électoral mais aussi par ses choix de consommation. Il en est de même avec la manière de s'informer. Est-ce que l'on veut de l'info spectacle ou bien de l'information qui apporte du sens ? », poursuit Mohammed Colin

Dans l’auditoire, certains ne sont pas loin de penser que la création d'une radio M serait la solution pour donner de la visibilité à des actions initiées par les musulmans, à l'instar de Radio J qui se veut « la première radio juive de France ». Un point de vue qui fait réagir Karim Zéribi, adepte de la confrontation avec ceux qui pratiquent l’amalgame. « Il faut plutôt être présent sur les médias de droit commun pour être plus visible et plus percutant. Il faut s’organiser sur le plan communautaire pour que des gens vraiment représentatifs soient invités dans les médias. Mais en évitant tout communautarisme. » Un débat auquel assistent et prennent part les fondateurs de Saphirnews depuis deux décennies – non sans avoir un avis traduisant la complexité de la situation – et qui est loin d'être tranché pour tous.

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