Suicide assisté, euthanasie : le nouveau « modèle français de fin de vie » prôné par Macron inquiète les cultes

Par Hanan Ben Rhouma, le 13/03/2024

PENDANT LE RAMADAN, SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !

Emmanuel Macron prend aujourd'hui très clairement position en faveur de l'instauration en France d'une « aide à mourir ». Si le chef de l'Etat refuse d'employer les termes « suicide assisté » et « euthanasie », le projet de loi qu'il présente ouvre bien la voie à une légalisation de ces pratiques, « sous certaines conditions strictes ».

La prise de parole d’Emmanuel Macron sur la fin de vie était attendue. Le chef de l’Etat s’est exprimé, dimanche 10 mars, sur ce sujet hautement sensible en se prononçant très clairement en faveur de l’aide à mourir. « Avec ce texte, on regarde la mort en face », a-t-il affirmé dans un entretien accordé conjointement à La Croix et Libération, présentant la loi qu’il souhaite voir adopter comme « une loi de fraternité ».

« Le terme que nous avons retenu est celui d’aide à mourir parce qu’il est simple et humain et qu’il définit bien ce dont il s’agit. Le terme d’euthanasie désigne le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un, avec ou même sans son consentement, ce qui n’est évidemment pas le cas ici. Ce n’est pas non plus un suicide assisté qui correspond au choix libre et inconditionnel d’une personne de disposer de sa vie », a-t-il expliqué. Le projet de loi ne fait donc référence ni à l’euthanasie ni au suicide assisté mais le chemin sur lequel s’engage l’exécutif pourrait bel et bien mener vers une légalisation de ces pratiques.

Une aide à mourir ouverte à quatre conditions

L’aide à mourir sera assortie de « certaines conditions strictes » au nombre de quatre. Elle sera réservée aux personnes majeures, capables d’un discernement plein et entier, « ce qui signifie que l’on exclut de cette aide à mourir les patients atteints de maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer », avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé à court ou à moyen terme, avoir des souffrances physiques ou psychologiques réfractaires, à savoir « que l’on ne peut pas soulager ». Des critères qui rejoignent ceux qui avaient été exposés par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) dans son avis rendu en septembre 2022.

« Si tous ces critères sont réunis, s’ouvre alors la possibilité pour la personne de demander à pouvoir être aidée afin de mourir. Ensuite, il revient à une équipe médicale de décider, collégialement et en transparence, quelle suite elle donne à cette demande », a expliqué Emmanuel Macron. Si l'avis est favorable, une prescription, valable trois mois, d'une substance létale sera délivrée au patient. Ce dernier pourra alors absorber lui-même le produit ou bien, lorsqu'il est dans l'incapacité physique de le faire, demander à un médecin ou une personne volontaire qu'il aura désigné que la substance lui soit délivrée.

En parallèle, le président entend aussi, avec le projet de loi, « remettre les soins palliatifs au cœur de l’accompagnement ». La présentation d’une stratégie décennale de développement des soins palliatifs est promise pour le mois de mars et il est attendu tant ce chantier est urgent aux yeux de nombreux professionnels de santé, aidants et aumôniers.

Une « loi de rassemblement » qui suscite la désapprobation des cultes

Le président a promis que le projet de loi, qui arrive près d’un an après les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, « arrivera sur la table du conseil des ministres en avril, pour une première lecture en mai », avant les élections européennes en juin. Dans l’espoir, déclare Emmanuel Macron, qu’il s’agira d’une « loi de rassemblement ».

Mais le nouveau « modèle français de fin de vie » proposé par le gouvernement – qui « ne dit pas que chacun peut disposer de sa vie en demandant une assistance automatique au corps médical », assure le président – suscite d’ores et déjà l’opposition de plusieurs responsables des cultes, assurément réfractaires à toute légalisation d’une aide active à mourir. Pour Mgr de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France (CEF), « appeler "loi de fraternité" un texte qui ouvre le suicide assisté et l’euthanasie est une tromperie ».

« Ce qui est annoncé ne conduit pas notre pays vers plus de vie, mais vers la mort comme solution à la vie », a martelé auprès de La Croix l’archevêque de Reims, qui plaide pour le développement des soins palliatifs. « Les Français n’envisageraient pas de la même manière la fin de vie si les soins palliatifs étaient chez nous une réalité pour tous partout, comme le voulait la loi dès 1999. Ces derniers temps, non seulement rien n’a été fait pour apporter des soins palliatifs là où il n’y en a pas, mais les moyens de plusieurs services existants ont été réduits encore. C’est cela la vérité. »

Les propos du président ont suscité une réaction plus nuancée de la part du grand rabbin de France, Haïm Korsia. « On ne peut pas dire que je soutiens (le projet de loi). Mon opinion a toujours été que la loi Claeys-Léonetti suffisait, et qu'elle pouvait s'appliquer. On n'a pas besoin de faire une nouvelle loi pour englober les cas limites, susceptibles d'être déjà traités dans le cadre législatif existant. Mais le président ne propose pas de process nouveau. On n'est pas dans le temps de l'euthanasie, c'est l'essentiel », a-t-il affirmé au Point.

L’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), très critique de la position prise par les leaders religieux en matière de fin de vie, salue la prise de parole présidentielle mais reste prudente. « Enfin, la France sort de la valse-hésitation de ces derniers mois et les Français voient se profiler une possible loi de liberté ultime », a-t-elle fait savoir. « A ce stade, le texte – tel que le Président en a dessiné les contours – n’est pas celui qui permettra de répondre le plus parfaitement aux demandes légitimes des personnes en fin de vie. Il n’est pas le texte porté par les militants du droit de mourir dans la dignité. Mais il est, assurément, une première étape. »

Une première étape que ne veulent pas voir franchir les cultes. Le projet de loi comporte encore « énormément d’ambiguïtés » qui sont de nature à inquiéter, a déclaré à l'AFP le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, pour qui « parler d’aide à mourir, c’est hideux ». Au regard des déclarations présidentielles, « l’aide à mourir est d’emblée envisagée comme un possible lorsque la détresse d’un malade dans des situations très cadrées ne permet plus de supporter la souffrance. De fait, la possibilité du don de la mort apparait comme première ; le développement d’une culture palliative seconde, voire secondaire ! », a réagi la Fédération protestante de France (FPF), qui appelle à disposer dès que possible du projet de loi afin de préparer « un plaidoyer à l’intention des parlementaires afin de nourrir leurs débats, notamment en relevant les limites du projet de loi, les points d’accord, de vigilance et de désaccords ».

Lire aussi :
Fin de vie : apporter un soutien spirituel, cultuel et humain au patient et sa famille plutôt que d'opter pour l’euthanasie
Les soins palliatifs : une réponse humaine et spirituelle à la fin de vie
Préserver la vie et apaiser les souffrances : une contribution musulmane dans le débat sur l'aide active à mourir
Fin de vie : les responsables de culte en France réitèrent leur opposition à l'euthanasie, l'ADMD réagit
Vœux de Macron aux cultes : la fin de vie au cœur des préoccupations
Fin de vie : responsables religieux et médecins manifestent leurs craintes à Sciences Po
Fin de vie : « L’aide active à mourir crée une brèche dangereuse et irréversible dans l’interdit de donner la mort »
Euthanasie : le débat sur l’aide active à mourir relancé en France, le Comité d'éthique s’exprime