Fahima : « J’ai voulu le réparer mais ses vieux démons nous traquent »

Par Lalla Chams En Nour, le 31/05/2022

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Je vous écris car je suis dans une impasse. Je suis avec mon mari depuis 11 ans. Nous avons quatre enfants dont un en bas âge. Mon époux est une personne au passé lourd et compliqué dont le comportement aujourd'hui en est impacté.

Abandonné par sa mère et son père à l'âge de 4 ans, il a été confié à sa tante qui l'a élevé à l'étranger dans un contexte de manque affectif et d'insécurité. Il a été livré à lui-même à 16 ans dans la rue. A l'âge de 29 ans, il a perdu en l'espace de deux années trois membres de sa famille : sa petite sœur de 9 ans avec qui il voulait créer un lien qu'il n'a pas eu quand il était jeune, son petit frère de 17 ans qu'il voulait protéger et son père à qui il avait pardonné.

Je l'ai rencontré dans la foulée : écorché, blessé, en colère, en rébellion et tellement triste. J'ai voulu l'apaiser, l'aimer, « le réparer ». Dans ce temps, sa vie était un savant mélange de déséquilibre financier, de bazar administratif et de débauche relationnelle. Malgré tout, j'ai aimé cet homme pour ses failles, pour ce qu'il me faisait ressentir.

Aujourd'hui, ses vieux démons nous traquent. Je n'ai pas réussi à lui apporter cette sérénité et cette paix intérieure. J'ai toujours su ou plutôt je me suis toujours doutée qu'il voyait d'autres femmes mais je n'ai pas enquêté. C'était une intuition que je n'ai jamais rendue réelle. Mais la vérité s’est imposée à moi. Probablement par la volonté d'Allah.

Je sais de source certaine qu'il a rencontré à plusieurs reprises des femmes, de multiples femmes pour des ébats sexuels. Il les a fait venir chez nous, dans notre foyer, en mon absence. J'en suis malade, je suis brisée. J'ai tout donné à cet homme et j'ai fait l'autruche tellement d'années que je m'en sens coupable aussi.

En ce moment même, il me supplie de lui pardonner, de ne pas mettre fin à notre mariage, de lui donner une seconde chance. Il voudrait essayer d'être l'homme que j'ai toujours attendu de lui. Mais je doute qu'il y arrivera.

C'est tellement d'années de vie dans cette débauche, c'est tellement de temps passé à mentir, à tromper… Je ne pense pas avoir la force de lui pardonner. Je ne suis pas capable de faire taire toutes ces voix en moi qui le questionnent sans cesse. Je n'arrive pas à évacuer ces visions d'horreur de mon mari avec « elle » et elles dans notre foyer. C'est irréel. Je ne suis même pas en colère contre lui, je suis juste brisée et j'ai mal partout…

Je ne veux pas en parler à ma famille, je ne veux pas être jugée, je ne veux pas qu'il soit jugé. Je ne veux pas le salir davantage, c'est le père de mes enfants. Mais je suis perdue, seule dans ce panier plein d'épines. Pourriez-vous m'aider, m'apporter des pistes de réflexion ? Des étapes que je pourrais franchir pour aller mieux, moi déjà, avant d'entamer toute réflexion sur l'avenir ou pas de ce mariage ?

Lalla Chams En Nour, psychanalyste

Chère Fahima,

Rude coup de la vie, je vous l’accorde. Un passage délicat. Revenons à vos premiers propos : vous avez entrepris de le « sauver ». Sans doute est-ce dans votre caractère, ou à cause des circonstances de votre enfance, vous avez courageusement accepté d’épouser cet homme cabossé par la vie, donc fragile. Mais peut-être avez-vous fait preuve de naïveté : on ne change pas l’autre si l’autre n’est pas engagé dans un désir de changement. Le boulot, dans ce domaine, c’est chacun pour soi. Chacun doit apprendre à se connaître, à repérer ses failles, ses faiblesses et ses forces aussi, bien sûr. Seulement sachez que lorsqu’on travaille courageusement sur soi, ce que le Prophète Muhammad appelle le « grand jihad », c’est tout l’entourage qui ensuite en récolte les fruits.

Une fois mariée, vous dites que vous avez fait « l’autruche », vous n’avez pas cherché à voir, ni à comprendre. Pourquoi ? Il y a de nombreuses questions à se poser : la parole circulait-elle fluidement entre vous ? La sexualité de votre couple était-elle épanouie ? Assez libre ?

N’avez-vous pas fait confiance aveuglément à une personne qui aurait besoin elle aussi de se remettre en cause ? Il y a un manque de respect certain dans son attitude. Vous devez discuter ensemble, pourquoi pas consulter un professionnel, un thérapeute de couple qui pourrait vous aider à établir de nouvelles bases entre vous. Je trouve que vous avez bien raison de ne pas vouloir en parler à la famille : à vous deux de résoudre cette épreuve.


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