Penser la radicalisation djihadiste pour mieux la comprendre, avec Elyamine Settoul

Par Lionel Lemonier, le 27/01/2023

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Reçu à Saphirnews

L’ouvrage publié par Elyamine Settoul dans la collection Questions judiciaires des PUF, « Penser la radicalisation djihadiste », combine rigueur académique et travail de terrain et présente une somme d’informations et d’analyses indispensables pour qui veut comprendre un phénomène extrêmement complexe en évitant le piège des raccourcis et des aprioris.

Penser la radicalisation djihadiste est un ouvrage sérieux qui ambitionne de décortiquer un phénomène complexe avec pédagogie. Son auteur, Elyamine Settoul, spécialiste des phénomènes de radicalisation, « propose une nouvelle manière d’aborder ce processus d’adoption de la violence comme mode d’action politique. Il suggère que les dynamiques protéiformes (qui le rendent possible, ndlr) doivent être avant tout éclairées par un décryptage poussé des modalités de l’engagement », explique Marc Sageman, spécialiste de la violence politique, dans la préface.

Parmi les multiples informations fournies, l’auteur clarifie les concepts de « radicalisation », de « djihadisme » ou encore de « salafisme » que les responsables politiques et les commentateurs emploient souvent à tort et à travers. « La finalité de cet ouvrage est d’offrir une vision synthétique des débats aussi bien scientifiques que profanes, relatifs à l’épineuse question de la radicalisation djihadiste aujourd’hui, explique l’auteur dans son introduction. La massification et la diversification sociologique des profils de djihadistes (…) nous impose d’élargir le champ de la réflexion et de rompre de manière définitive avec les approches théoriques monocausales qui ont trop dominé le débat académique français depuis presque une décennie. »

Replacer le phénomène djihadiste dans son contexte géopolitique

Elyamine Settoul a divisé son livre en six chapitres qui éclairent « chacun une dimension théorique ou pratique de la thématique de la radicalisation djihadiste ». Le premier présente les théories explicatives forgées ces dernières années et restitue les principales controverses académiques autour de ce concept. Le second replace le phénomène dans son contexte géopolitique et présente plusieurs courants religieux (salafisme, wahhabisme) et leurs liens avec le jihadisme. Le troisième décrit la diversité des motivations, des trajectoires sociales et du recrutement des dizaines de milliers de personnes d’une centaine de pays différents qui ont rejoint les rangs de Daesh.

Le quatrième chapitre aborde les différentes analyses théoriques expliquant l’engagement jihadiste. Cinq types de motivations sont abordés : la dévotion, l’émotion, la politisation, la manipulation et la pulsion, de manière à mettre en lumière toute la complexité du phénomène. Le cinquième chapitre traite des relations entre les djihadistes et l’armée. D’abord parce que les porteurs d’uniformes ont toujours été ciblés par les jihadistes, en tant que bras armé de puissances dominatrices « impies ». Et ensuite parce que « les analyses sociologiques relatives à l’engagement militaire fournissent des outils conceptuels pour saisir l’univers mental et les attentes spécifiques de certains pans de la jeunesse attirés par l’idéologie djihadiste ». L’auteur fait ainsi apparaitre que l’armée et les djihadistes ont la même fascination pour les activités valorisant la virilité, la force et la cohésion.

La radicalité favorisée par les dysfonctionnement de la société occidentale

Enfin, le sixième chapitre s’intéresse aux diverses manières de répondre au problème de la part de la puissance publique. On retrouve là des faits et des analyses déjà abordées dans l’ouvrage de chercheurs du CNRS intitulé « Politiques de lutte contre la radicalisation », et publié en septembre 2022.

Sont décrits les tâtonnements des responsables politiques et de la sécurité, confrontés à un phénomène qu’ils ne comprennent pas, la gestion des détenus radicalisés, celle des « revenants » de l’organisation Etat islamique ou encore les notions de désengagement et de déradicalisation déjà abordées par les chercheurs du CNRS.

Dans sa conclusion, l’auteur souligne, entre autres, que les failles individuelles et les dysfonctionnements des sociétés occidentales ont favorisé l’explosion de la radicalité dite islamique : « Les cinq vecteurs du pentagone théorique de la djihadisation (dévotion, émotion, politisation, manipulation et pulsion) n’auraient sans doute pu atteindre un tel niveau d’efficacité sans l’importance des malaises identitaires et des frustrations qui affectent des pans entiers de notre jeunesse. »

Il serait naïf, précise-t-il, « de penser que la neutralisation militaire de l’EI va mécaniquement assécher la demande d’identité et de radicalité exprimée par cette jeunesse. Si l’offre idéologique actuellement disponible n’est plus aussi séduisante qu’il y a quelques années, les conditions sociales qui ont contribué à fabriquer le "terreau des terros" demeurent résilientes et pour l’essentiel quasi intactes ». En découle une nécessité pour les pouvoirs publics, celle de s’attaquer, efficacement et en profondeur, aux fractures sociales et symboliques de notre société qui favorisent la rage d'un pan de la jeunesse.


Elyamine Settoul, Penser la radicalisation djihadiste : acteurs, théories, mutations, PUF, octobre 2022, 156 pages, 25 €