Isabelle Eberhardt, toujours plus loin vers l’islam : ses lettres aux trois hommes les plus aimés

Par Clara Murner, le 01/09/2023

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Que faire lorsqu’on a vingt ans, qu’on se sent incompris dans sa famille, son milieu, ses amis, qu’on est seul, loin d’un frère aimé, qu’on se morfond dans une demeure surveillée par des espions, en quête d’identité ? Ecrire, écrire, écrire.

Peu d’auteurs ont autant lié leur vie et leurs rêves à l’écriture qu’Isabelle Eberhardt, malgré des conditions à l’opposé de ce qu’on imagine pour pouvoir s’y consacrer. C’est au milieu des départs, des fugues, des chevauchées dans le désert, des nuits tumultueuses, de la fréquentation des bas-fonds, de la misère, des lits d’hôpital, des paillasses de fortune, et « la route, plus loin, toujours plus loin ! » que se construit peu à peu cette entreprise magistrale.

Quelle est l’explication de cette invraisemblable œuvre d’un étrange auteur, « objet de scandale et de ferveur » : Isabelle Eberhardt (1897-1904), née en Suisse d’une mère aristocrate russe devenue musulmane, de père inconnu, irrésistiblement attirée par le désert et par l’islam confrérique, au point d’endosser la personnalité d’un taleb en quête de science religieuse, et fascinée par « le charme spécial de l’islam », « la plus belle religion du monde », qu’elle adopte avec enthousiasme ? Mektoub, le destin, est la clé d’une vie et d’une œuvre hors du commun qui continue de faire rêver ses lecteurs.

La réédition, en format poche, des Écrits intimes d’Isabelle Eberhardt est l’occasion de revisiter cette vie et cette œuvre étranges et envoûtantes. Relire ces appels poignants, ces incessantes inquiétudes pour ses proches comme pour ses écrits en attente de publication, ces mille tracas de la vie entre l’Algérie et l’Europe au début du siècle dernier, ses tourments d’amoureuse, c’est se plonger dans un bain vivifiant et inspirant, car Isabelle est avant tout une femme à l’énergie spirituelle, la himma, débordante et communicative, qui s’enivre de travail pour se faire une place dans son pays d’élection – le grand Sud algérien – et dans la littérature de son époque, afin de magnifier ce « bel islam » qui l’enchante.

Labor omnia vincit improbus (« Un travail acharné vient à bout de tout ») est la devise d’une femme disparue prématurément en 1904, à 27 ans, ensevelie sous les décombres de sa maison aux confins du désert. Ses confidences épistolaires, parvenus à la connaissance du grand public grâce au patient travail de consultation des archives d’outremer à Aix-en-Provence de Marie-Odile Delacour et de Jean René Huleu, avec la collaboration de Faïza Abdul-Wahab, nous font voyager dans la « maison de l’Islam », ce dar el-islam qui préfigure la « vaste terre d’Allāh ».

Présentation de l'éditeur

Ces lettres aux trois hommes que l’écrivaine nomade Isabelle Eberhardt a le plus aimés – son frère Augustin, qui se suicida ; son confident Ali Abdul Wahab ; et son mari Slimène Ehnni – nous font pénétrer dans l’intimité d’un être étrange, objet de scandale et de ferveur, une femme qui, à vingt ans, parle d’elle au masculin et tourne le dos à l’Europe de la Belle Époque pour accomplir son rêve de fusion avec le désert. Jamais elle ne céda sur son désir. Elle était de ces personnes rares capables de ressusciter la part d’audace qui somnole en chacun de nous. Sa correspondance se lit comme le récit d’un fulgurant voyage : six années d’errance imaginaire et réelle jusqu’à sa mort, à vingt-sept ans, dans les eaux d’un oued en crue.

L’auteure


Isabelle Eberhardt, avec Faiza Abdul-Wahab, Jean-René Huleu et Marie-Odile Delacour, Ecrits intimes. Lettres aux trois hommes les plus aimés, Payot, avril 2023, 448 pages, 10,65 €