La Conspiration du Caire : Al-Azhar, théâtre d'un polar haletant entre ferveur religieuse et impératif politique

Par Lionel Lemonier, le 21/10/2022

PENDANT LE RAMADAN, SOUTENEZ UNE PRESSE INDÉPENDANTE PAR UN DON DÉFISCALISÉ !

En Egypte, de nos jours, l’université Al-Azhar tente de garder son indépendance alors que les services de l’Etat font tout pour la contrôler. Adam, fils de pêcheur et croyant sincère, obtient une bourse pour étudier dans ce haut lieu de l’islam sunnite depuis le Xe siècle. Il va se retrouver au cœur d’une lutte de pouvoir entre élites religieuse et politique. Au péril de sa vie. C'est l'histoire du brillant polar à découvrir dans « La Conspiration du Caire ».

Lorsque le pouvoir religieux et le pouvoir politique s’affrontent, il y a toutes les chances pour que des personnes sincères dans leur engagement en fassent les frais. Croyants sincères ou militants naïfs, ils risquent d’être broyés par les intérêts supérieurs des grands de ce monde. C’est le cas dans La Conspiration du Caire dont le scénario a été écrit par le réalisateur suédois d’origine égyptienne Tarik Saleh.

L’intrigue se déroule dans l’Egypte d’aujourd’hui. Adam, un modeste fils de pêcheur, obtient une bourse et quitte son village pour partir étudier à Al-Azhar, la prestigieuse université islamique dont le grand imam est un sorte de pape. Cette position lui donne un pouvoir considérable dans le monde musulman sunnite. Ses fatwas (ou recommandations) sont particulièrement suivies des fidèles. Plus encore, le grand imam est nommé à vie. Tout dirigeant égyptien doit en tenir compte et le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 2014, se passerait bien de ce « handicap ». Or, à peine Adam vient-il d’arriver à Al-Azhar que le grand Imam meurt.

Une fiction d'un réalisme brillant

Le chef de la Sûreté de l’Etat réunit alors ses officiers. Parce qu'il n'y a « pas de place pour deux pharaons dans le pays », il va droit au but : « Nous devons donc nous assurer que celui qui va le remplacer partage nos idées. » L’officier désigné pour la mission cherche un informateur à l’intérieur de l’université. Sans contact avec l’extérieur ni lien qui pourrait le compromettre. Alternant promesses et menaces, il recrute Adam qui ne peut refuser, tant la Sûreté de l’Etat – comparable à la Stasi dans l’ancienne Allemagne de l’Est – est crainte par tous les Egyptiens.

Avec son visage encore un peu adolescent, l’acteur israélo-palestinien Tawfeek Barhom qui joue le rôle d’Adam, est parfaitement crédible en croyant sincère qui découvre petit à petit les luttes d’influence entre les imams pour obtenir la place du premier d’entre eux.

« Il s’agit donc d’une histoire sur le pouvoir et sur l’autorité, pas spécifiquement à propos de l’islam, parce que l’islam, au fond, est comme tout autre système. Qu’il s’agisse d’un système politique ou religieux, il est composé de lois qui régissent tout mais qui peuvent aussi être facilement modifiées et transgressées par ceux qui ont le pouvoir, afin de satisfaire leurs propres intérêts, voire renforcer leur pouvoir », explique Tarik Salek.

Le réalisateur explique que ses deux sources d’inspiration ont été la lecture du Nom de la rose, le thriller médiéval d’Umberto Eco qui se déroule dans un monastère, et, tout naturellement, la vie politique égyptienne depuis l'arrivée au pouvoir du maréchal Sissi. « Dès sa prise de pouvoir, le président Sissi a décidé de se confronter directement à l’institution Al-Azhar. Sa première décision a été de se rendre à l’université, le jour de l’anniversaire du Prophète », raconte Tarik Saleh. « Son discours disait en substance : soit vous contribuez au problème, soit vous contribuez à la solution. Il nous faut combattre le terrorisme, chose que vous n’avez pas faite jusqu’à présent. Il y a même dans votre institution des livres qui font la promotion du terrorisme et cela doit cesser. »

Prix du scénario au Festival de Cannes, La Conspiration du Caire, tourné en Turquie, est d'un brillant réalisme. C'est donc sans surprise que le film critique envers les procédés de l'actuel régime a été interdit en Egypte. « Egyptien de Suède » comme il se qualifie lui-même, Tarik Saleh est d'ailleurs « persona non grata » dans le pays des pyramides. Avec ce nouveau film, le réalisateur du très remarqué Le Caire Confidentiel, ne devrait malheureusement pas pouvoir revoir le Nil avant un moment.

La Conspiration du Caire, de Tarik Saleh
Suède, 1h59
Avec Tawfeek Barhom, Fares Fares, Mohammad Bakri, Makram J. Khoury, Mehdi Dehbi
Sortie en salle le 26 octobre 2022

Lire aussi :
Les Harkis, une tragédie construite sur un mensonge d'Etat de la France en pleine guerre d'Algéri
Rebel, un drame musical qui nous plonge dans la guerre et les horreurs de Daesh