Avec « Nos Frangins », le réalisateur Rachid Bouchareb revient avec délicatesse sur deux disparitions prématurées qui ont secoué la France des années 1980. Deux personnes tuées par des membres de la police française. Une chronique glaçante sur un passé qui entre en résonance avec la société française d’aujourd’hui où le fonctionnement des forces de l’ordre est toujours sujet à de nombreuses critiques. Mais à quelques jours de sa sortie, le film est ouvertement contesté par la famille d'une des deux victimes.
Malik et Abdel, deux jeunes Maghrébins « victimes d’une intervention policière ». Avec Nos frangins, Rachid Bouchareb revient sur deux drames d’une nuit de décembre 1986 au cours de laquelle Malik Oussekine a été battu à mort par des policiers à Paris, tandis qu'Abdel Benyahia a été abattu à Pantin par un policier. La première affaire occultera, sur le temps long, la seconde, mais elles sont toutes mises sur un même pied d'égalité dans le film événement qui sort en salles le 7 décembre. Le réalisateur d’Indigènes (2006), de Hors-la-loi (2010) ou encore du Flic de Belleville (2018) mélange images d’archives et scènes d’interprétation pour recréer l’ambiance de l’époque, tout en faisant écho à notre passé récent.
« Tout le mouvement des Gilets jaunes avec toutes les violences autour ont contribué à renforcer l’idée de faire un film sur Malik et Abdel, indique-t-il. On est encore dans cette actualité. Sur le sujet de l’immigration et des violences, on y est encore. On pense tout le temps qu’on va passer à une autre étape mais il n’y a pas vraiment de changement. On a le sentiment que rien n’avance. Cela fait 35 ans ! Faut-il plus de temps pour résoudre certains problèmes ? »
Retour vers le futur. Les gens défilent, des casseurs renversent des voitures, les CRS chargent. En décembre 1986, les étudiants sont dans la rue pour combattre la réforme Devaquet, du nom du ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui porte un projet de sélection à l’entrée de l’université. Rachid Bouchareb utilise intelligemment des images d’archives qui nous ramènent en arrière mais en rappellent d’autres, beaucoup plus récentes. Celles tournées lors des affrontements avec les forces de sécurité au cours des manifestations parisiennes de Gilets jaunes pendant l’hiver 2021… Un rappel d’autant plus vif que la brigade des « voltigeurs » a été reconstituée en 2019. Dissoute peu de temps après l’affaire Malik Oussekine, cette brigade de policiers montés sur motocross, dont l’un conduit et l’autre est chargé de matraquer les manifestants, a récemment fait parler d’elle sous un autre nom : la BRAV-M, Brigade de répression de l’action violente – motorisée.
« Tout le mouvement des Gilets jaunes avec toutes les violences autour ont contribué à renforcer l’idée de faire un film sur Malik et Abdel, indique-t-il. On est encore dans cette actualité. Sur le sujet de l’immigration et des violences, on y est encore. On pense tout le temps qu’on va passer à une autre étape mais il n’y a pas vraiment de changement. On a le sentiment que rien n’avance. Cela fait 35 ans ! Faut-il plus de temps pour résoudre certains problèmes ? »
Retour vers le futur. Les gens défilent, des casseurs renversent des voitures, les CRS chargent. En décembre 1986, les étudiants sont dans la rue pour combattre la réforme Devaquet, du nom du ministre chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche qui porte un projet de sélection à l’entrée de l’université. Rachid Bouchareb utilise intelligemment des images d’archives qui nous ramènent en arrière mais en rappellent d’autres, beaucoup plus récentes. Celles tournées lors des affrontements avec les forces de sécurité au cours des manifestations parisiennes de Gilets jaunes pendant l’hiver 2021… Un rappel d’autant plus vif que la brigade des « voltigeurs » a été reconstituée en 2019. Dissoute peu de temps après l’affaire Malik Oussekine, cette brigade de policiers montés sur motocross, dont l’un conduit et l’autre est chargé de matraquer les manifestants, a récemment fait parler d’elle sous un autre nom : la BRAV-M, Brigade de répression de l’action violente – motorisée.
Colère et rage contre douleur muette
Le film, utile et important, a l’intérêt de rafraîchir une mémoire collective si prompte à l'oubli : il y a eu un double drame cette nuit-là. Un policier ivre a tué le jeune Abdelouahab Benyahia, et une intervention des voltigeurs a abouti à la mort de Malik Oussekine, roué de coups dans une cage d’escalier. Les polémiques autour de la mort de ce dernier avaient effacé dans beaucoup de mémoire le drame dont a été victime le jeune Abdel.
« C’était très important de raconter le destin de ces jeunes garçons qui ont à peu près le même âge et qui vont être fauchés dans leur jeunesse, estime Rachid Bouchareb. C’est le même sujet. Les deux vont ensemble. Pour l’affaire d’Abdel, on ne sait pas qui s’est occupé de cela et comment tout le mécanisme s’est mis en place. On a pas accès à toutes les informations. Je suis parti dans l’écriture du projet en m’inspirant très librement pour raconter ces deux histoires. »
En inventant le personnage de l’inspecteur Mattei, de l’IGS, la police des polices, le réalisateur crée un lien entre les deux affaires, tout en restant dans une réalité plausible. Et puis, il y a la réaction des familles. On voit le frère de Malik, joué par Reda Kateb, qui ne se laisse pas faire et exige des explications. Un comportement qui tranche avec celui du père d’Abdel, interprété par Samir Guesmi, tout en douleur d’autant plus retenue qu’il pense que « la justice, ce n’est pas pour eux », explique Rachid Bouchareb. « Ce n’est pas dit comme cela mais je peux le dire car j’ai grandi dans cette réalité à l’époque. J’ai bien vu comment cette génération se faisait la plus discrète possible et acceptait toutes les injustices qui pouvaient exister ».
Choisies avec soin, les images des informations télévisées de l’époque participent à la narration. Les explications impassibles du ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, ou encore l'interview du témoin de l'agression de Malik, s'insèrent parfaitement dans le film. « Je voulais aller le plus loin possible avec les archives, sans me limiter à 4 ou 5 minutes, tout en racontant une histoire. (...) En outre, elles donnent de l’émotion. Les visages des gens, leur colère, leur générosité. (…) il faut avoir confiance dans une population qui se mobilise pour combattre les injustices », estime le réalisateur.
« C’était très important de raconter le destin de ces jeunes garçons qui ont à peu près le même âge et qui vont être fauchés dans leur jeunesse, estime Rachid Bouchareb. C’est le même sujet. Les deux vont ensemble. Pour l’affaire d’Abdel, on ne sait pas qui s’est occupé de cela et comment tout le mécanisme s’est mis en place. On a pas accès à toutes les informations. Je suis parti dans l’écriture du projet en m’inspirant très librement pour raconter ces deux histoires. »
En inventant le personnage de l’inspecteur Mattei, de l’IGS, la police des polices, le réalisateur crée un lien entre les deux affaires, tout en restant dans une réalité plausible. Et puis, il y a la réaction des familles. On voit le frère de Malik, joué par Reda Kateb, qui ne se laisse pas faire et exige des explications. Un comportement qui tranche avec celui du père d’Abdel, interprété par Samir Guesmi, tout en douleur d’autant plus retenue qu’il pense que « la justice, ce n’est pas pour eux », explique Rachid Bouchareb. « Ce n’est pas dit comme cela mais je peux le dire car j’ai grandi dans cette réalité à l’époque. J’ai bien vu comment cette génération se faisait la plus discrète possible et acceptait toutes les injustices qui pouvaient exister ».
Choisies avec soin, les images des informations télévisées de l’époque participent à la narration. Les explications impassibles du ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, ou encore l'interview du témoin de l'agression de Malik, s'insèrent parfaitement dans le film. « Je voulais aller le plus loin possible avec les archives, sans me limiter à 4 ou 5 minutes, tout en racontant une histoire. (...) En outre, elles donnent de l’émotion. Les visages des gens, leur colère, leur générosité. (…) il faut avoir confiance dans une population qui se mobilise pour combattre les injustices », estime le réalisateur.
Une version des faits contestée par la famille Benyahia
Cependant, la volonté de Rachid Bouchareb de transformer le père d'Abdelouahab en immigré type de la première génération, « la plus discrète possible », a heurté la famille Benyahia. Dans un communiqué paru vendredi 2 décembre et signé des « Frangins d'Abdel », elle critique cette image d'un père dépassé par les événements, qui subit et ne conteste pas : « Dès le lundi 8 décembre 1986 (soit, trois jours après le drame, ndlr), notre père intervient publiquement dans une conférence de presse transformée en meeting improvisé à La Courneuve tout en brandissant le portrait d'Abdel. Le lendemain, il est à la tête de la manifestation partie de la cité des 4000, où nous habitions alors, et qui ira jusqu'aux Quatre Chemins, sur le lieu du drame. Toute la famille y participe. Avec notre maman, bien sûr ! »
Et les frangins d'Abdel de souligner que le réalisateur n'a pas associé les familles à son projet et indiquent réfléchir à de « possibles poursuites pour atteinte à l'image ou la réputation de notre famille ». Le film n'apporte aucune révélation ni élément nouveau, ajoutent-ils en parlant de « caricature ». Rachid Bouchareb « prétend tracer un portrait représentatif des immigrés de la première génération qui, d'après lui, rasaient les murs. C'est stéréotypé, indigne et surtout, nous concernant, complètement faux ! On ne peut pas généraliser ainsi ».
« Ce film de fiction permet peut-être d'en reparler au grand public, mais cela au risque d'une distorsion des faits et de la défiguration de ses protagonistes. Il passe notre mobilisation à la trappe. » Nous y revenons plus en détails ici.
Et les frangins d'Abdel de souligner que le réalisateur n'a pas associé les familles à son projet et indiquent réfléchir à de « possibles poursuites pour atteinte à l'image ou la réputation de notre famille ». Le film n'apporte aucune révélation ni élément nouveau, ajoutent-ils en parlant de « caricature ». Rachid Bouchareb « prétend tracer un portrait représentatif des immigrés de la première génération qui, d'après lui, rasaient les murs. C'est stéréotypé, indigne et surtout, nous concernant, complètement faux ! On ne peut pas généraliser ainsi ».
« Ce film de fiction permet peut-être d'en reparler au grand public, mais cela au risque d'une distorsion des faits et de la défiguration de ses protagonistes. Il passe notre mobilisation à la trappe. » Nous y revenons plus en détails ici.
Nos frangins, de Rachid Bouchareb
Algérie, 1h32min
Avec Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphael Personnaz et Samir Guesmi
Sortie en salles le 7 décembre 2022
Lire aussi :
Une mini-série et un film autour de l'assassinat de Malik Oussekine en lumière
« Un pays qui se tient sage », un documentaire autour des violences policières qui rappelle à l'ordre
Algérie, 1h32min
Avec Reda Kateb, Lyna Khoudri, Raphael Personnaz et Samir Guesmi
Sortie en salles le 7 décembre 2022
Lire aussi :
Une mini-série et un film autour de l'assassinat de Malik Oussekine en lumière
« Un pays qui se tient sage », un documentaire autour des violences policières qui rappelle à l'ordre