Le jeune imam : « Un hommage à ces personnages que nous croisons tous les jours mais qui n'existent pas au cinéma »

Par Mohammed Colin, le 25/04/2023

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« Le jeune imam » est une vraie pépite cinématographique que l’on doit à Kim Chapiron. Alors que la sortie du film, co-écrit avec Ladj Ly, est prévue ce mercredi 26 avril, le réalisateur de Sheitan, aujourd’hui âgé de 42 ans, se livre sur les coulisses de sa nouvelle œuvre qui dépasse bien des clichés véhiculés sur l’islam et les musulmans. Rencontre.


Saphirnews : Comment vous est venu le sujet du film ?

Kim Chapiron : C’est le succès extraordinaire du film « Les Misérables » et sa résonnance à travers le monde qui nous a fait prendre conscience que notre parole était plutôt considérée et écoutée. On s’est donc dit que c’était le moment de proposer un sujet plutôt atypique dans le paysage cinématographique, à savoir parler d'une famille de Soninkés de confession musulmane. C’est un sujet très précis qui aborde l’islam sans en faire un film de religion. On souhaitait évoquer cet islam paisible vécu par des millions de personnes dans notre pays.

A rebours des polémiques habituelles.

Kim Chapiron : Totalement. Les polémiques s’enflamment dans les espaces médiatiques et ceux d’Internet qui génèrent du buzz. Avec Ladj Ly, nous avions comme référence cet islam de notre jeunesse où il n’y avait pas tous ces débats agités. On souhaitait parler de ce vécu dans un cadre qui est celui de la fiction, et surtout rendre hommage à ces personnages que nous croisons tous les jours, mais qui n'existent pas spécialement au cinéma.

Votre histoire est bien inspirée de la réalité ?

Kim Chapiron : Oui, c'est un récit inspiré d'une histoire vraie. Par exemple, les arnaques au pèlerinage à La Mecque.

Je vous confirme, Saphirnews.com a été le premier média à révéler dès 2004 les escroqueries en rapport avec les visas du hajj.

Kim Chapiron : Justement, quand on a commencé à travailler sur le scénario et qu'on parlait de notre sujet, à chaque fois, les gens me disaient : « Ah oui, mais tu parles de l'imam de telle ville ? Tu parles de l'imam de Lyon ? Tu parles de l'imam de Limoges ? » Je leur réponds que non. Malheureusement, on s’est aperçus que cette histoire existe dans de nombreuses villes françaises. Raison de plus d’y mettre la lumière. De plus, cela offrait une ossature dramatique très robuste. Le mélange du sacré avec l’argent fait émerger des personnages tragiques très puissants.

Nous avons souhaité être accompagné par des spécialistes, notamment des islamologues et des imams pour être le plus fidèle à la réalité.

Une partie du film a-t-il été tourné au Mali ?

Kim Chapiron : Le sujet aborde une famille malienne de Soninkés. On a donc fait la préparation avec Ladj Ly au Mali, dans propre village. Nous y avons l’inspiration nécessaire pour travailler le scénario à travers les lieux, les paysages, les écoles coraniques de la région.

C’était avant ou après le coup d’État ?

Kim Chapiron : C’était au cours de l’année 2021, après le coup d’État. Cela nous paraissait donc difficile d’obtenir les autorisations mais aussi de réunir les conditions de tournage agrées par les assurances. Le tournage s’est donc fait au Sénégal dans le village de Fouloum, à une heure de Thiès. On y retrouve les mêmes ethnies, les mêmes décors qu’au Mali.

Pourquoi cette précision dans les détails qui touchent le rituel musulman ?

Kim Chapiron : En tant que non-musulman, il me tenait à cœur de respecter la foi des croyants musulmans. Que même les plus rigoristes puissent regarder le film sent se sentir froissés. C’était aussi le souhait de Ladj Ly qui, lui, est musulman.

Mais le film s’adresse bien sûr au plus grand nombre, qu’il soit croyant ou non croyant. Je voulais justement que ce film ait cette force de lier et de créer des ponts entre tous ces mondes grâce à l'intime et que le religieux traité dans mon film soit irréprochable. C’est l’un des enjeux du film. Nous avons souhaité être accompagné par des spécialistes, notamment des islamologues et des imams pour être le plus fidèle à la réalité.

Le personnage du jeune imam est très contrasté.

Kim Chapiron : C'est un être humain ! (rires) Ce qui nous avait intéressé avec ce personnage, c'est justement ce nuancier d'émotions extrêmement variées, cette personnalité très complexe. Et puis ce jeune imam se trouve confronté à la problématique où le religieux n'échappe pas aux mutations technologiques.

C’est un personnage jeune, qui est donc forcément lié au monde du digital. Les réseaux sociaux peuvent vite entraîner le culte de la personnalité, l'orgueil ou ce que l’on nomme l’égo-trip.

Le religieux est donc lui aussi en prise avec la dopamine que génèrent les algorithmes ?

Kim Chapiron : C'est terrible ! C’est l’un des sujets du film. Mon personnage, comme vous l’avez vu, en subi l’impact, et ça le contraste comme vous dites. Il est jeune ! Mais c’est justement sa jeunesse que j’apprécie dans ce personnage.

Et quoi d’autre ?

Kim Chapiron : Sa naïveté. Il a ce rapport naïf en la bonté. Cette volonté de toujours faire le bien. Mais sa principale fragilité va être ce besoin de reconnaissance de sa maman. Ce besoin va le plonger dans des situations extrêmement imprudentes. D’ailleurs, on a hésité sur le choix du titre du film car il aurait pu aussi s’appeler La maman de l’imam. Jusqu’où est-on prêt à aller pour l’amour de sa maman ? Quand l’autre imam l’interroge sur ses intentions, on peut s’interroger nous aussi pourquoi le personnage d’Ali Diallo fait tout cela ? Forcément, cela l’amène dans une complexité émotionnelle qui est la base essentielle du cinéma.

Le paysage tant médiatique qu’artistique est complètement saturé par les sujets de radicalisation. Si on observe les films qui abordent les musulmans, plus de 99 % parlent de la radicalisation. Alors je propose le 1 % !

Toujours dans cette complexité, on trouve tout au long du film le ressentiment et le pardon qui semble former un couple mal assorti.

Kim Chapiron : Absolument ! Je pense que c’est même le cœur du film. La rédemption, le pardon… J’adore écouter les réactions du public et, au cours d’un débat, il y avait une personne qui parle d’une blessure et de sa guérison. Il y a cette blessure à vif, tant chez le fils que chez la maman.

Ce film nous offre un point à partir duquel on peut observer le cheminement des deux personnages et voir comment ils vont se pardonner en passant par des situations quasiment impossibles à résoudre. Et c’est là en tant que réalisateur non-croyant qui a un rapport très fort au sacré et à l’invisible que j’essaie de rendre visible cette transcendance propre au pardon. Mais il y aussi ce lien très puissant entre une mère et un fils que l’on ne voit pas car il appartient lui aussi au monde de l’invisible.

Vous n’avez pas abordé le radicalisme religieux. Est-ce volontaire ?

Kim Chapiron : C’est même une ligne de conduite ! Le paysage tant médiatique qu’artistique est complètement saturé par les sujets de radicalisation. Si on observe les films qui abordent les musulmans, plus de 99 % parlent de la radicalisation. Alors je propose le 1 % ! (rires) Il y a bien 1 milliard et 700 millions de musulmans dans le monde ! Alors est ce qu’on a le droit de parler d’eux et de ne pas parler des poussières de radicalisés ?! Avons-nous le droit de parler de tous les autres ?

Quel est le rapport de l’imam aux technologies 2.0 ?

Kim Chapiron : Mon jeune imam vit avec les mutations technologiques. Ça lui a permis de rayonner et d’exploser grâce à l’Instagram de l’imam d’une autre ville. Notamment quand il dit qu’il faut que sa khotba soit postée dans l’Instagram de l’imam de Saint-Quentin. Et c'était une bonne démarche. Encore une fois, c'est l'impulsion et la fougue de la jeunesse ! Mais qui dit ouverture maximale dit porosité. Donc d'un coup, bien sûr, il y a plein de failles et il faut faire attention. De même qu’on doit s’interroger sur ce qui fait autorité. Est-ce le nombre de followers ou les connaissances ? Ce débat ne concerne d’ailleurs pas que le religieux…

Les personnages sont tous très attachants. Prévoyez-vous une suite ? Car on a du mal à les quitter !

Kim Chapiron : C’est que je préfère quand le spectateur reste avec des personnages très vivants. A la fin du film, pour ne pas spoiler, ma conclusion est essentiellement dans l’intimité des personnages. Pour leurs actions qui vont suivre, je laisse cela aux spectateurs, ce qui permet de faire vivre encore le film et d’en garder encore quelque chose. C’est une sensation que j’adore en tant que spectateur.

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