« Muhammad » : l’histoire de l’homme derrière le Prophète, raconté par Ismaël Saidi

Par Myriam Attaf, le 08/02/2021

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Crise du Covid-19 oblige, l’acteur et dramaturge belge Ismaël Saidi proposait au public, du 4 au 6 février, de découvrir en streaming « Muhammad », sa toute dernière pièce. Joué au Théâtre de Liège, ce spectacle livre un récit humaniste de la vie du Prophète raconté par Salman le Perse, l’un de ses plus fidèles compagnons.

Mettre des milliers de personnes dans une salle qui compte moins de 150 places : voilà qui réjouirait tout créateur et producteur de spectacles en ces temps incertains. Grâce à la diffusion en streaming de « Muhammad », au moins 5 530 personnes ont assisté aux quatre premières du spectacle jouées au Théâtre de Liège, fermé au public en raison de la crise sanitaire. « Merci 5 530 fois d’être venus voir ce spectacle. C’était un défi de taille de jouer un spectacle qui n’existait pas ; de le jouer sans personne dans la salle, sans aucune idée de si vous alliez aimer ou détester ; sans filet de sécurité. (…) Ce spectacle ne fait commencer », a déclaré Ismaël Saidi, samedi 6 février, à l'issue de sa dernière représentation.

Laisser Salman le Perse (Salman al-Farisi), l’un des premiers non-arabes convertis à l'islam, raconter la vie du Messager, c’est le pari relevé par l’acteur et scénariste belge. Seul sur scène, l’artiste prête ses traits à un des compagnons du Prophète pour relater, à sa manière, la vie d’une figure sainte aimée par des centaines de millions de croyants à travers le monde.

Si le pari est osé, il n’est pas hasardeux car la lecture humaniste qui est faite de la vie du Prophète, au travers d'une approche personnelle empreinte de spiritualité, s’appuie sur des versets du Coran. Plusieurs d'entre eux sont, par ailleurs, récités pendant les temps forts du spectacle.

Ce dernier, qui s’ouvre sur un ciel étoilé et une musique créée par Amine Bouhafa, compositeur de la bande sonore du film à succès Timbuktu, laisse vite place à des archives retraçant, entre autres, les attentats du 11 septembre 2001 et ceux de janvier 2015. Les dernières images montrent l’un des frères Kouachi, à la sortie de la rédaction de Charlie Hebdo, en train de crier : « On a vengé le prophète Muhammad ! » Une clameur qui laisse Salman le Perse perplexe. « Qui est ce Prophète ? Pourquoi faut-il le venger ? », s’interroge-t-il.

Naturellement, le spectacle ne répondra pas à cette question, somme toute absurde, fait comprendre Ismaël Saidi. Car ceux qui prétendent défendre Muhammad en versant le sang d'innocents ne font que dénaturer profondément le message de l'islam. Face à la nature destructrice de ces colères qui ne rendent pas justice au Messager, Salman le Perse y oppose les souvenirs qu'il garde de l’homme derrière le Prophète, un homme doux et patient, porteur d'un message universel. Derrière son apparente détermination, il est aussi traversé de doutes et de questionnements, au cours d'une vie ponctuée d'épreuves difficiles comme le furent la mort de son oncle Abu Talib et de sa femme Khadija. « J’ai eu la chance de le rencontrer. (...) Laissez-moi vous raconter ce que je sais de lui », fait part le nomade.

Muhammad, un modèle de résilience et de patience

Lorsqu’il évoque « son bien-aimé, son inspiré », le nomade rappelle que le Messager était un homme comme les autres. « S'il avait été lavé de tout péché, jamais nous n’aurions suivi cet inspiré ! Vous avez suivi un homme parfait ? », questionne-t-il. C’est par le prisme de la force mais aussi par celui de l'humilité, de l’épreuve, de la faiblesse qu’Ismaël Saidi explore l'intériorité de cette figure sainte. Il parle de ses tourments sans détour ; des tourments causés par ses adversaires, par la perte d’êtres chers mais aussi par le doute. Ainsi, Salman le Perse confie le moment où le Prophète s’est cru « estampé par le mal » lorsque la communication avec Dieu s'était, un temps, arrêtée. « Lui, dont l’âme avait été touchée par la félicité, se sentait désert », raconte-t-il.

La présence du doute démontre la vulnérabilité d’un homme qui, comme les autres, porte en lui incertitudes et questions qui ont été parfois sans réponses. Aussi, ce récit prend les airs d'une fragilité. Mais pas seulement : car il parle aussi de résilience. Face aux coups durs qui ont durablement marqué Muhammad, ce dernier a, en effet, su faire preuve de patience.

Voir aussi la vidéo de La Casa del Hikma - Le doute, l'ennemi juré de la foi ?

De fait, Salman le Perse met un point d’honneur à relater les victoires comme les défaites du Messager pour souligner que sa résilience a permis l’expansion de sa parole. Que l’élu de Dieu avait dû « sortir, quitter ce manteau protecteur qu’était la routine de sa vie paisible (...) pour faire face aux vents violents qu’il allait devoir affronter ».

Ainsi, par la voix de Salman le Perse, Ismaël Saidi livre son propre message : une apologie de la persévérance et de la patience. Il rappelle « inlassablement » qu’il faut « tomber pour se relever, être malade pour guérir » et « se dresser pour changer le cours » de sa destinée. « Pour moi, le miracle, c’était lui : sa détermination, le courage qu’il nous insufflait. (...) Tout cela n’était-il pas assez miraculeux ? »

Des hommes égaux sous le regard du Très-Haut

L’interprète de Salman al-Farisi rappelle au public quelques uns des principes fondamentaux de l’islam qui traduisent l’universalité de son message mais qui gagnent encore à être promus à travers le monde, parmi lesquels le respect de la dignité humaine et l'égalité de tous les Hommes dans leur diversité.

C’est d'ailleurs pourquoi les esclaves, les pauvres et les exclus ont été particulièrement séduits par le message muhammadien. Une parole divine portée par un homme qu’ils « voyaient être comme eux, un grain de sable au milieu du désert. Mais sans ce grain de sable, pas de désert. Nous faisons tous partie du dessein du grand architecte », affirme avec poésie le voyageur.

Si Ismaël Saidi raconte dans ce spectacle la vie d’un homme, c’est en réalité la vie de chacun d'entre nous qu’il raconte. Des vies inévitablement marquées par des chutes et des incertitudes mais aussi par des joies et des victoires. L’artiste met en exergue l’humanité du Prophète Muhammad pour démontrer que sa vie et son message ne devraient en aucun être le prétexte des haines et des divisions. Laissons le mot de la fin à Salman le Perse : « Jamais mon bien-aimé Muhammad a demandé à être vengé. Si vous tuez, c’est pour vous-mêmes que vous tuez ! Lui, tout ce qu’il voulait c’est qu’on entende sa voix et elle a été entendue. Le reste, c’est à vous de l’écrire. »

*Sur l'affiche du spectacle, est inscrite une citation d'Alphonse de Lamartine, extraite de son ouvrage Histoire de la Turquie (1853) : « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? »

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